Carnets de création (22/28). Quand la lumière vient, Marie La Rocca poursuit son chemin. Rencontre avec une costumière qui multiplie les projets et travaille au plus près des comédiens et des équipes artistiques, de Chloé Dabert à Cyril Teste en passant par Ludovic Lagarde et Vimala Pons.
Pour sortir de son ombre, au début, il fallait quitter le sauveur. Salvatore, le père. Seul garçon au milieu de quatre sœurs, unique fils d’une famille d’immigrés italiens venue s’installer dans la région de Thioville. Entrepreneur à forte personnalité investi dans le secteur associatif, marié à une lorraine fonctionnaire de justice. Ils auront deux enfants, dont Marie, qui, le bac en poche quitte son village mosellan, direction l’Ecole Boulle à Paris. « Ce nom, ça brillait dans les yeux de mon père ». et Marie suit la lumière. Entre temps, il y avait eu Madame Pignolo, la prof de français au nom rigolo, qui l’emmène à l’Opéra de Metz pour découvrir un autre italien, Verdi et sa Traviata. « J’avais 16 ans et j’ai compris qu’on pouvait revisiter un classique. C’était fascinant, fastueux et fou ». Après le village, elle a quitté la déco. Après Boulle, direction diplôme des métiers d’art. Deux ans de cousette, petite main auprès de Donate Marchand, pointure du métier. Puis le TNS en section costumes et scénographie. A la sortie, quelques gros projets de scéno avec Célie Pauthe . Et le costume qui s’impose finalement, de lui-même.
« Le vêtement, c’est la première maison du corps », dit celle qui est toujours sensible aux espaces architecturés. Et la pratique lui paraît « plus naturelle ». Travailler sur cet « objet transitionnel », ce vêtement « qui nous aide à être au monde », ce costume qui permet de « raconter quelque chose avec un bout de chiffon ». Désormais, Marie a choisi son métier. Pour perpétuer le mouvement, elle passe donc d’un projet à l’autre. En a toujours 4 ou 5 en cours.« J’ai choisi de beaucoup travailler. C’est mon business interne, ma cuisine ». Chacun d’eux enrichit les autres. Ainsi, la précarité se vit davantage comme une liberté. Parce que « sauter dans une piscine avec quelqu’un peut être une aventure glaçante ». Rebondir toujours. Tributaire du désir des autres, ne pas se laisser arrêter. Cela n’empêche pas les fidélités. Chloé Dabert, Cyril Teste entre autres. Pour Marie, c’est une des gratifications du métier. Comme celle de voir un comédien enthousiaste lorsqu’il découvre son costume fini. Et qu’il monte avec lui au plateau comme s’il voulait faire une surprise aux autres. « Sans cesse touché, habillé, déshabillé, ça peut être insupportable » avance Marie la Rocca au sujet de celles et ceux dont elle approche, sans les connaître, l’intimité. La première chose qu’elle fait dans un projet, c’est de prendre leurs mesures, assister aux répétitions et voir comment leurs corps bougent. Être au service de « sans être le serviteur ». C’est comme ça qu’elle voit le métier. « On est parfois accroupi à leurs pieds en train de leur faire les lacets, mais, moi, ça ne me gêne pas ». Si l’on regarde en haut de toute façon, se trouve toujours le metteur en scène. Pour les choix des costumes, c’est lui « qui fait autorité ». Les comédiens, le but, c’est de les « aider à y aller ». Pas forcément que le costume soit beau. Mais qu’il donne du sens, qu’il permette aux acteurs de « porter ce qu’ils viennent raconter »..
Avec la Covid, toutefois, la belle cinétique se dérègle. Non pas que les projets se raréfient. Au contraire. Sur le métier, un opéra avec Mathieu Crucciani, Quai Ouest avec Ludovic Lagarce, Fidelio avec Cyril Teste, un court métrage, une nouvelle création de Chloé Dabert et Le périmètre de Denver que prépare Vimala Pons. Seule en scène où la comédienne passera dans le corps de pas moins de huit personnages. Non. Les projets sont là. Mais commencent à s’additionner ceux qui n’ont pas vu le jour. Premières repoussées, exploitations annulées. « On ne peut plus vider son sac. Il y a quelque chose qui n’advient pas ». Et à partir de là « ça devient dur de réenclencher autre chose ». La gymnastique habituelle n’opère plus vraiment. « Les costumes sont là, étiquetés, prêts à jouer, mais on n’a plus aucun retour sur ce qu’on a fait ». Stand by. Tant que la lumière ne se fait pas, Marie ne peut pas vraiment s’en aller
Alors, elle apprend à attendre. A avoir moins peur d’essayer et de rater. Prendre le temps de la confiance et de la connivence. Ça, ce n’est pas le virus, mais l’expérience. Tout comme le sentiment de se mettre en danger, « abyssal, colossal » tandis qu’elle commençait. Aujourd’hui supportable puisqu’elle commence à savoir moins s’inquiéter. « On disait des couturières qu’elles avaient le pouvoir de voler les rêves des gens en piquant la peau de la pointe de leurs aiguilles », raconte-t-elle. Costumière, vampire des désirs qui disparaît avec la lumière, Marie La Rocca laisse derrière elle, quand l’aventure se termine, l’envie d’y retourner. Un carnet qui ne désemplit pas. « Alors aujourd’hui, je ne pique plus, je monte des équipes ». Avec des « petites mains ». Coupeuses, tailleurs, coupeuses floues et autres monteuses. Tous ces « savoir-faire ancestraux » que chaque projet conduit à agencer. Et l’habilleuse qui suit l’exploitation, traversant en chemin « la météo psychologique de la tournée ». Comme elle, comme la costumière, « éponge des émotions », des « filles de l’ombre », dit Marie, femmes de l’intérieur, au plus près des corps, qu’« il faut aimer ».
Eri Demey – www.sceneweb.fr
Bonjour, je suis une costumiere à la retraite , et j’aime beaucoup le parcours et le discours de Marie La.Rocca
Je lui souhaite de continuer avec cette belle sensibilité
( j’ai vu des photos du spectacle de L’Odeon)