Poète autant que sportif, le Lillois Simon Allonneau écrit, publie et performe depuis une dizaine d’années ses propres textes drôles et cruels où le quotidien n’est jamais tel qu’il paraît. Invité à donner une lecture dans le cadre du festival DIRE, organisé par La Rose des Vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq et l’association Littérature, etc, il incarne bien l’esprit aventurier de ce nouveau rendez-vous.
Bien que n’étant ni comédien, ni technicien ni metteur en scène, il arrive à Simon Allonneau d’être invité par des théâtres. Souvent dans le Nord, où il est né en 1985 et où il vit encore, mais aussi parfois à Paris ou à Marseille. Mais plupart du temps, les structures qui le convient ne font pas que du théâtre, ou appréhendent cette discipline d’une manière large, singulière. C’est le cas de La Rose des Vents, dirigée depuis 2019 par Marie Didier qui, dit-elle, veut « agrandir encore le périmètre d’une scène nationale, y faire entrer la création littéraire, sous ses formes les plus folles, mais aussi les plus rudimentaires. Parce qu’avec un simple alphabet, on crée une infinité de mondes, pas besoin d’un ordi, l’imaginaire suffit, du moment qu’on a confiance dans sa propre langue ».
La création du Festival DIRE en 2020, en collaboration avec Aurélie Olivier, directrice de l’association Littérature, etc, s’inscrit dans cette démarche. C’est à cette occasion que Simon Allonneau y fait son apparition, lors de la première édition de cet événement qui a dû cette année être condensé – seuls deux jours ont été maintenus, les 7 et 10 mars – et réservé aux professionnels et journalistes. Avec quelques célébrités telles que Béatrice Dalle, Virginie Despentes et Casey, et des talents moins connus, il apporte avec sa poésie performée une réponse très personnelle à l’une des questions que souhaite poser Marie Didier à travers DIRE : « Sous quelle forme la créativité ‘’hors des livres’’ de la littérature contemporaine peut-elle trouver sa place dans ces abris que sont les théâtres ? ».
Poète du drôle de quotidien
Parce qu’il est de la région – Marie Didier et Aurélie Olivier tiennent à mettre en valeur les artistes locaux, même si leur spectre est loin de n’être que géographique – et qu’il a bien des choses à DIRE, Simon Allonneau est revenu cette année sur le plateau de La Rose des Vents. C’était le 7 mars, où deux autres artistes des Hauts-de-France étaient aussi au programme : le poète Thomas Suel, auteur compagnon depuis 2012 de Culture Commune, scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, et Jeanne Lazar, comédienne et metteure en scène issue de l’École du Nord. Intitulée Il y a beaucoup de place dans le ciel pour être fou, sa lecture fut un voyage étonnant dans son monde où tout commence comme dans le nôtre pour finir complètement autrement. Où le quotidien suit une logique qui nous échappe autant qu’elle nous est familière.
C’est d’abord le contraste entre son allure sportive, bien ancrée dans l’époque, et sa diction qui surprend chez Simon Allonneau. Dès la première phrase – « Je voudrais fabriquer un objet qui ressemble à une chaise et qui ressemble aussi à une corde à sauter » – qu’il prononce sur le plateau nu de La Rose des Vents, la fragilité, l’étrangeté de l’expression de Simon Allonneau nous emportent. Où, on ne le saura jamais vraiment. Car tout dans l’univers du poète semble susceptible de changer à chaque instant. À commencer par lui-même, qui semble être sur le point de subir une mue, de se défaire de ses muscles, de son jean et de son sweat à capuche pour devenir quelque chose de plus chétif dont rien ne nous permet d’imaginer la forme ni la couleur. Est-il celui qui « serait plus heureux si la terre tournait dans l’autre sens » ? Celui qui a « de la terre dans son salon pour enterrer les gens sans avoir besoin de bouger de son canapé » ?, dont il parle à la première personne au festival DIRE ? Sans doute un peu les deux à la fois. Et bien d’autres personnages encore, nombreux à peupler sa poésie de leurs drôles de manies.
En littérature comme en rollers
À écouter Simon Allonneau, à le voir performer sa propre écriture, on ressent une forme d’urgence, de nécessité que peut en partie expliquer son entrée en poésie. « Jusqu’à 18 ans, je passais mon temps avec des amis en rollers, dans la rue, sur des rampes. Et puis j’ai eu un accident, je me suis cassé une jambe. C’est là que l’écriture est devenue centrale dans ma vie », dit-il avec le ton hésitant de qui n’a pas l’habitude de parler de lui. Car si Simon se met alors à développer une œuvre singulière, faite de phrases courtes qui en disent long, il le fait d’abord pour lui-même. Parce qu’en le faisant, il se sent vivant. Autant que sur ses rollers, qu’il continue d’enfiler régulièrement après l’accident mais plus tout à fait de la même manière, ou sur les pistes d’athlétisme qu’il fréquente depuis ses trente ans avec assiduité, à un niveau national. « Je crois qu’en poésie comme en sport, je recherche le risque. Je pars du réel, du quotidien, pour aller ailleurs », explique-t-il.
Dans la poésie de Simon Allonneau, cet ailleurs s’exprime souvent par le corps. Dans un texte lu au bar Lokarria à Lille, un père s’envole par exemple en pleine randonnée. Dans son recueil La Vie est trop vraie (Le Pédalo ivre, 2014), « quand les voisins ont jeté leur ami du quatrième / il s’est relevé ». Les objets et les animaux ne sont pas en reste : un lit peut appeler son propriétaire « en faisant un bruit qui ressemble au silence », et un chien coupé en deux peut être recollé par un père et une mère. Le tout en très peu de mots. Simon sait toutefois être un peu plus loquace, comme lorsqu’il chante avec la poétesse marseillaise Laura Vazquez au sein de leur groupe TSUKU qui n’a sorti que cinq chansons depuis ses cinq ou six ans d’existence, mais qui en a écrit plus de soixante – on peut ici écouter la dernière en date, Derrière un rocher. Parmi les artistes dont les textes, dit Aurélie Olivier, « semblent échapper au livre comme au spectacle, même si leur matière première est textuelle », Simon Allonneau est un champion du verbe aux nombreux talents.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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