Marie-Thérèse Allier, la directrice de la Ménagerie de Verre, est morte à l’âge de 91 ans le 26 mars 2022. A la tête de La Ménagerie de Verre depuis plus de 30 ans, sa fondatrice a vu naître nombre d’artistes qui font aujourd’hui les beaux jours de la scène contemporaine. Voici le portrait que nous lui consacrions en 2021.
Lors de sa création, en 1983, La Ménagerie de Verre n’aurait sans doute pas imaginé que, près de quarante ans plus tard, elle porterait toujours aussi bien son nom. Telle la collection de figurines imaginée par Tennessee Williams, elle reste, à la fois, atypique et fragile. Atypique dans sa façon de défricher le terrain chorégraphique et théâtral, de revendiquer sa singularité, comme le prouvent ses deux festivals-phares, Les Inaccoutumés et Etrange Cargo, qui ouvrira ses portes aux seuls professionnels le 17 mars prochain ; fragile à cause de la précarité de son modèle économique, tenu à bout de bras par sa directrice-fondatrice, Marie-Thérèse Allier. « Ce qui est formidable avec ce lieu, c’est qu’il n’y avait aucune raison pour que cela fonctionne, mais que cela a fonctionné », résume-t-elle avec la fierté de ces joueurs qui réussissent un coup de poker.
Venue du monde de la danse classique, où elle a débuté à l’âge de cinq ans, la jeune femme d’alors est lassée par la répétition des gestes qu’elle impose, frustrée par la recherche du sublime qu’elle suppose. « Et puis, je suis tombée sur un livre consacré à la danse contemporaine qui, à l’époque, n’existait presque pas en France, se souvient-elle. Découvrir cet univers m’a donné envie de construire une maison pour abriter les générations de danseurs à venir et leur permettre de pratiquer cet art qui m’a tant inspiré. » Marie-Thérèse Allier se met alors en quête du lieu idéal. Plus habituée à l’avenue Montaigne qu’à l’Est parisien, elle jette malgré tout son dévolu sur une ancienne imprimerie du XIe arrondissement, délaissée par les agendas Mignon. « En découvrant le studio, j’y ai tout de suite vu un espace fantastique où il serait possible de faire de belles choses, raconte-t-elle. Je me suis lancée avec beaucoup d’inconscience, car je ne connaissais pas l’état du milieu culturel, mais aussi avec énormément de détermination. » Et un brin de culot qui lui permet de décrocher un prêt d’un million de francs auprès de son banquier alors que son modèle économique n’est pas des plus solides. « En gros, comme nous n’avions pas d’argent et les compagnies non plus, personne ne payait », s’amuse-t-elle.
Un soutien au compte-gouttes
Pourtant, cela n’empêche pas la fine fleur de la danse contemporaine de se presser au 12-14 rue Léchevin. Pour célébrer son ouverture, La Ménagerie de Verre accueille même l’un des danseurs fétiches de Merce Cunningham, Robert Kovich. « Je crois qu’on peut dire que le monde entier a été attiré par ce lieu qui, chose rare, donnait de la visibilité à des artistes émergents qui amenaient une autre esthétique et une autre façon de penser le corps, souligne Marie-Thérèse Allier. A chaque fois, les danseurs arrivaient à petits pas et n’en revenaient pas lorsqu’ils découvraient le studio. Tout le monde pensait que c’était le ministère de la Culture qui avait créé cet endroit, mais je ne manquais pas de rectifier car nous avons longtemps été un lieu complètement privé. »
Jusqu’au jour où Valérie Lang demande à son père Jack, alors puissant ministre de la Culture de François Mitterrand, de trouver un budget pour assurer la pérennité de cette institution hors des sentiers battus et des radars ministériels. « C’est à partir de là que nous avons pu commencer à payer un peu les artistes, précise Marie-Thérèse Allier. Et puis, au fil des années, la DRAC Île-de-France, la Mairie de Paris et la Région Île-de-France se sont mises à nous soutenir. Nous ne disposons pas de subventions fabuleuses, mais elles nous permettent malgré tout de tenir. » A tel point que le ministère a récemment demandé à la directrice, qui refuse l’idée même de retraite, de « préparer l’avenir » et de « faire l’impossible pour que le lieu reste à la danse » après son départ. Ce qu’elle a commencé à échafauder grâce à la création d’un fonds de dotation.
L’attente d’une nouvelle génération
Il faut dire que La Ménagerie de Verre fait désormais partie de ces lieux incontournables, sans qui la scène contemporaine hexagonale n’aurait peut-être pas le visage qu’elle a aujourd’hui. Au milieu des années 1980, elle a soutenu la jeune danse française, avec Régine Chopinot, Philippe Decouflé, Daniel Larrieu et Angelin Preljocaj en chefs de file ; puis elle a vu naître, dix ans plus tard, les « conceptuels » comme Jérôme Bel, Boris Charmatz, Xavier Leroy, Mathilde Monnier ou Christian Rizzo, sans oublier de tisser des liens avec le monde du théâtre performatif, représenté par François Chaignaud, Rodrigo Garcia, Yves-Noël Genod, Vincent Macaigne ou Théo Mercier. « Ils ont tous amené un univers remarquable et n’hésitaient pas à casser les codes, à se mêler avec d’autres disciplines, comme les arts plastiques, salue Marie-Thérèse Allier. Sauf qu’aujourd’hui, je ne vois pas la prochaine génération se dessiner. Il n’y a aucun bruit qui court, rien. On connaît déjà ceux qui sont excellents et je ne vois pas arriver de têtes nouvelles. »
Et la patronne de La Ménagerie de Verre de pointer « une liberté de créer en berne », une aversion au risque « beaucoup plus prononcée » et « quelque chose dans la créativité qui ne s’est pas formé ». « Alors que La Ménagerie de Verre est, par essence, un lieu de prise de risque qui accompagne les artistes dans leur mouvement ascensionnel, les jeunes ont tendance à ne plus rien faire avant d’avoir une subvention, regrette-t-elle. Cela est sans doute lié au contexte qui est beaucoup plus difficile, mais il n’explique pas tout. Dans notre StudioLab, on accueille des chorégraphes qu’on ne connait pas ou peu et je n’ai, pour l’heure, pas trouvé grand chose qui pourrait tenir la comparaison avec ce que nous avons connu ces trente dernières années. Peut-être est-ce le calme avant la tempête, comme ce fut le cas avant l’arrivée des conceptuels. »
En attendant, Marie-Thérèse Allier se tourne vers les « valeurs sûres » qu’elle a programmées cette année comme Olivia Grandville et Laurent Poitrenaux (La Guerre des pauvres), Yves Chaudouët, Valérie Dréville et Yann Boudaud (Il Loggiato), Yuming Hey et Mathieu Touzé (Que font les rennes après Noël ?) ou encore Raimund Hoghe qui crée, dans le cadre du festival Etrange Cargo, un solo pour Emmanuel Eggermont (Musiques et mots pour Emmanuel). « Même si le public ne pourra pas être au rendez-vous, je pense qu’il vaut mieux faire un peu que rien du tout pour montrer que nous n’acceptons pas d’être déclarés morts », conclut-elle.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Lieu et personnalité incontournable pour tous les programmateurs… grande tristesse