À l’occasion du festival MARTO ! organisé du 7 au 26 mars 2025, Cécile Léna présente Poste restante, Escales sur la Ligne. L’art de la scénographie immersive que développe l’artiste depuis une vingtaine d’années s’y épanouit pour proposer un voyage pointilliste et personnel à travers l’histoire de l’Aéropostale.
Les « scénographies immersives » de Cécile Léna, souvent qualifiées aussi de « spectacles miniatures », transforment discrètement les lieux qui les accueillent. Elles leur ajoutent une part de mystère, ou en révèlent l’inconnu, l’étrange qu’ils possèdent, mais que l’habitude recouvre le plus souvent. La perturbation revêt plusieurs formes, dont l’une est récurrente depuis les débuts de la compagnie Léna Dazy en 2008 : des boîtes à taille humaine aux allures d’isoloir, à l’intérieur desquelles des maquettes prennent vie pour un spectateur seul grâce à un travail de son et de lumière. D’autres installations invitent plus explicitement au voyage, dans le temps autant que dans l’espace. Columbia Circus (2019), associé à Kilomètre Zéro (2017) dont les quatre boîtes racontent le parcours fictif d’un boxeur à la dérive, invitait ainsi le spectateur à embarquer dans une ancienne caravane. Dans Free Ticket, prolongeant également l’histoire du boxeur, Cécile Léna et sa grande équipe – une trentaine de personnes, sur environ deux ans pour chaque création – reconstituaient grandeur nature, dans une caisse ne trahissant rien de son contenu, le compartiment d’un train. Avec Radio Daisy, c’est dans une voiture ancienne, une Panhard PL 17, qu’ils faisaient monter leur visiteur au terme d’un parcours consacré à l’histoire de la radio. Nous ne sommes alors guère surpris que, pour sa nouvelle création, Poste restante, Escales sur la Ligne, la scénographe de formation fasse entrer dans les lieux qui la programment un autre véhicule, non plus terrestre, mais aérien. Soit un cockpit d’avion de liaison utilisé entre le milieu des années 1950 et le début des années 1990, un Broussard quelque peu modifié pour faire voyager son passager sans décoller.
Avec Poste restante, Cécile Léna franchit un cap dans son rapport au voyage, à la locomotion. Ici, l’avion n’est plus seulement l’un des protagonistes d’un récit, comme l’étaient la caravane, la voiture et le train des créations précédentes : il en est le héros central. En un parcours fait de sept escales sous forme de cabines et d’une traversée immobile en Broussard, l’œuvre explore l’histoire de l’Aéropostale, la première ligne aérienne transatlantique consacrée au service postal. Le sujet a beau être vaste, la ligne initiée en 1918 par Pierre-Georges Latécoère assurant le transport du courrier de Toulouse à Santiago du Chili jusqu’à sa faillite en 1931 – elle devient alors Air France –, Cécile Léna l’aborde à sa façon, sensible et pointilliste. Son format n’autorise d’ailleurs guère d’autre approche. Très intime, plaçant l’imaginaire du spectateur au cœur du dispositif, il ne peut aborder de grand récit que par la bande. Pas question en effet pour Léna Dazy de faire l’apologie des pionniers de l’aéronautique. La compagnie préfère se saisir de ce qui, dans leur aventure, est une folie propice à la poésie. Pour la scénographe, la technique n’est pas antagoniste au rêve et à la littérature, bien au contraire. Elle fonde ses recherches sur leurs points de rencontre, et en trouve tout naturellement un de premier ordre dans la figure et l’écriture d’Antoine de Saint-Exupéry, le plus célèbre des pilotes de l’Aéropostale. Les mots de l’auteur du Petit Prince, empruntés à sa correspondance, sont ainsi l’un des matériaux importants des installations qui synthétisent de manière très simple et délicate de très nombreuses références et savoir-faire.
Avant même d’entrer dans la première cabine de Poste restante, on mesure les progrès techniques réalisés par Léna Dazy depuis ses précédentes installations. Alors qu’il fallait auparavant regarder en bas d’isoloir si des pieds s’y trouvaient, un voyant vert ou rouge, comme on en trouve dans les toilettes d’avion ou de train, indique maintenant au visiteur s’il peut entrer ou s’il doit patienter. Ce système, agrémenté d’un minuteur et d’une brève description de l’escale correspondante, compose une dramaturgie assez précise pour guider le spectateur, et suffisamment lâche pour ne pas refermer les moments suspendus qui se déclenchent dans chaque boîte sur simple pression d’un autre bouton. Comme toutes les boîtes fabriquées jusque-là par la compagnie, celles-ci renferment des maquettes de paysages de la taille d’un écran, qui s’animent grâce à toutes les techniques d’illusion utilisées au théâtre. La dimension internationale de son sujet permet à Cécile Léna d’explorer ici des atmosphères très diverses, qui prennent consistance au croisement d’une partition sonore diffusée sous casque et d’une création plastique où la lumière tient une place centrale. Après une première étape à Toulouse, où les phrases de Saint-Exupéry, dites par Thibault de Montalembert, esquissent la genèse de l’Aéropostale du point de vue d’un enfant pour qui le monde est un manège, on passe quelques minutes dans un cinéma de Tanger. On s’arrête encore dans un hôtel de Saint-Louis du Sénégal, dans un hangar de Cap Juby ou encore dans une chambre d’un pays quelconque, où une radio émet une émission de Jacques Chancel avec pour invitée Adrienne Bolland, qui traverse la Cordillère des Andes en 1921, sept ans avant Jean Mermoz, un autre des fantômes de Poste restante.
En donnant à entendre la gouaille et l’intelligence d’Adrienne Bolland, que l’on peut écouter plus longuement en podcast, ou encore en imaginant un couple dansant sous les ailes d’un avion en attendant Mermoz qui ne reviendra pas, Cécile Léna dit avec force les humains qui ont contribué à cette conquête du ciel. Cette scénographie immersive donne paradoxalement d’autant mieux à sentir les femmes, et surtout les hommes, de l’Aéropostale qu’aucune silhouette n’habite les maquettes des cabines ni le cockpit du Broussard. Les aviateurs du passé sont ici des spectres rendus vivants par l’écoute forcément active du spectateur, de même que tous les personnages fictifs ou réels dont s’entiche Cécile Léna. La grande confiance qu’elle accorde à la capacité de chacun à combler tous les interstices de ses créations est de celles qui manquent aujourd’hui souvent au théâtre. On ne peut alors que se réjouir qu’après des années d’hésitation, les institutions conçues pour l’accueil et la production du spectacle vivant aient enfin intégré Léna Dazy dans leur radar. Ce qui n’empêche pas la compagnie d’emmener son univers sur des terrains plus éloignés de la culture et plus proches, en l’occurrence, de l’aviation. Traitée de manière autonome, la scénographie fait ici théâtre avec une force singulière, à portée de quotidien, car elle est en accès libre, ce qui ouvre d’autres rapports possibles aux institutions culturelles, plus libres. On touche ainsi à l’esprit d’Adrienne Bolland, qu’on ne peut s’empêcher de citer à la suite de Cécile Léna : « Je suis venue à l’aviation parce qu’on était libres. Une fois qu’on avait décollé, on se foutait bien de ce qui se passait en dessous ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Poste restante, Escales sur la Ligne
Création et réalisation Cécile Léna
Avec les voix de Diego Asensio, Philippe Bozo, Françoise Cadol, Enrique Fiestas, Marjorie Frantz, Jacques Gamblin, Kevin Goffette, Cécile Léna, Thibault de Montalembert, Charles Morillon, Stéphanie Moussu, Mayte Perea López, Camille Panonacle, Jean-Philippe Pertuis, Pierre Tissot, Célestine Valladon
Création sonore Xavier Jolly
Création lumière Jean-Pascal Pracht
Création vidéo Carl Carniato
Électronique, programmation Emerick Hervé
Régie technique et construction Raphaël Quillart
Réalisation Sébastien Hondelatte
Création musicale Théodore Eristoff
Assistant scénario Marius Léna
3D et prise de son Frédéric Bruneaux
Maquettes d’avions (CAEA) Philippe Moretti
Effets spéciaux François Giraud
Musiques additionnelles Nicolas BouvardÉquipe de construction :
Direction technique du cockpit Yves Jouen
Serrurerie Anne-Elodie Chapron, Loïc Ferié
Menuiserie Emmanuelle Breuil, Blandine Bodet
Construction Lenaïc Pouliquen, Paul-Axel Bernard
Formateur en peinture industrielle et aéronautique Olivier Guillet
Chargé d’affaires en peinture industrielle Stéphane Ferus
Formateur en matériaux composite William Dubos
Formatrice en matériaux composite Alexandra Salvini
Patine avion Sylviane LiévremontÉquipe de tournage :
Réalisateur Carl Carniato
Scénario Cécile Léna, David Zampiéri
Avec Thibault de Montalembert
Directeur de la photographie et étalonnage Julien Raynaud
Ingénieur du son et mixage Jean Collot
Maquillage Mara Sastre
Effets spéciaux Fréderic Levistre
Assistants images Tom Lambert, Matéo Marie
Perchman Tanguy LemmonierProduction Léna d’Azy
Partenaires, coproducteurs et mécènes Tandem, Scène nationale Arras – Douai, Les Gémeaux, Scène nationale Sceaux / Théâtre de Saint – Quentin en Yvelines, Scène nationale, AGORA Pôle National Cirque Boulazac – Aquitaine, Les Quinconces & L’Espal, Scène nationale du Mans, Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne, Anglet, St-Jean de Luz, Boucau, La Passerelle, Scène nationale de St Brieuc, Le Manège Maubeuge, Scène nationale transfrontalière, CitéCirque de la ville de Bègles, Ville de Biscarrosse – Musée de l’Hydraviation, L’OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine, Région Nouvelle-Aquitaine au titre de l’appel à projets essaimage sobriété numérique du programme Cultures Connectées, Fondation Latécoère, Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour la Jeunesse, IFI – Institut de Formation Industrielle, (Mérignac), CAEA (Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine), France Aéro – Limoges, INA Léna d’Azy est conventionnée par la DRAC Nouvelle-Aquitaine et le Ministère de la Culture et subventionnée par le Conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine, la ville de Bordeaux et le Conseil départemental de la GirondeLes Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, dans le cadre du festival MARTO !
du 8 au 22 mars 2025Théâtre du Rond-Point, Paris
du 28 mars au 13 avrilTandem, Scène nationale Arras – Douai
du 22 avril au 18 maiMusée de l’hydravion, Biscarrosse
du 29 mai au 30 juinLe ChapitO, Bègles
du 22 septembre au 5 octobreLa Passerelle, Scène nationale, Saint-Brieuc
du 13 au 31 octobreLes Quinconces & L’Espal, Scène nationale du Mans
du 6 au 30 novembreScène nationale du Sud Aquitain, Anglet
du 21 mars au 12 avril 2026Le Manège, Scène nationale de Maubeuge
du 12 au 31 maiL’Agora, Pôle National Cirque de Boulazac
du 18 septembre au 12 octobre
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