Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, la metteuse en scène Émilie Rousset se penche sur l’importance de la musique dans la communication politique, et passe largement à côté de son sujet.
Sur le papier, Playlist Politique avait tout pour plaire. Fruit d’une commande de La Pop à Émilie Rousset, cette performance autour de L’Ode à la joie de Beethoven, en tant qu’hymne européen et symbole politique, entendait répondre à une série de questions : « Comment la musique accompagne-t-elle l’Histoire ? Comment se charge-t-elle, au fil du temps, de la mémoire des événements ? Comment les politiques l’utilisent-ils pour se mettre en scène ? Comment a-t-elle le pouvoir de nous faire consentir à l’autorité ? ». Dans un monde où la communication matrice tout, l’ambition paraissait louable, pour ne pas dire salutaire. Las, à l’épreuve des planches, il est peu de dire que ces interrogations restent entières, tant la metteuse en scène passe largement à côté de son sujet qu’elle traite en surface et, le plus souvent, par le petit bout de la lorgnette.
Dramaturgiquement, son spectacle s’installe, d’emblée, au niveau zéro, celui d’une séance de travail nocturne sans idées, ni souffle, ni saveur. Après une curieuse et poussive entrée en matière où, devant les couleurs chatoyantes d’un écran de veille en mouvement, une mère, interprétée par Manuel Vallade, demande à son enfant, campé par Anne Steffens, de se mettre au lit en s’étant soigneusement brossé les dents, le dossier « Playlist Politique » peut enfin s’ouvrir. Se dévoile alors une arborescence bien connue des utilisateurs de Mac où se côtoient et s’entremêlent une myriade de sous-dossiers – « Interviews », « Ode à la joie », « Hymnes »… – dans lesquels les deux comédiens vont peu à peu naviguer. De fil en aiguille, ils s’arrêtent, sans les diffuser, sur trois moments de l’histoire politique : la cérémonie de victoire d’Emmanuel Macron dans la cour du Louvre lors de sa première élection en mai 2017, les adieux d’Angela Merkel aux forces armées allemandes en décembre 2021 et la visite de François Mitterrand au Panthéon lors de son investiture en mai 1981. À chacun correspond une musique plus ou moins détonnante : L’Ode à la joie pour le premier, Du hast den Farbfilm vergessen de Nina Hagen pour le second, et le quatrième mouvement de la Symphonie n°9 de Beethoven pour le dernier.
Plutôt que d’analyser en profondeur ces tandems, d’ausculter leurs effets sur les citoyens-électeurs et d’en soupeser les causes et les conséquences, Émilie Rousset se contente d’ergoter sur leurs coulisses, et se pose davantage en commentatrice qu’en documentariste. À travers une chronique de Roselyne Bachelot diffusée sur France Musique et un entretien avec le musicologue Esteban Buch, auteur de La Neuvième de Beethoven – Une histoire politique, elle interroge le choix et les choix de Herbert von Karayan, arrangeur de L’Ode à la joie, à partir de la Symphonie n°9 de Beethoven, et ancien membre du parti nazi ; avec la complicité de Manuel Vallade, elle reconstitue la marche solennelle d’Emmanuel Macron dans la cour du Louvre pour en « révéler » le côté chorégraphique ; au gré d’un post Facebook de Nina Hagen, péniblement traduit par l’une de ses amies, elle s’appesantit sur les accusations pédocriminelles qui pesaient sur le parolier de Du hast den Farbfilm vergessen, Kurt Demmler ; et finit, grâce à une tribune de l’organisateur de l’investiture de François Mitterrand et ancien conseiller de Jack Lang, Christian Dupavillon, par dévoiler les coulisses d’une cérémonie plus rocambolesque qu’il n’y paraissait en 1981.
Sans totalement démériter, cet ensemble, qui oscille entre le débat de spécialistes et les révélations régulièrement anecdotiques, perd totalement de vue son objectif premier, et échoue à mettre en perspective le contenu, bien maigre au regard du corpus disponible, des archives collectées et des entretiens réalisés. Surtout, le modus operandi utilisé par Emilie Rousset peine à produire les mêmes effets que dans deux de ses précédents spectacles, Rituel 4 : Le Grand Débat et Reconstitution : Le procès de Bobigny. Malgré la performance d’Anne Steffens et Manuel Vallade, la réappropriation par les comédiens des extraits retenus ne leur confère ni aura, ni dimension particulières. Au sortir, on reste donc perplexe devant cette suite de fausses notes, loin, très loin de cette fouille féconde à laquelle la metteuse en scène nous avait habitués.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Playlist Politique
Conception, écriture, mise en scène Émilie Rousset
Avec Anne Steffens, Manuel Vallade, la cheffe de choeur Julie Furton et la participation des choristes amateur.e.s de la Queerale : Lucie Broussin, Xavier Cartiaux, Jasmin Cichocki, Alex Cloos, Roxane Darlot-Harel, Marianne Garaicoechea, Maurane Guillemoto, Sophie Hebrard, Nicolas Hug, Jeanne Jeannot, Vic Krass, Oualid Latreche, Sarah Maeght, Ayefemi Mehou-Loko, Hugo Poindron, Sable Prost, Jonathan Rocheteau, Sylvère Santin, Charlie Trévu, Johan Tyszler, Anaïs Van
Création vidéo Gabrielle Stemmer
Dramaturgie Simon Hatab
Collaboration à l’écriture Sarah Maeght
Lumières Manon Lauriol
Régie vidéo et son Romain Vuillet
Régie générale Jérémie Sananes
Stagiaire à la mise en scène, Elina MartinezProduction John Corporation
Coproduction La Pop ; Points communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise ; Festival d’Automne à Paris ; Festival NEXT ; Théâtre de la Bastille
Coréalisation La Pop ; Festival d’Automne à Paris
Mise à disposition du studio par le CND, Centre national de la danse
Accueil en résidence Points communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise (Paris)John Corporation est conventionné par le ministère de la Culture – Drac Île-de-France et par la Région Île-de-France. Émilie Rousset est artiste en résidence à Points communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, au Lieu unique (Nantes) et au Volcan, scène nationale du Havre.
Durée : 1h
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris :
La Pop, Paris
du 17 au 19 novembre 2022Théâtre de la Bastille, Paris
du 25 novembre au 7 décembrePoints communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
du 7 au 9 février 2023
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !