En résidence pour trois ans au Théâtre de la Cité internationale dans le cadre d’un dispositif initié par Prémisses, Office de production artistique et solidaire pour la jeune création, le collectif Marthe regroupe des artistes issues de l’École de la Comédie de Saint-Étienne.
Comme nombre de compagnies depuis plusieurs semaines, le collectif Marthe a joué mi-décembre son spectacle Tiens ta garde devant une une poignée de spectateurs professionnels. Ce spectacle, le collectif – constitué de Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui, rejoint pour ce projet par Maybie Vareilles – l’a créé début mars 2020 à la Comédie de Saint-Étienne. Si comme tant d’autres, la tournée de cette création a été stoppée en plein élan par la pandémie de Covid-19, elle fait partie de celles pouvant, à tout le moins, par ces présentations parisiennes à huis-clos, espérer d’autres dates de programmations à venir la saison prochaine.
Cet enjeu de la visibilité des œuvres, les artistes du collectif Marthe en ont pleinement conscience. Les comédiennes ont, ainsi, achevé les représentations par la lecture d’un texte : « Nous sommes là car nous avons la chance de jouer à Paris où tous les trains convergent. Mais on se dit que vous n’auriez certainement pas pu vous rendre à Aurillac, Gap ou Montluçon de la même manière.(…). Il est évident que la pandémie exacerbe les logiques concurrentielles dans l’industrie culturelle. (…) » Se clôturant par un appel à la concertation et à la solidarité entre les différents acteurs du spectacle vivant, ce texte pointe avec pertinence l’écart qui se creuse entre les compagnies (peu d’entre elles bénéficiant de telles chances d’êtres vues). Ce texte confirme, aussi, que si les artistes du collectif Marthe s’attachent à déconstruire les positions de domination dans leurs spectacles – Tiens ta garde en étant une belle preuve –, leur vigilance se prolonge hors scène.
Créé trois années après Le Monde renversé, premier spectacle dans lequel le collectif passait l’histoire en revue en s’interrogeant sur la place des femmes dans celle-ci à travers la figure de la sorcière, Tiens ta garde tient la barre d’un regard vivifiant, cette fois sur la question de l’autodéfense – enjeu essentiel des luttes féministes. Se déroulant initialement dans une salle d’armes – qui va évoluer pour devenir un espace ouvert et métaphorique où les luttes se réinventent, le spectacle met en scène quatre jeunes femmes. Personnages aux parcours et tempéraments bien distincts, ces dernières apprennent au cours d’un stage d’autodéfense à se connaître et à s’affirmer. Construit sur un mode fragmentaire, le spectacle alterne entre les moments de stage et des plongées historiques dans d’autres époques et d’autres lieux. D’un atelier de peintres français au XIXe siècle aux violence gynécologiques ; des députés de la Convention refusant l’accès aux femmes pendant la Révolution française aux suffragettes londoniennes ; ou, encore, aux pionniers des États-Unis d’Amérique, ces moments renvoient à l’assignation de passivité auxquelles sont depuis des siècles renvoyées les femmes.
Ce projet trouve sa source dans la découverte de l’ouvrage Se défendre, une philosophie de la violence, ouvrage de la philosophe Elsa Dorlin. L’équipe raconte avoir été saisie par sa manière d’interroger le fait « que les femmes soient considérées comme des victimes. » De cette lecture, d’autres menées en alternance avec des répétitions au plateau (avec leur dramaturge Guillaume Cayet), comme de leur participation à un stage d’autodéfense est né le parcours de ces personnages. « Lorsqu’elles se rencontrent, elles ont du mal à se toucher et au fur et à mesure – en traversant les empêchements des femmes face à la violence – elles prennent de la puissance. En détricotant l’histoire elles se réapproprient une force et se révèlent entre elles. » La libération et la constitution en collectif de ces corps entravés par des structures sociales, politiques comme familiales s’effectue dans une forme richement documentée, énergiquement interprétée et à l’humour parfois encore plus ou moins affûté. Loin du seul constat, Tiens ta garde propose, ainsi, par son évolution dramaturgique – incarnée autant dans la scénographie que dans les corps, les actions et les propos de ces femmes – un parcours revendiqué d’émancipation et d’apprentissage.
Interrogées sur la suite de ce spectacle et sur les dates de tournée prévues dès début 2021, le collectif confie son incertitude. « Il est très difficile de se projeter, d’autant que le nombre de spectacles reportés ne cesse d’augmenter. » Quant à leur volonté d’alerter à leur niveau le champ théâtral sur les mécanismes d’exclusion à l’œuvre, les artistes réaffirment leur désir de voir un dialogue émerger. « Les lieux étant actuellement dans l’organisation pour tenter d’être fidèles aux équipes et retrouver des dates, c’est aussi aux compagnies de commencer à poser ces questions aux lieux et aux institutions. Jouant au Théâtre de la Cité Internationale, peut-être serons-nous programmées la saison prochaine, mais quid des autres artistes ? » Un appel à la mobilisation et à la solidarité indispensable si le champ du spectacle vivant ne veut pas assister à la disparition accélérée de compagnies …
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Tiens ta garde par le Collectif Marthe
texte Itto Mehdaoui*, Aurélia Lüscher*, Clara Bonnet*, Marie-Ange Gagnaux*, Maybie Vareilles*, Guillaume Cayet | mise en scène et interprétation Itto Mehdaoui, Aurélia Lüscher, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Maybie Vareilles | dramaturgie Guillaume Cayet | regard extérieur Maurin Ollès* | scénographie Emma Depoid | création silhouettes Cécile Kretschmar | auto-défense Elo | construction décor Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne | © Valérie Borgy* issu.e.s de L’École de la Comédie
production Prémisses | coproduction Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e ; La Comédie de Saint-Étienne – CDN ; Théâtre Dijon Bourgogne – CDN ; La Comédie de Valence – CDN ; Théâtre de l’Union – CDN de Limoges ; Théâtre du Point du Jour – Lyon | avec le soutien du DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes, dispositif d’insertion de L’École de la Comédie de Saint-Étienne et du JTN
Durée: 1h30
Tournée initialement prévue en 2021
27 et 28 janvier Théâtre de l’Union CDN de Limoges
9 et 10 février Théâtre Domaine d’O – Montpellier
6 février La Ferme du Buisson
5 mars Scène Nationale de Mâcon
30 mars > 2 avril Théâtre Dijon-Bourgogne – Centre Dramatique National
4 > 7 novembre Théâtre du Point du jour
10 et 11 mai La Comédie de Valence – Centre Dramatique National
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