Dans un paysage devenu théâtre, Stefan Kaegi et Caroline Barneaud orchestrent sept performances in situ. Au fil de cette randonnée-spectacle de sept heures, on croise Emilie Rousset, Chiara Bersani, Marco D’Agostin, Ari Benjamin Meyers, El Conde de Torrefiel, Bergum Erciyas et Daniel Kötter. Une plongée dans la Nature, qui nous exhorte à changer de perspective. Créé à Lausanne, le spectacle débarque au 77e Festival d’Avignon.
Et si le paysage en était un de théâtre ? Voilà la question qui guide cette traversée collective “entre champs et forêts”, comme le mentionne la feuille de salle, qui a la forme d’un plan pour nous orienter dans cette traversée. Orchestré par Stefan Kaegi du collectif théâtral berlinois Rimini Protokoll et Caroline Barneaud, curatrice au théâtre, le projet se prête à interroger nos relations (visiblement dégradées) à ce qu’on appelle communément la Nature, à l’heure du dérèglement climatique, de l’épuisement des ressources, de la biodiversité décimée… Autant d’incertitudes sur nos conditions d’habitat de la Terre.
On pense à June Events et aux Rencontres chorégraphiques qui exploraient, l’année passée, nos liens aux écosystèmes et aux paysages grâce des pièces en extérieur. Ici, l’idée est similaire, mais le projet bien plus ambitieux : sept heures de balade (durée effrayante de prime abord, mais tout à fait supportable), où se déplient sept performances d’artistes de plusieurs nationalités et disciplines. Chaussures de randonnée aux pieds, casque sur les oreilles et pique-nique sur le dos, des dizaines de spectateurs découvrent un slow théâtre, sous la forme de randonnée, qui les exhorte à changer en permanence de perspective.
De prime abord, on voit que le corps des artistes est souvent absent des paysages, ou discrets, laissant la place à celui des spectatrices et spectateurs. Les pièces sont souvent sonores, comme une sieste sous les arbres signée Stefan Kaegi, où l’esprit vagabonde dans les sommets, bercé par une conversation aux accents existentiels. Les corps sont invités à bouger, le duo portugais Sofia Dias et Vitor Roriz, qui nous ordonne dans le casque de faire des rondes et des bruits d’oiseaux. Parfois, ils sont juste portés par les interludes musicaux de Ari Benjamin Meyers, liant sonore de cette galaxie performative. Manière, peut-être, de mettre en scène une relation plus directe au paysage ? Ou de laisser les individus de cette communauté randonneuse se lier ?
La cime des arbre (Stephan Kaegi), le dessin des vallées (Emilie Rousset), la densité du sous-bois (Chiara Bersani et Marco D’Agostin), le paysage vu du ciel (dans l’expérience en réalité virtuelle de Bergum Erciyas et Daniel Kötter) se font scénographies. Dans ce théâtre, on se sent petit, observé par le reste du vivant, à la fois acteurs, spectateurs, décor et habitants. Une impression confirmée par le sermon d’une “Nature” omnisciente, sur écran noir, de la performance d’El Conde de Torrefiel. L’objectif apparaît assez limpide : questionner l’anthropocentrisme, mais aussi un point de vue dominant, valide et urbain (la majorité du public), en partageant un pique-nique avec Swan, ado en chaise roulante, en écoutant un récit d’agriculteur ou en se mettant à la place d’animaux, végétaux et minéraux.
Land art performatif ? Loin d’être un retour à la nature idyllique, ce paysage partagé est tout de même bien balisé, prenant des allures de colonie de vacances ou de séjour touristique, où l’on suit un référent armé d’un drapeau de couleur. Il devient même un poil autoritaire, lorsque qu’il impose de se sentir comme un animal et végétal chez Sofia Dias et Vitor Roriz. Toutefois, ce Paysages partagés a le mérite de nous laisser prendre le temps de nous imprégner de notre environnement, des variations de luminosité, de température et de la densité de l’air. L’imprévu et la grâce surgissent dans les interstices de cette balade : l’odeur de l’humus du sous-bois, les clapotement des sabots d’un cheval sur le macadam, une araignée qui chatouille le bras ou la douceur pastel d’un arc en ciel.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Paysages partagés, sept pièces entre champs et forêts
Conception et curation Caroline Barneaud, Stefan Kaegi
Pièces de Chiara Bersani et Marco D’Agostin, El Conde de Torrefiel, Sofia Dias et Vítor Roriz, Begüm Erciyas et Daniel Kötter, Stefan Kaegi, Ari Benjamin Meyers, Émilie Rousset
Avec Corentin Combe, Thomas Gonzalez, Emmanuelle Lafon, Clément et Guillaume Papachristou, les musiciens Maxime Atger en alternance avec Anton Chauvet, Amandine Ayme (saxophones), Julien Berteau (trombone), Téoxane Duval (flûte), Leïla Ensanyar (trompette), Ulysse Manaud (tuba), et les voix de Henri Carques, Febe Fougère, Charles Passebois, Sylvie Prieur, Oksana Zhurauel-Ohorodnyx
Accompagnement dramaturgique pour le projet d’Emilie Rousset Elise Simonet
Direction musicale Daniel Malavergne
Costumes Machteld Vis
Accessoires Mathieu Dorsaz
Coordination de Performing Landscape Chloé Ferro, Monica Ferrari, Lara Fischer (Rimini Protokoll)
Assistanat artistique Giulia RumasugliaProduction Rimini Apparat (Allemagne), Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
Production locale Festival d’Avignon
Coproduction Bunker et Mladi Levi Festival (Slovénie), Culturgest et Rota Clandestina – Câmara Municipal de Setúbal (Portugal), Tangente St. Pölten – Festival für Gegenwartskultur (Autriche), Temporada Alta (Espagne), Zona K et Piccolo Teatro di Milano Teatro d’Europa (Italie), Berliner Festspiele (Allemagne), Festival d’Avignon
Avec le concours de la ville de Pujaut
Avec le soutien de Camões Centre culturel portugais à Paris pour la 77e édition du Festival d’Avignon
Cofinancé par l’Union Européenne
En partenariat avec INVR pour les lunettes de réalité virtuelle
Résidence Parc naturel du JoratDurée : 7h
Festival d’Avignon 2023
Pujaut
du 7 au 16 juillet (sauf le 14) à 16h
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