En se faisant aussi bien auteurs qu’enquêteurs, Elise Chatauret et Thomas Pondevie ont rencontré et interrogé tout un panel de personnes racontant leurs rapports au père, avant de signer un spectacle voulu comme un état des lieux, à la fois ludique et pédagogique, amusant et pertinent, des différentes paternités.
Après avoir traité de la fin de vie, du milieu hospitalier ou encore de la ruralité, les deux artistes de la compagnie Babel, Elise Chatauret et Thomas Pondevie, poursuivent leur démarche de fabrication d’un théâtre documenté toujours hyperconnecté au réel, aux territoires et aux grands thèmes de société. En réponse à une commande du Théâtre de la Poudrerie à Sevran, ils sont cette fois partis investiguer le thème de la famille. Ils ont réalisé des entretiens, interrogé un an durant des habitants de Sevran, Malakoff et des alentours pour constituer la matière de leur nouvelle création. Après avoir constaté que seules des femmes répondaient spontanément à leurs sollicitations, ils ont fini par décider de traiter leur thème du point de vue des hommes.
La pièce est jouée par deux excellents comédiens, Laurent Barbot et Iannis Haillet. Avec empathie et complicité, ils prêtent leur corps et leur voix à toutes les individualités interrogées. Subtilement, ils donnent à entendre les témoignages récoltés, mais se racontent aussi personnellement. Ainsi, ils rendent compte de l’intimité et de la diversité du sujet convoqué. Interroger les paternités, c’est cartographier une quantité de rapports au monde et d’expériences de l’altérité. Le spectacle se présente donc comme une succession d’instantanés évoquant de multiples histoires, personnalités et idées.
D’emblée, paternité rime avec autorité. Le patriarche inspire la crainte tant il fait preuve de sévérité. Figure stricte voire tyrannique, il se montre résolu à pourvoir aux besoins matériels de sa famille, mais revendique une certaine volonté de mise en retrait, délégant sans complexe à sa femme le travail domestique comme l’éducation des enfants. A l’inverse, le papa-poule, bien moins old school, refuse de perpétuer un tel rapport de force dominant / dominé, mais tient, au contraire, à y substituer un modèle fondé sur l’égalité et l’affectivité. La pluralité des histoires recensées et des différents points de vue adoptés témoignent d’une incontestable évolution, quoiqu’encore perfectible, de la société. Le spectacle reflète une ouverture des esprits et des pratiques et tend à repenser, déconstruire et dépasser les schémas et les clichés liés notamment à la notion de virilité. Fini « Monsieur gagne-pain et Madame au foyer », et place désormais au progrès !
Le dispositif scénique, suffisamment simple et souple pour être rapidement installé dans des théâtres, des écoles ou des appartements où le spectacle se joue également, se présente comme un grand mur d’archives, sorte de tableau d’école ou de carte du crime, sur lequel s’affichent les indices et les preuves des questions élucidées. En renonçant au moindre jugement et en rendant compte d’une belle diversité, le spectacle aiguise l’esprit critique du spectateur et lui donne matière à penser. On retient de cette proposition l’impossibilité de voir se cantonner la question de la paternité aux traditions et conventions, mais bien la nécessité de l’interroger en suivant l’évolution de la société.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pères
Écriture, dramaturgie et mise en scène Élise Chatauret et Thomas Pondevie, à partir d’entretiens réalisés avec des habitants de Sevran et de Malakoff
Avec Laurent Barbot et Iannis Haillet
Scénographie Charles Chauvet et Jori Desq
Conception graphique, costumes Charles Chauvet
Régie générale, conception technique Jori Desq
Création sonore Maxime Tisserand
Lumières Léa Maris
Stagiaire mise en scène, dramaturgie Vladia MerletProduction Compagnie Babel / Théâtre de la Poudrerie – Sevran
Coproduction Malakoff Scène nationale ; Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN ; Les Ateliers Médicis, La Manufacture, CDN Nancy-Lorraine
Avec l’aide du département de la Seine-Saint-Denis. Avec le soutien du Théâtre de la Tempête et du Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne.Durée : 1 heure
8 novembre 2023
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