Carnets de création (12/28). Saison après saison, l’auteur prouve que ses pièces sont de celles qui comptent. Des violences policières au déclassement rural, il dissèque le réel au scalpel.
Pour Guillaume Cayet, « l’écriture est un poème de l’action ». Chez cet auteur de tout juste 30 ans, aucun arbre littéraire ne pousse en dehors du terreau du réel. « J’ai toujours pour idée de construire une fiction, mais j’ai besoin d’un ancrage intellectuel, pratique ou théorique, pour partir ensuite dans l’imaginaire, souligne-t-il. Les sujets et/ou les perspectives politiques que j’autopsie doivent être nourris de personnes car c’est par la rencontre qu’ils se transforment. » Alors, il n’hésite jamais à aller sur le terrain pour travailler avec des penseurs spécialisés ou des individus aux prises avec « ces sujets qui l’animent ». L’été dernier, dans le cadre de « La Traversée » organisée par le TNS, il a par exemple croisé la route de personnes en situation d’addiction, et notamment de Philippe, un ancien braqueur tombé dans l’héroïne. Quelques mois plus tôt, pour préparer La Comparution, dont la création est prévue le 23 février prochain à la Comédie de Clermont-Ferrand, il avait échangé avec le sociologue Mathieu Rigouste, mais aussi avec Farid El-Yamni dont le frère Wissam est mort, en janvier 2012, dans un commissariat clermontois.
Car, des violences policières (Neuf mouvements pour une cavale) au passé colonial (B.A.B.A.R), du déclassement rural (Dernières pailles) à l’expérience communarde (Une commune), Guillaume Cayet se place bien souvent aux points névralgiques, là où le tissu social se tend et menace de rompre. « Au-delà de la question politique qui constamment m’agite, je m’interroge sur l’invisibilisation de certains corps dans nos sociétés, sur ma façon de regarder le monde et sur l’espace où je m’inscris en tant qu’auteur blanc, hétéro, masculin, ajoute ce natif des Vosges, formé à l’université, puis à l’Ensatt. Toutes mes pièces créent des contre-histoires par rapport à celles qu’on entend d’habitude. J’ai un vocabulaire qui détricote des systèmes et analyse les mécanismes dans lesquels mes personnages sont pris. »
Tendre un miroir
D’aucuns pourraient y voir un prisme intellectuel d’inspiration marxiste, berceau d’un théâtre militant. Sans renier l’influence que Brecht, Piscator et Pasolini ont eu dans sa construction, Guillaume Cayet préfère parler de transformation et d’engagement pour qualifier son geste d’écriture. « Pour moi, le théâtre est un espace autonome de transformation qui sert à bâtir des mondes plus habitables que celui dans lequel on vit, assure-t-il. Lorsque j’écris, je ne me pose jamais la question du spectateur, de ce avec quoi il devrait ressortir, car je pars avant tout de moi. » Pourtant, c’est avant tout par soucis de l’adresse, du parler à, et pour tendre un miroir aux gens, ou les mettre face à d’autres corps que les leurs, qu’il a choisi l’art dramatique plutôt qu’un autre genre littéraire. « Les metteur⸱se⸱s en scène avec qui je travaille, comme Aurélia Lüscher et Julia Vidit, m’apportent aussi leur altérité, complète-t-il. Avec le regard des comédiens et des spectateurs, cela crée des couches de sédimentation et autant de lectures du monde. »
Un tropisme théâtral qui n’empêche pas Guillaume Cayet de multiplier les formes. En plus du travail avec sa compagnie, Le Désordre des choses, sur La Comparution, du compagnonnage en tant qu’auteur et dramaturge, avec la nouvelle directrice du CDN Nancy Lorraine, Julia Vidit, qui le conduira à écrire des petits formes et à mettre au point un répertoire commun, à commencer par une pièce de Pirandello, le trentenaire vient d’enregistrer trois oeuvres radiophoniques pour France Culture en compagnie du comédien Emmanuel Matte, dont la diffusion est prévue à la fin du mois. Autant de projets qui s’ajoutent à la sortie en novembre de sa nouvelle pièce, Grès, créée prochainement à Théâtre Ouvert, et à celle, en décembre, d’un court-métrage, Les Déserteurs, consacré aux désertions dans les forces de l’ordre. « Le travail de terrain et au plateau crée des envies et des ramifications fertiles. Si j’étais auteur tout simplement, je pense que je serais en pleine dépression, surtout dans cette période où l’on écrit sans être joué », conclut-il.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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