Nina Santes nous convie dans Peeling back à un rituel troublant entre peeling et mutilation, où résonne des voix d’outre-tombe. Dans cet espace ambigu, entre salon de beauté et monstre de science-fiction, les discours du bien-être cohabitent avec une esthétique body horror. Un écrin immersif où jaillit la violence de la misogynie.
A peine entré dans l’institut de beauté de Nina Santes, on sent qu’il est peuplé de fantômes. La chorégraphe recouverte d’une tenue moulante beige, sorte de bandages, encore dissimulés sous un peignoir blanc, s’adresse à nous, prend des allures de gourou. En 2022, elle amorce le cycle Beauty Glow Tanning Studio, un projet artistique qu’elle imagine comme un lieu-hôte, un organisme vivant semblable à une créature de science-fiction. Peeling Back est le premier volet de cette trilogie, qui met en scène ce lieu conçu pour digérer les violences patriarcales. Dans une scénographie immersive, se mêlent body horror et parodie des espaces de bien-être dédiés aux femmes, pour exposer les violences sexistes.
On entend des quatre coins de la pièce une voix robotique doublée d’un écho guttural répéter “Welcome to the beauty glow tanning studio”. Adepte des pièces vocales, à l’instar du cabaret bruyant A Leaf (2016) et du concert de sorcières HYMEN HYMNE (2018), Nina Santes crée à nouveau une atmosphère sonore qui génère des métamorphoses. Assise au milieu d’une installation aux néons roses, elle semble mimer un gommage ou un peeling violent à coups de rotation des mains autour du visage, alors que résonne des bruits assourdissants, comme un jet d’eau puissant. Surgissent alors des visions de body horror digne d’un Cronenberg, version female gaze. Dans un rituel de beauté proche de la torture, elle se mue ou peut-être s’écorche – la limite est difficile à déterminer – et décolle des lambeaux de peau, crache du liquide, ou se déleste des couches de justaucorps moulant en mailles synthétiques. Le reflet de la danseuse dans les différents côtés de la structure rose qui l’entoure, fragmentant son image, ajoutent une dimension inquiétante à cette atmosphère de film d’horreur.
Ce résultat tranche avec les messages introductifs façon marketing new-age qui promettait une “alchimie de méthodes traditionnelles et avant-gardiste”. Nina Santes instaure un équilibre troublant entre l’esthétique du soin, de la cosmétique et du féminin (où tout est rose) et celui de la violence fait aux corps. Pas seulement pour dénoncer les violences sexistes ou créer un décalage comique, mais aussi imaginer une purge des méfaits du patriarcat par cet organisme fictif. Elle se plaît à cultiver des zones de flous, qui résonnent aussi à travers ses gestes déroutants, précis, ondulants, ses démarches étranges, témoignant toujours de la rigidité d’un corps contraint.
Tout comme elle, cet organisme mi-oppressif, mi-protecteur – représenté par le dispositif quadri-frontal – nous piège. Ce spectacle englobe, oppresse, fascine, dégoûte, jusqu’à nous pénétrer – lorsqu’on avale le contenu des fioles distribuées censé “nous aider à digérer ce que l’on vient de voir”. La chorégraphe finit toutefois par pousser de rage les frontières de cette cage écrasante, ultime émancipation, peut-être pour tenter de déjouer le sens de l’histoire qui se répète inlassablement.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Peeling back
Conception, interprétation : Nina Santes
Collaboratrice dramaturgie : Lynda Rahal
Scénographe : Bia Kaysel
Costumes et accessoires : Roberto Martinez
Stagiaire scénographie et costumes : Apolline Jolly
Création lumière : Annie Leuridan
Création sonore : Nicolas Martz
Régie générale : Matéo Provost
Construction décor : Eliott Forest et Clément Doyen
Production, développement : Barbara Coffy-Yarsel
Production, communication : Léa Turner
Avec les présences vocales : Bia Kaysel, Marina Hoisnard, Mathilde Forget,
Maeva Santes, Marie-Claire Charvet, Sylvie Pattou
Production
La Fronde – Nina Santes & Eve Magot
La Fronde est une association soutenue par la DRAC Île-de-France
Coproductions
CCN2 Centre chorégraphique national de Grenoble, CCNO Centre chorégraphique
national d’Orléans, Le Manège, scène nationale-Reims, Gessnerallee – Zurich, avec
le soutien des Hivernales – CDCN d’Avignon
Nina Santes bénéficie du dispositif Artiste Associée mis en place par le Ministère de
la Culture, au Centre Chorégraphique National d’Orléans de 2021 à 2023. Nina
Santes ainsi que La Fronde sont également associés au Manège, scène nationale-
Reims, de septembre 2021 à juin 2024.Durée : 1h20
1 -3 mars 2023
Festival DañsFabrik, Le Quartz, Brest
28 mars 2023
Le Manège, scène nationale-Reims
8 Juin 2023
Festival June Events, Atelier de Paris / CDCN
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