À la MC93 Bobigny, l’auteur et metteur en scène convoque de nombreuses figures féminines d’hier et d’aujourd’hui, réelles aussi bien que mythologiques, afin de rendre hommage à sa grand-mère, à son art du conte. Sa passionnante démarche peine hélas à prendre vie au plateau.
Avec De ce côté (2020), Dieudonné Niangouna faisait une pause entre deux grandes épopées, auxquelles il a habitué le public français depuis une dizaine d’années. La pause n’était pas de tout repos, au contraire, puisque l’auteur et metteur en scène y interprétait seul en scène le personnage de Zacharie, un ancien comédien exilé de son pays. À travers ce double théâtral, Dieudonné Niangouna mettait sa langue si reconnaissable, bouleversant le français dans sa syntaxe autant que dans ses images, au service d’une riche et très personnelle réflexion sur le rôle du théâtre, sur sa capacité à faire bouger le réel. L’introduction de Portrait désir semble inscrire cette nouvelle pièce, créée comme les trois dernières à la MC93, dans la continuité de la précédente. Au plateau avec la comédienne Dariétou Keita, que l’on a déjà pu voir dans une autre de ses créations – Antoine m’a vendu son destin / Sony chez les chiens d’après Sony Labou Tansi en 2017 –, l’artiste incarne de nouveau un double de lui-même.
Devant le buste à l’effigie de sa grand-mère, qui place la pièce sous son haut patronage, Dieudonné Niangouna évoque avec chaleur les samedis où, par son art du conte, elle « tenait le monde éveillé devant la place du village de Massembo Loubaki ». Il dit comment « elle dessinait un triangle à neuf branches. Se plaçait au centre et commençait. De 20h à 6h du matin. C’était des histoires interminables, entrecoupées de chants, de devinettes, de proverbes et de questions qu’elle renvoyait au public ». Décrivant ces soirées, ces nuits congolaises datant d’« une époque où on appelait pas ça une performance », l’artiste donne aussi au spectateur de Portrait désir une idée de ce qui l’attend. Non pas toute une nuit, mais tout de même 4 heures. De quoi pour Dieudonné Niangouna tenter une transposition théâtrale des pratiques oratoires de son aïeule Louise Bakouka, toutes imprégnées de la spiritualité Kongo à laquelle, nous explique-t-il, elle avait été initiée enfant comme conteuse et guérisseuse.
Congolais installé en France, l’artiste d’aujourd’hui reprend dans sa pièce quelques contes hérités de sa grand-mère. Mais surtout, il rassemble des matériaux très éloignés de l’univers de cette dernière, qu’il donne à interpréter à une distribution elle aussi très hétéroclite. Franco-congolaise, faite de quatre comédiennes (Marie-Charlotte Biais, Julie Bouriche, Safoura Kaboré, Diariétou Keita), de deux comédiens (Mathieu Montanier, Dieudonné Niangounga) et deux musiciens (Pierre Lambla, Armel Malonga), l’équipe artistique met son métissage et ses pratiques diverses au service du grand patchwork composé par Dieudonné Niangouna. Loin d’orchestrer d’une manière visible son grand mélange, qu’il voit comme une alternative au théâtre français, encore attaché à une certaine linéarité dans le récit, l’auteur et metteur en scène donne l’impression d’une certaine autonomie des différents membres de son équipe.
Sous le nom de Santchi, son double, Dieudonné Niangouna n’apparaît que dans l’un des nombreux lieux où se déroule sa pièce : un club de jazz, le Sanza Blues, dont les membres attendent l’arrivée d’une artiste congolaise. C’est de là, semble-t-il au départ – plus la pièce avance, plus la chronologie et le rapport des récits entre eux se brouille –, que partent toutes les fables qu’englobe Portrait désir. Pour la plupart féminines, les histoires qui se succèdent, s’entrelacent, sont pour certaines liées à la colonisation du Congo, qu’a connue Louise Bakouka. Le personnage de Sylabelle, incarné comme la grand-mère par Dariétou Keita, donne voix à plusieurs héroïnes réelles des luttes des peuples Kongo au temps des pénétrations portugaises et de la traite négrière. Mais elle verse aussi dans la légende en prêtant son jeu à des figures des mythologies Kongo et grecques. En jouant la reine Pokou ou Nzingua aussi bien que Cassandre, elle incarne un imaginaire du tout-monde où les époques se mêlent.
Chaque acteur-musicien participe à sa manière au façonnage de cet imaginaire voyageur. Mathieu Montanier, par exemple, est un Syrien nommé Issan, que l’exil a mené jusqu’au Sanza Blues. Marie-Charlotte Biais incarne une certaine Janis, dont la petite musique consiste à pester contre les Africains et contre la gauche française – « on change pas l’armée du salut en fiotte de luxe, embourgeoisez-vous d’idées gauchistes, suis crevée de la tarte à la bonne foi », dit-elle par exemple dans sa logorrhée colérique. Elle est aussi pendant une bonne demi-heure une Médée à la détresse emphatique. Sa difficulté à donner vie à un fragment de Portrait désir est partagée par l’ensemble des comédiens. La structure de la pièce, qui ne s’embarrasse pas de liens, même ténus, entre ses différentes parties, y est pour beaucoup. Avec sa musique, le club de jazz aurait pu offrir à toutes les histoires de Dieudonné Niangouna un cadre assez solide, mais aussi propice au surgissement de l’inattendu. Mais lui aussi peine à exister, tant musicalement que par les récits qu’y font circuler les comédiens. Pour beaucoup, la langue complexe de Dieudonné Niangouna semble aussi être davantage un enfermement qu’un outil de libération, ce qu’il est pour l’auteur. De même que ses interprètes, nous restons à distance du désir à l’origine de ce Portrait.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Portrait désir
Texte et mise en scène Dieudonné Niangouna
Avec Marie-Charlotte Biais, Julie Bouriche, Safoura Kaboré, Diariétou Keita, Mathieu Montanier, Dieudonné Niangouna et les musiciens Pierre Lambla et Armel Malonga
Assistanat à la mise en scène Prince Sadjo Barry
Scénographie Dieudonné Niangouna et Papythio Matoudidi
Lumières Laurent Vergnaud
Costumes Marta Rossi
Son Félix Perdreau
Vidéo Wolfgang Korwin
Sculptures Eugène N’Sondé
Peinture, maquillage et masques Doctrovée Bansimba
Régie plateau Papythio Matoudidi
Conseil chorégraphique DeLaVallet Bidiefono
Régie générale Nicolas BarrotProduction Compagnie Les Bruits de la Rue
Coréalisation MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; La Colline – théâtre national
Coproduction La Colline – théâtre national ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; Künstlerhaus Mousonturm – Francfort ; La Manufacture – CDN Nancy-Lorraine Avec le soutien du Préau – CDN de Normandie-Vire, du Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, des Rencontres à l’échelle – B/P, des Tréteaux de France – CDN et de La Villette – Paris
Avec l’aide à la création de la Région Ile-de-FranceLa Compagnie Les Bruits de la Rue est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture
Durée : 4h
MC93 Bobigny, avec La Colline – théâtre national
du 25 novembre au 10 décembre 2022Le Préau – CDN de Normandie-Vire
le 30 décembreKünstlerhaus Mousonturm, Francfort
les 23 et 24 mars 2022La Manufacture – CDN de Nancy-Lorraine
du 5 au 7 avril 2022
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