Coutumière des performances hors du commun, la patronne de la Compagnie Non Nova orchestre une opération de construction-destruction d’un Parthénon miniature qui parvient à convaincre grâce à sa puissante charge symbolique.
À l’aube d’élections européennes incertaines, Maison Mère tombe à point nommé. Créée fin 2017 à la Documenta 14 de Kassel, la première partie de la trilogie des Contes immoraux a sans doute encore plus d’écho aujourd’hui qu’elle n’en avait hier. Habituée aux performances hors-norme, Phia Ménard endosse elle-même les habits d’une superwoman-punk-bricoleuse, à l’air mal aimable, pour faire du plateau de la salle transformable des Amandiers-Nanterre un immense chantier de construction.
Partie d’un simple aplat de carton pré-découpé, qu’elle scrute telle une catcheuse prête à en découdre, la performeuse ne ménage pas ses efforts pour le transformer, étape après étape, en un Parthénon miniature. Armée de quelques cales et d’un rouleau de scotch, dont elle découpe des morceaux à dents nues, elle assemble progressivement la matière et lui donne une forme reconnaissable entre mille. L’entreprise suppose un geste plus précis qu’on ne le pense. À mesure qu’il se construit, l’édifice devient de plus en plus fragile, et menace à tout moment de rompre, puis de s’effondrer, tel un château de cartes. D’abord seulement méticuleuse, la performance, soutenue par un décor incroyablement pensé, devient de plus en plus laborieuse. L’artiste examine, scotche, rescotche, solidifie. Et c’est là, dans les dernières encablures, qu’elle emporte véritablement le public, attiré par le suspense de cette réalisation qui n’adviendra peut-être pas. Amplifiée par des micros qui capturent les sons pour les redistribuer, la tension se fait plus pressante, et semble emplir Phia Ménard de force, jusqu’à ce que le bâtiment soit définitivement sur pied, coups de tronçonneuse pour en sculpter les colonnes à l’appui.
Sauf que, tel Sisyphe arrivé au sommet de sa montagne, la bâtisseuse a à peine le temps de profiter, de jouir pleinement du travail accompli, que le monument est soumis à une pluie torrentielle. Sous son regard désinvolte, il tient dans un premier temps le choc, jusqu’à ce que le carton, imbibé, se déchire, et emporte avec lui l’ensemble, éventré au beau milieu de la scène. Dans une ambiance post-apocalyptique, Phia Ménard ne fait alors preuve d’aucun sentiment et déambule, telle une championne roulant des mécaniques, dans ce symbole de la démocratie européenne, devenu ruine.
L’image est forte, puissante, et a tout de la métaphore scénique qui reste en mémoire. A l’image de cette Europe que les peuples ont mis des siècles à bâtir, la construction de ce Parthénon miniature fut longue, fastidieuse, mais ce qui a pris plus d’une heure à être édifié met une dizaine de minutes à être ruiné par les éléments déchaînés. Derrière ce déluge, peut se nicher une allégorie du dérèglement climatique qui menace les démocraties, et à plus long terme l’humanité ; mais aussi de ces populismes qui déferlent et s’insinuent dans les moindres pores d’une alliance européenne qui pourrait se disloquer une fois totalement contaminée. Aux spectateurs, Phia Ménard semble dire : « La maison Europe se détrempe et vous regardez ailleurs ». À eux, désormais, d’agir pour endiguer l’effondrement.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère
Un spectacle de Phia Ménard / Cie Non Nova
Ecriture et dramaturgie Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault
Scénographie et interprétation Phia Ménard
Composition sonore et régie son Ivan Roussel
Costumes et accessoires Fabrice Ilia LeroyProduction Compagnie Non Nova
Coproduction Documenta 14 – Kassel et Le Carré, Scène nationale et Centre d’Art contemporain de Château-Gontier
La Compagnie Non Nova est conventionnée et soutenue par l’État, Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, la Ville de Nantes et le Conseil Régional des Pays de la Loire. Elle reçoit le soutien du Conseil Départemental de Loire-Atlantique, de l’Institut Français et de la Fondation BNP Paribas.La Compagnie Non Nova est artiste associée à l’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, au Théâtre Nouvelle Génération – Centre Dramatique National de Lyon, au Théâtre National de Bretagne et artiste-compagnon au Centre chorégraphique national de Caen en Normandie.
Durée : 1h30
Théâtre des Bouffes du Nord du lundi 24 février au dimanche 1er mars 2020
6 au 8 mars 2020 : Festival MITS, Sao Paulo, Brésil
28 mars 2020 : Malraux, Scène nationale Chambéry Savoie, Chambéry
7 et 8 avril 2020 : Le Quartz, Scène Nationale de Brest, Brest
5 mai 2020 : Théâtre des Quatre Saisons, Scène conventionnée Musique(s), Gradignan
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