Lundi soir, Jean-Pierre Baro a présenté la saison 2019/2020 du Théâtre des Quartiers d’Ivry, sa première saison depuis sa nomination, qui intervient dans un contexte difficile pour les salariés. L’été n’a pas été de tout repos pour l’équipe du TQI, il a fallu réorganiser la saison, suite au retrait de certains artistes après les révélations de la plainte pour viol déposée à l’encontre de Jean-Pierre Baro et classée sans suite par le Parquet de Paris en 2018. Lundi soir, un collectif féministe est monté sur scène, dans la foulée, il a envoyé un communiqué de presse, que nous avons relayé cette semaine. Philippe Bouyssou, le Maire d’Ivry-sur-Seine s’est aussi adressé à sceneweb, en nous communiquant le discours qu’il a prononcé lors de cette soirée. Nous le publions sous forme de tribune.
Tribune de Philippe Bouyssou, Maire d’Ivry-sur-Seine
C’est une page importante qui se tourne, dans la déjà longue histoire de ce théâtre, ou à tout le moins celle de l’ambition artistique et politique qu’il incarne. Ce sera, en effet, la première saison du TQI sans la présence à sa tête de leurs directeurs historiques, Adel Hakim et Elisabeth Chailloux. Ce duo créatif aura porté, aux côtés de mon prédécesseur Pierre Gosnat, la longue préfiguration de ce que ce lieu représente aujourd’hui pour Ivry, pour le Val-deMarne, et j’ose le dire, pour l’art dramatique et le théâtre en France.
J’évoquais donc une page qu’il nous faut tourner ensemble, mais impossible de ne pas évoquer ces personnes, sans lesquelles nous ne serions pas ensemble ce soir. A une époque où l’on nous enjoint sans cesse au « pragmatisme », où certains gouvernants l’érigent même en philosophie politique – avec les résultats que l’on connait – il y a je crois quelque chose de courageux, parmi toutes celles et ceux qui ont longuement bataillé pour que le TQI soit ce qu’il est aujourd’hui. Ici, encore moins qu’ailleurs, l’action publique, culturelle, ne peut se résumer à des chiffres : elle est aussi, fondamentalement, un pari et un engagement collectif.
Celui des équipes, des artistes, des publics, et bien sûr des auteurs. Ce sont elles et eux qui incarnent ce lieu de spectacle vivant, d’envergure nationale, certes, mais ouvert sur une ville populaire, solidaire et métissée de la métropole parisienne. C’est d’ailleurs, je crois, toute l’ambition du projet artistique de cette saison, initié par Jean-Pierre Baro, que de continuer sur cette voie.
Pour reprendre la métaphore de cette fameuse page que nous devons tourner ensemble… En général, quand on
tourne une page, c’est pour en écrire une nouvelle, parfois même c’est pour commencer un nouveau Chapitre. Un
nouveau chapitre, d’une histoire dont les premières lignes ont été écrites par Antoine Vitez il y a près de cinquante ans. C’est une histoire vivante, en évolution, et qui est loin d’être terminée.
Néanmoins, en m’adressant à vous toutes et tous ce soir, impossible pour moi de ne pas avoir à l’esprit le profond
malaise qui traverse ce théâtre, notre théâtre. J’ai conscience des souffrances, des difficultés concrètes que cette situation provoque, encore aujourd’hui, pour l’ensemble de ses acteurs.
Le spectacle vivant n’est pas exempt – et comment l’aurait il été ? – des débats, des combats sur les rapports de
domination qui structurent notre société… Toute souffrance, a minima ressenti, doit être entendue, et dans la mesure où elle est publique, prise collectivement en considération, dans le respect de chacune et chacun.
Face à cette situation, et par de là les convictions personnelles, il est légitime que soit attendu une prise de
position des « tutelles». Ainsi, il faudrait opter de manière définitive, radicale et unanime, entre un soutien sans réserve au principe de la présomption d’innocence d’une part ; et l’engagement plein et entier dans l’urgente
révolution sociétale qu’il faut conduire pour mettre un terme aux logiques mortifères des dominations patriarcales, d’autre part.
Face à un tel dilemme, qu’on pourrait qualifier de cornélien, pour rester dans le champ lexical du théâtre, la voix de l’équilibre, audible par toutes et tous, est bien difficile à trouver. Elle l’est d’autant plus lorsque la source des difficultés n’est plus uniquement le sujet, mais que les effets produits envahissent tout, et paralysent les capacités d’action.
Et, si chacun doit prendre sa part dans cette lourde tache, je suis tout aussi convaincu qu’un tel travail ne peut
reposer uniquement sur les épaules des premières et premiers concernés, exposés, à de telles douleurs. Ce n’est donc pas fuir ses responsabilités que de porter, avec d’autres, l’exigence de réponses collectives et concertés, pour que l’épreuve que nous traversons ne se reproduise plus, ni ici ni ailleurs.
La réussite de cette saison est donc un véritable défi. Ce sont les valeurs de l’écoute, du travail, de la création et du débat serein et respectueux qui nous permettront de le relever. C’est également le respect de ces valeurs, par toutes et tous, qui servira de boussole « au quart de tutelle » que je représente devant vous ce soir.
C’est bien le projet artistique qui est au cœur de tout, et je suis convaincu qu’ensemble, public, équipe, artistes, pour cette saison et bien au-delà, nous saurons y puiser l’énergie nécessaire pour que vive le Théâtre des Quartiers d’Ivry.
Philippe Bouyssou, Maire d’Ivry-sur-Seine
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