Génération sceneweb (9/30) – Chanteuse baroque, metteur en scène, auteur, traducteur, comédien et dramaturge… La scène, Vanasay Khamphommala l’aborde de manières très diverses. Avec sa compagnie Lapsus Chevelü qu’il crée en 2017, il en fait un espace de « transphormation du monde ». Un espace queer.
« Vanasay Khamphommala est pour moi une créature du XXIème siècle. Il fait partie des artistes d’aujourd’hui qui construisent le théâtre de demain, en réfléchissant à ses enjeux, à ses évolutions nécessaires ». Ces mots d’Elisabeth Chailloux, metteure en scène et ancienne co-directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim, me semblent particulièrement juste. D’autant plus sans doute qu’ils étaient prononcés sous le coup d’une émotion encore vive, quelques jours après avoir assisté début octobre 2020 à la performance Je te chante une chanson toute nue en échange d’un verre dans le cadre du festival Tournée Générale que j’organise dans des bars de quartier du 12ème arrondissement de Paris.
Derrière le paravent du Satellite tenu par Amar ou dans la minuscule cuisine du Bon Coin d’Amar, Vanasay revenait selon ses termes « à l’essentiel : boire, manger ». Avec grâce, avec légèreté, il posait dans le plus simple appareil « la question de la nature des échanges qui fondent à la fois la sociabilité et la création artistique ». Parce que je l’ai vécue avec lui, mais aussi pour ce qu’elle dit du goût de l’artiste pour le risque, pour l’inconfort, cette expérience me semble un bon exemple pour aborder la belle et complexe personnalité artistique de Vanasay Khamphommala. Adaptation pour bar d’une performance imaginée pendant le premier confinement, Je viens chanter chez toi toute nue en échange d’un repas, elle témoigne d’un désir aigu d’imaginer des alternatives aux fonctionnements actuels de la création théâtrale. Un désir « queer ».
Queer à la scène comme à la vie
Pour présenter Vanasay Khamphommala, j’aurais tout aussi bien pu commencer par son travail sur sa deuxième création, Echo, dont le calendrier de création est comme beaucoup d’autres tout bouleversé par la situation. Dans cette très libre variation autour du mythe d’Echo, Nathalie Desay rejoindra ses complices sur son premier spectacle Orphée aphone (2019) – l’artiste queer d’origine afro-caribéenne Caritia Abell, le comédien, auteur et metteur en scène Théophile Dubus et le performeur Gerald Kurdian – pour « guérir l’humanité des chagrins d’amour ». Si le théâtre est le lieu et le temps de tous les possibles, pourquoi pas celui-là ?
Comme dans Orphée aphone, et avant cela dans L’Invocation à la muse (2018) qui l’a fait connaître en tant qu’auteur et metteur en scène – avant de créer sa compagnie Lapsus Chevelü en 2017, il a notamment été chanteuse baroque et dramaturge de Jacques Vincey –, Vanasay part du mythe pour faire de la scène l’espace de « transphormation du monde » qui l’intéresse. Un espace de rencontres, de croisements d’esthétiques et de cultures très diverses : l’univers du baroque, le théâtre, mais aussi la BDSM – ou « bondage, discipline et sado-masochisme » –, les pratiques des communautés trans et homosexuelles d’Allemagne, dont il adopte pour ses créations le principe des cercles de parole…
La naissance de sa pratique queer de la scène, qui s’affirme avec L’Invocation à la muse, Vanasay la relie à deux événements marquants des dernières années : « le mariage pour tous en 2013, qui fait des questions liées à la sexualité des questions politiques, et la féminisation du métier de mise en scène, très importante ces dix dernières années ». Le premier phénomène déclenche chez l’artiste une expression de son identité trans, et de son envie de valoriser d’autres pratiques culturelles que celles de l’institution. « Je voulais jusque-là intégrer l’institution ; j’ai commencé à dialoguer avec ». Quant à la féminisation, elle donne à l’artiste qu’il était alors « d’autres modèles d’identification ». « Elle me libère du sentiment que j’avais jusque-là de devoir exprimer une identité cysgenre ». Elle offre une place à l’entre-deux, au mouvant que revendique aujourd’hui Vanasay.
L’utopie du tiers-lieu
Pour finir de se libérer de la figure démiurgique du metteur en scène masculin, souvent blanc, Vanasay Khamphommala aime à citer toutes les femmes qui l’inspirent. Il rend grâce à Angelica Liddell pour ses performances où, comme chez lui, l’érotisme tient une place centrale. L’écriture de Barbara Métais-Chastanier l’intéresse, notamment dans Il n’y a pas de certitude qui puise dans la mythologie pour questionner la notion d’émancipation. Il apprécie la manière qu’a la performeuse Rébecca Chaillon de croiser féminisme et pensée décoloniale. De Caroline Guiela Nguyen, il aime la façon dont elle présente son collectif, « non pas comme un collectif d’acteurs mais de collaborateurs, qui travaillent avec elle à la dramaturgie ». Une direction dont il s’approche avec Lapsus Chevelü, dont chaque membre est libre d’exprimer sa propre sensibilité, de développer ses recherches personnelles.
Si pour mener à bien ce travail collectif, Vanasay a besoin des moyens financiers et matériels de l’institution, il cherche à développer pour sa compagnie un modèle économique alternatif. Un système de don contre-don par exemple, tel qu’il le pratique ponctuellement dans ses performances en appartement. Pour sa compagnie, Vanasay rêve aussi d’un lieu où il pourrait expérimenter librement ses fertiles croisements. « Je rêvais jadis d’un CDN. Maintenant ce sont plutôt les tiers-lieux qui m’intéressent, pour l’autonomie qu’ils offrent, et la possibilité d’inventer en marge des formes conventionnelles ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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