C’est un spectacle sombre et violent, jalonné d’humour et d’une énergie ébouriffante, qu’ont concocté Mélanie Charvy et Millie Duyé sur un système scolaire en déroute. Au collège Rosa Parks, Aleksander fait exploser sa souffrance à la face d’un professeur et c’est tout un édifice qui s’ébranle. Sans jugement ni surplomb, Qu’il fait beau cela vous suffit fait le constat amer de l’inégalité des chances et d’une profession au bord du burn-out.
Ça commence par une voix off dans le noir, une radio allumée sur une fronde syndicale à la suite de la prise en otage d’une classe par un professeur. « Je suis Patrick », clament ses confrères et consœurs, essoré·es par des conditions de travail toujours plus précaires, éreintantes, voire dangereuses. On pense immédiatement à ce film avec Isabelle Adjani en prof au bout du rouleau, La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld. Mais la comparaison s’arrête là, car cette entrée en matière sonore n’est qu’un prétexte à planter un contexte. Celui d’une école publique en crise, d’un système scolaire sous-alimenté, d’un corps enseignant exsangue, d’un ministère qui ne sait plus que faire, mais manie l’art de sortir du chapeau mesures et réformes miraculeuses. Et au bout de la chaîne, rien ne change, tout se dégrade et tout le monde souffre.
Pour construire ce spectacle d’une force de frappe époustouflante, brûlant d’actualité et essentiel, la compagnie Les Entiché·e·s est partie chercher l’inspiration sur le terrain, en établissements REP (Réseaux d’éducation prioritaire). Et pratiquer observation et entretiens. De cette immersion humaine et sociologique au cœur des problématiques concrètes que rencontrent le personnel et les élèves, sont nés des personnages, des situations, une trame. Un éventail représentatif de ce que peuvent vivre aujourd’hui des adolescents fréquentant un collège de REP ainsi que celles et ceux qui les encadrent, depuis le gardien de l’établissement jusqu’à l’infirmière scolaire en passant par la CPE, la principale, et last but not least, le cortège des professeurs en première ligne. Autant de figures que les huit interprètes parviennent non seulement à rendre crédibles, mais aussi singulières et bouleversantes.
Qu’il fait beau cela vous suffit est un spectacle choral, rythmé, plein d’humour et d’allant, mais également grave et profond. Les séquences s’enchaînent dans une dynamique de montage cinématographique, reliées par la magnifique composition musicale mélancolique et ténébreuse de Timothée Langlois. La scénographie est ingénieuse et propice à cette fluidité des scènes qui fait le sel de la représentation : différents modules manipulés par les interprètes leur permettent d’installer ici l’hémicycle de l’Assemblée nationale, là une salle de classe, ou bien encore un bureau, l’infirmerie, la salle des profs, un bar, une rue, un appartement. Sans temps morts. Mention spéciale à la scène du karaoké appréhendée de l’intérieur, puis de l’extérieur, dans un changement de point de vue hautement significatif.
Dans ce tourbillon qui varie sans cesse les ambiances et fonctionne en fragments de réel, la fiction nous prend aux tripes et la poésie s’invite au détour d’un cours de français grâce à un poème d’Aragon d’une beauté folle qui réapparaîtra plus tard dans la dramaturgie pour prendre tout son sens et son oralité blessée. Les interprètes sont toutes et tous, sans exception, épatants de maturité, de justesse et de finesse, d’engagement physique, et offrent une palette de jeu en grand écart permanent que les changements de costume du tac au tac accompagnent visuellement. On s’attache à toutes et tous, on s’esclaffe, souvent, on pleure, aussi, tant les situations petit à petit bâtissent une histoire prenante autour d’un personnage phare, Aleksander, adolescent à la marge, en décrochage scolaire, éruptif et violent.
Et les dates se succèdent sur le tableau noir, depuis la rentrée jusqu’au mois de juin. Entre-temps, on aura traversé une année scolaire (presque) ordinaire avec dérapages non contrôlés et pétages de plomb en règle. On aura ri de peur d’être obligé d’en pleurer, frissonné de désarroi et tremblé de colère, pris la température d’une génération désenchantée et d’un système à bout de souffle. Et pris la mesure du hiatus entre la langue de bois des politiques, la poudre aux yeux des comptes-rendus et autres rapports, et la réalité du terrain. Et réalisé l’urgence à investir dans le domaine et à écouter, enfin, les besoins de celles et ceux qui portent à bout de bras nos fondamentaux républicains et tentent, toujours, de colmater les brèches. Mais jusqu’à quand ?
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Qu’il fait beau cela vous suffit
Écriture, mise en scène Mélanie Charvy, Millie Duyé
Dramaturgie, regards extérieurs Romain Picquart, Charles Dunnet
Avec Aurore Bourgois Demachy, Thomas Bouyou, Émilie Crubezy, Paul Delbreil, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Loris Reynaert, Étienne Toqué
Création sonore Timothée Langlois
Création lumière Orazio Trotta
Régie lumière Rémy Chevillard, en alternance avec Luc Michel
Régie son Timothée Langlois, en alternance avec Luc Montaudon
Costumes Carole Nobiron
Scénographie Irène Vignaud
Chorégraphie Christine Tzerkezos Guérin
Production Les Entiché·e·s
Coproduction Centre Culturel Albert Camus – Issoudun ; Théâtre Brétigny – Scène conventionnée d’intérêt national arts & humanités ; Printemps des Comédiens – Montpellier dans le cadre du Warm Up ; Théâtre dans les Vignes – Couffoulens ; Théâtre de la Nacelle – GPS&O – Aubergenville ; Théâtre El Duende – Ivry-sur-Seine
Soutiens DRAC Centre-Val-de-Loire, Région Centre-Val-de-Loire, Région Île-de-France, ADAMI, SPEDIDAM, Département du Cher, Théâtre de L’étoile du nord – Paris, Théâtre de Suresnes Jean Vilar, Collectif À mots découverts, Théâtre du Train Bleu – Avignon, Ville de Paris, Théâtre Paris-Villette, Centre Kirikou – ParisUn travail d’envergure sous la direction du dramaturge Charles Dunnet a été mené avec des adolescent·e·s du Centre Kirikou (Paris 17ème, quartier politique de la ville). Ils participent à cinq représentations du 20 au 24 mai 2025, en reprenant des rôles d’élèves dans le spectacle (excepté celui d’Aleksander).
La compagnie Les Entiché·e·s est conventionnée par la Région Centre-Val-de-Loire. Mélanie Charvy et Millie Duyé sont artistes associées au Théâtre Brétigny – Scène conventionnée arts et humanité.
Administration, production et diffusion La Magnanerie – Anne Herrmann, Victor Leclère, Hortense Huyghues-Despointes, Debora Laufer, Margot Moroux
Le texte (Éditions de L’Œil du Prince) est lauréat de l’Aide nationale à la création de textes dramatiques – ARTCENA (printemps 2022) et la création lauréate du Fonds SACD Théâtre 2022.
Durée : 1h40
À partir de 13 ansThéâtre Paris-Villette
du 19 au 24 mai 2025Théâtre Municipal d’Autun
le 27 maiLe Phénix, Scène nationale de Valenciennes
les 29 et 30 janvier 2026Centre culturel La Courée, Collégien
le 6 févrierL’Escale, Tournefeuille, en co-programmation avec Odyssud
les 10 et 11 févrierThéâtre de la Maison du Peuple, Millau, en co-programmation avec ATP
le 13 févrierLa Halle aux Grains, Scène nationale de Blois
le 20 marsFestival Théâtral de Coye-la-Forêt
le 18 mai
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