Après le massacre de Thiaroye, c’est à une autre tragédie de l’histoire coloniale française que s’intéresse Alexandra Badea : l’exécution de plusieurs centaines de manifestants algériens à Paris, le 17 octobre 1961. Créé au Festival d’Avignon, Points de non-retour [Quais de Seine] s’enlise dans son désir de dénonciation.
C’est par une scène absente du texte publié chez L’Arche que s’ouvre Points de non-retour [Quais de Seine], le second volet d’une trilogie d’Alexandra Badea consacrée aux zones d’ombre de l’Histoire française. Assise devant un ordinateur portable, muette, l’auteure et metteure en scène connue depuis Pulvérisés (2012) pour ses pièces peuplées de victimes du système capitaliste incarne, l’espace de quelques instants, un personnage qui lui ressemble. Soit une jeune femme touchée par les mots d’une autre, rencontrée plusieurs années auparavant dans un bar. En quelques phrases tapées en direct et projetées sur un écran, elle formule son besoin d’en savoir plus sur le drame évoqué alors sur un zinc quelconque. Car, écrit-elle, celui-ci la ramène à son histoire personnelle. À ses blessures. Alexandra Badea disparaît ensuite, laissant en suspens ce qui est sans doute au cœur de sa trilogie Points de non-retour : un désir d’explorer un sentiment intime d’étrangeté. Une faille.
« Comment assumer la colonisation ou la guerre d’Algérie ? Qu’est-ce que veut dire « assumer » ? Est-ce que par ce choix sa responsabilité envers le passé douloureux de la France devient plus grande que celles de ses amis français qui eux n’ont pas choisi ? ». Alignées sur la feuille de salle du spectacle, ces questions qu’Alexandra Badea, d’origine roumaine, se pose lors de sa demande de naturalisation française en 2013 resteront sans réponse. En s’effaçant derrière le personnage de Nora (Sophie Verbeeck), déjà au centre de Points de non-retour [Thiaroye], elle s’éloigne de ce qui aurait pu donner lieu à un récit vraiment singulier. À une enquête menée par une subjectivité, et donc une écriture forte. Comme celle de Myriam Saduis dans Final Cut, programmé dans le Off à la Manufacture, qui remue un sujet proche de celui que traite Alexandra Badea : les relations franco-tunisiennes de 1961 à aujourd’hui. Ses non-dits, ses violences.
À peine terminé le préambule décrit plus tôt, Points de non-retour [Quais de Seine] se déploie selon un aller-retour entre présent et passé qui ne cessera qu’à la fin de la pièce. Lorsque seront éclaircies les relations entre Nora, dont on comprend vite qu’elle vient de faire une tentative de suicide, et les scènes qui apparaissent régulièrement derrière un écran. Où l’on voit une femme pied-noir (Madalina Constantin) et un homme algérien (Amine Adjina) qui tentent de s’aimer malgré le contexte défavorable des années 1960. Et qui finissent par se séparer. Présenté selon un schéma classique – Nora s’entretient avec un thérapeute (Kader Lassina Touré) – le travail de mémoire mis en scène dans le spectacle est sans surprises. Il débouche lentement sur le 17 octobre 1961, où des centaines de manifestants algériens sont jetés à la Seine lors d’une répression organisée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon.
À la manière linéaire, répétitive, dont Alexandra Badea présente ce morceau de passé franco-algérien dans sa pièce, elle semble se poser comme révélatrice d’un refoulé. Lequel fait en réalité depuis une dizaine d’années l’objet d’un nombre croissant d’écrits historiques et d’œuvres en tous genres. La Seine était rouge, Paris octobre 1961 (Actes Sud, 2009) de Leïla Sebbar par exemple, ou le film Jour de pluie (2017) d’Antoine Barillot et Jhon Rachid. En plus d’être théâtralement parlant de peu d’intérêt et de ne pas creuser suffisamment les liens qui unissent petite et grande Histoire, Points de non-retour [Quais de Seine] est donc un peu menteur. Il se prend au piège de son désir de dénonciation.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Points de non-retour [Quais de Seine]
Avec Amine Adjina, Alexandra Badea, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Sophie Verbeeck
Et avec les voix de Patrick Azam et Corentin Koskas
Texte et mise en scène Alexandra Badea
Dramaturgie Charlotte Farcet
Scénographie et costumes Velica Panduru
Lumière Sébastien Lemarchand assisté de Marco Benigno
Son Rémi Billardon
Collaboration artistique Amélie Vignals assistée de Mélanie Nonnotte
Construction du décor Ioan Moldovan
Avec l’aide de Atelier Tukuma Works pour la construction du décorProduction Hédéra Hélix, Anahi
Coproduction La Colline Théâtre national, La Comédie de Béthune Centre dramatique national, Festival d’Avignon, Scènes du Jura Scène nationale, Théâtre du Beauvaisis Scène nationale de Beauvais, Scène nationale d’Aubusson
Avec le soutien du Ministère de la Culture Drac Hauts-de-France, Région Hauts-de-France, Spedidam
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h45
Festival d’Avignon 2019
Théâtre Benoît XII
5, 6, 8, 9, 10, 11 et 12 juillet à 22hComédie de Béthune
du 4 au 7 décembre 2019Le Lieu Unique, Nantes
les 22 et 23 janvier 2020Gallia Théâtre, Saintes
le 3 févrierScène nationale d’Aubusson
le 6 févrierComédie de Saint-Étienne
du 12 au 14 maiSibiu International Théâtre Festival – Roumanie
le 1er juin 2020
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