Pierre Pradinas prouve que l’on peut monter du théâtre de qualité et du théâtre populaire. Actuellement sa dernière création autour de Labiche est en tournée, avec en tête d’affiche Romane Bohringer. Alors qu’il dirige depuis 2002 le Centre Dramatique National du Limousin, le Théâtre de l’Union, et que son contrat s’achève en décembre 2011, la nouvelle règle de nomination des directeurs de structures publiques édictée par le Ministère de la Culture va le contraindre – comme d’autres collègues – à candidater à sa propre succession et à défendre son projet face à d’autres projets concurrents. Comme si cette nouvelle procédure effaçait d’un revers de main tout le travail accompli depuis neuf ans dans le Limousin. Il espère prolonger son mandant d’autant que le lieu qui accueille le CDN fête ses 100 ans. Rencontre autour de Labiche et de la décentralisation culturelle
Labiche est un auteur qui se prête à la comédie et vous aimez cela ?
Oui Labiche a délibérément écrit des comédies plus critiques qu’il n’y paraisse. Il a fait des portraits de personnages de son époque en mettant en évidence leurs travers comme Molière ou d’autres écrivains. On le redécouvre périodiquement. J’avais le point de vue de dire que c’était du vaudeville, et puis une lecture attentive montre qu’il porte sur la société de son temps un regard aigu. C’est un livre de Philippe Soupault qui m’a fait découvrir cet aspect là de Labiche que je cataloguait un peu vite dans la comédie de boulevard, et en fait en travaillant on a vu surgir des évidences vivantes.
C’est un auteur qui pastiche son temps. Et vous dans « Embrassons-nous, Folleville ! » vous avez souhaité pasticher certains comédies musicales d’aujourd’hui.
Labiche avait écrit des chansons, donc ce sont ses paroles. Il avait mis cette note dans le texte : « quand on monte la pièce il faut utiliser les airs à la mode ». Donc a fait cela à notre façon. Dom Farkas et Thierry Payen ont écrit une musique originale qui effectivement parodie ce que l’on donne à entendre en ce moment.
Avec le choix d’avoir enregistré les chansons et de les jouer en play back.
Oui c’est une volonté désinvolte de dire finalement tous les comédiens ne chantent pas forcément extraordinairement bien, même si Romane chante très bien, et puis ce qui est important c’est la démarche. C’est une façon de parodier…
C’est un spectacle créé à Limoges qui est en tournée. Est-ce qu’il est important de tourner les spectacles pour les « rentabiliser » ?
C’est difficile aujourd’hui, même si en dirigeant un Centre Dramatique National il y a des capacités de production que les compagnies n’ont pas forcement. Cela dit la diffusion réellement dans les salles parisiennes reste une difficulté pour tout le monde, c’est difficile de montrer son travail. Et puis il y a des difficultés financières dans le monde de la diffusion culturelle, cela ne facilite pas le travail
Et monter une tournée, c’est difficile ?
Oui c’est un gros travail pour les équipes. C’est plus difficile encore lorsque l’on travaille sur un auteur contemporain méconnu c’est encore plus compliqué.
Labiche avec Romane Bohringer ça ce diffuse mieux ?
Sans doute mais il faut faire attention cela ne suffit pas. Moi je n’ai pas choisi Romane pour cette raison. J’avais envie de donner un regard singulier d’aujourd’hui sur Labiche avec ces acteurs là. Romane c’est notre cinquième collaboration, comme la plupart des comédiens. C’est un plaisir de lancer un spectacle comme cela, mais cela nous aide. Et Romane défend le spectacle, elle est le leader de la troupe.
Justement cette troupe, vous aimez vous entourer de gens proches
A chaque fois il y en a des nouveaux, Matthieu Rozé c’est la première fois que je travaille avec lui. C’est comme un corps vivant qui bouge et qui évolue. Mais j’adore reprendre des collaborations. Il y a des acteurs avec lesquels je n’ai pas travaillé depuis deux ou trois spectacles et que je retrouverai volontiers sur une prochaine production. On sait que l’on est en complicité, cela va vite, on partage une façon de travailler et une exigence particulière dans l’incarnation, le fait de chercher de l’authenticité dans le jeu. Dans ces conditions les répétitions deviennent une vraie partie de plaisir, même si on ne s’amuse pas tout le temps en montant une comédie. Il y a des fois c’est même angoissant. On a ri au depuis le début des répétitions et puis avec les semaines on se demande si les gens vont rire. Je ne cherche pas à trouver des gags et des plaisanteries pour faire rire, on essaye que l’auteur et l’action prédominent. Le rire découle de cela.
Vous dirigez depuis 2002, le Théâtre de l’Union qui va fêter son 100ème anniversaire.
Le Centre Dramatique du Limousin a ouvert ses portes il y a vingt ans. Mais il a ouvert ans un lieu centenaire qui a été créé au début du 20ème siècle par les coopérateurs. Ce sont des ouvriers de la porcelaine qui se sont regroupés par solidarité pour acheter des choses moins chères et petit à petit ils ont créé une plus value culturelle. Ils ont créé une bibliothèque et une salle de 6000 personnes. C’était la 2ème plus grande salle après le Rex. On pouvait voir des films, faire des réunions, et cela a été un mouvement fondateur. Aujourd’hui cela a du sens de parler de cela, de la coopération entre les gens, de la solidarité. Le Centre Dramatique en est la subsistance et c’est le cœur battant de cette énergie. Il y a quelque chose qui demeure de cet espoir et de cette utopie.
Et pour fêter les 100 vous demandez aux gens d’aller puiser dans leurs souvenirs pour ramener des photos et des choses qui racontent le lieu…
Il y a plein de gens qui disaient, « ah ben l’Union, j’y allé, j’y ai vue Autant en emporte le vent, Docteur Jivago, j’y ai vécu ceci. » Du coup on leur demande de nous raconter des histoires, de nous prêter des photos, et cela se répand dans le Limousin. Les gens ont envie de témoigner. On a envie de montrer les traces.
C’est le passé industriel et la culture qui se mêlent en fait.
C’est la conséquence de la violence industrielle, les gens étaient très pauvres. Les ouvriers de la porcelaine étaient souvent misérables, et cette tradition culturelle du livre qui existe à Limoges elle passe par cette solidarité qui s’est créée pendant cette période.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
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