Après l’annulation du festival en 2020, Pierre Audi a préparé une édition 2021 exceptionnellement dense (8 productions lyriques dont deux créations mondiales seront à l’affiche du 30 juin au 25 juillet) et placée sous les signes de l’ouverture et du brassage culturel.
« Toutes les productions d’opéras annulées l’été dernier seront reprogrammées au cours des trois ans à venir » a clairement réaffirmé Pierre Audi. En juillet 2021, deux spectacles feront figure de rescapés : Le Coq d’or de Rimski-Korsakov d’abord présenté à L’Opéra de Lyon et conduit par son directeur musical Daniele Rustioni, et Innocence, le cinquième opéra de Kaija Saariaho, une œuvre déjà désignée comme étant la plus ambitieuse de la compositrice finlandaise. « J’ai toujours cultivé une prédilection pour l’innovation musicale et la création. Il y a dans cette pièce très cosmopolite un brassage intéressant de chanteurs et d’acteurs, de langues, de thèmes et de cultures. Au cœur de son propos, on trouve surtout l’émotion et la narration, deux éléments qu’on n’associe pas toujours aisément à la musique contemporaine et qui permettront de toucher le public et la jeunesse. »
Le spectacle sera présenté dans une mise en scène de Simon Stone qui assurera aussi la production de Tristan et Isolde donnée en alternance. Alors que Pierre Audi avait d’abord convié à Aix des talents confirmés mais encore jamais invités (Romeo Castellucci, Ivo van Hove…), il mise cette fois davantage sur une nouvelle génération, un peu moins exposée, en confiant Les Noces de Figaro à la Néerlandaise Lotte de Beer, Combattimento, la théorie du cygne noir à Silvia Costa, ou bien Falstaff de Verdi à Barrie Kosky, toujours moins présent sur les scènes françaises qu’ailleurs. « C’est ce qu’on attend de moi : les choix que je fais justifient l’existence du festival en maintenant sa position internationale et sa vocation d’innovation. Il n’y aurait aucune raison de produire à Aix du théâtre de répertoire et proposer des lectures littérales des classiques. Il faut prendre des risques tout en garantissant une qualité de premier ordre. Ces talents m’attirent d’un point de vue personnel, ils correspondent simplement à ce que j’ai envie de voir comme spectateur. » En revanche, en matière de direction d’orchestre et de distribution, la tendance générale semble davantage portée sur la fidélité. « Il m’est aussi important de faire découvrir de nouveaux noms que de rester fidèle à une histoire, une ADN. Je suis sensible aux relations d’affinités qui ont porté leurs fruits. De grandes carrières de chanteurs et de musiciens se sont forgées au festival d’Aix. »
« On ne peut pas faire de l’opéra comme on fait du théâtre, il faut que cela résonne d’une manière plus sensible et instinctive »
A son arrivée à la tête du festival, Pierre Audi a justement indiqué vouloir s’inscrire dans la continuité du travail de son prédécesseur mais en clarifiant et amplifiant certains enjeux artistiques. Un des gestes forts est celui de l’ouverture à la Méditerranée. La création des Mille Endormis d’Adam Maor s’inscrivait dans cette démarche comme celle à venir de L’Apocalypse arabe du compositeur israélo-palestinien Samir Odeh-Tamimi sur un livret de la poétesse et peintre Etel Adnan. Cette création, par son sujet – la guerre civile au Liban – semble entrer en écho avec le vécu personnel du directeur du festival qui endossera aussi le rôle de metteur en scène. « Le projet ne se monte pas à cause d’un tel aspect biographique. Il s’agit d’une coïncidence. Ce thème de la Méditerranée a été introduit relativement tardivement par Bernard Foccroule. Il me revenait de l’entamer et de le faire exister sans m’en servir comme quelque chose de marginal mais pour en faire une vraie aventure. D’un point de vue artistique, la pièce n’est pas un opéra mais plutôt un oratorio et correspond à ce que j’aime entreprendre depuis des années : la promotion de la musique contemporaine et la fabrication de formes réduites et modernes que j’apparente à des « installations » musicales. »
A la question de savoir si l’opéra doit, ou pourrait, affirmer davantage sa dimension politique, Pierre Audi observe une tendance selon laquelle « les compositeurs pensent la pérennité de leur œuvre en recherchant d’abord à renforcer une dimension poétique. Ils ne restituent pas le monde d’une manière documentaire mais au moyen d’une expression plus abstraite, indirecte, en convoquant les thèmes qui bousculent la société mais en recherchant l’intemporalité, l’universalité. On ne peut pas faire de l’opéra comme on fait du théâtre, il faut que cela résonne d’une manière plus sensible et instinctive. Historien de formation, je sais trop comment l’histoire se décline. Il m’est impossible d’être étonné de l’apparition de tel ou tel événement. Tout fonctionne par cycles qui se répètent à l’infini. Un flot sera dérangé ou contredit par un autre flot. L’art fonctionne de la même manière. Le modernisme existait bien à l’ère de Monteverdi ou chez Mozart. Les grands pionniers de la musique restent des personnages extrêmement vibrants. Ces classiques sont nos contemporains. Aix est justement un endroit qui permet d’apprécier toutes les périodes de l’histoire musicale et leurs échos. »
Alors que le Covid-19 est dans tous les esprits, un autre mal gagne du terrain et se présente comme un barrage à l’art et la création, celui d’une tendance générale au repli sur soi dont le Brexit est un exemple édifiant. Pierre Audi qu’on a toujours défini comme un européen convaincu et un citoyen du monde porte un regard « profondément inquiet sur cette situation. Exilé à l’âge de 17 ans, j’ai migré en Angleterre qui se présentait comme un territoire beaucoup moins convivial qu’au début du 21e siècle. J’ai fondé à Londres le théâtre Almeida en 1979 qui pendant 20 ans à porter des idées fortes d’ouverture et d’internationalisation, justement pour tenter de désinsulariser l’atmosphère culturelle de la ville. Au Holland Festival, à l’Opéra national d’Amsterdam et désormais à Aix, je continue cette croisade partout et observe le bénéfice du brassage et de la célébration des peuples, de la diversité. » Aujourd’hui, ces questions se présentent inévitablement comme une sorte d’étendard et sont portées avec un volontarisme nouveau. « Bien heureusement, je n’ai pas eu besoin de m’adapter à la situation, je l’ai toujours fait. Le festival d’Aix, ses spectacles et l’accompagnement socio-éducatif qui va avec sont des moyens de combattre les idées qui assaillent, sclérosent le monde. Voir revenir Simon Rattle diriger Wagner à Aix et programmer le LSO depuis 4 ans prend désormais une dimension évidemment symbolique. »
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
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