Version hybride de la pièce de Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain (Un arrangement) offre aux quatorze élèves-comédiens de l’Ecole du Nord un impeccable écrin où ils peuvent montrer l’étendue de leur talent.
Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce est une contrée située à la croisée d’une multitude de chemins. Pièce testamentaire, achevée une semaine avant la mort de son auteur, elle conjugue les souvenirs passés au présent, invite les morts chez les vivants et mélange les deux familles du dramaturge, celle qu’on lui avait imposée et celle qu’il s’était choisie. Avec l’aide de Christophe Pellet et des deux élèves-auteurs de l’Ecole du Nord, Haïla Hessou et Lucas Samain, Christophe Rauck a décidé d’y ajouter un ultime croisement, textuel celui-là.
Pour offrir un rôle à chacun des 14 comédiens qui compose la promotion 5 de l’école qu’il dirige, le metteur en scène est allé piocher au cœur d’autres textes de Lagarce. Dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, il est allé chercher le personnage de Béatrice, une autre sœur de Louis ; dans Nous, les héros, Madame Tschissik, un ersatz de coryphée antique qui commente le spectacle en cours de création ; et dans Journal 1 et 2, carnets de bord intime du dramaturge, Lagarce lui-même, empli de doutes et, en même temps, pétri de certitudes par rapport à la pièce qu’il est en train d’écrire. Cet « arrangement » dramaturgique était osé, il est, en tout point, limpide, fin dans sa réalisation, et fait du Pays lointain, pourtant amendée, une œuvre encore plus augmentée qu’elle n’était.
Surtout, il donne à chaque membre de cette troupe de jeunes comédiens l’occasion de trouver un personnage à son pied – avec un rôle hypertrophié par les tirades monologuées chères à Lagarce – d’exploiter son savoir-faire, d’avoir ses mots à dire, et quels mots. Circulaire, la langue lagarcienne est d’une beauté aussi ravageuse que périlleuse. Elle semble bégayer, trébucher sur elle-même, pour mieux affiner la pensée, faire, par le langage, advenir le réel, concrétiser ces révélations que les personnages hésitent encore à prononcer.
Ce doute, les quatorze acteurs de l’Ecole du Nord l’expriment avec doigté et vivacité. Habilement dirigés par Christophe Rauck, ils insufflent, par leur fourmillement scénique, une dose de vie à cette famille rongée par la mort. Aussi élégante que modulable, la scénographie les invite à occuper tout l’espace par leur présence, guidés par les lumières tantôt spectrales, tantôt chaleureuses, d’Olivier Oudiou, selon que la parole soit accordée aux morts ou aux vivants. En Louis ombrageux et en Longue Date protecteur, Etienne Toqué et Cyril Metzger mènent, de par leurs rôles omniprésents, logiquement la danse, mais Victoire Goupil en mère aveugle, Mathilde Méry en Suzanne combative, Adrien Rouyard en Antoine blessée, Claire Catherine en Catherine faussement candide, Alexandre Goldinchtein et Corentin Hot, en duo guerrier-garçon, et Margot Madec en flamboyante Madame Tschissik tirent aussi leur épingle du jeu. Tous prouvent, grâce à leur niveau, que ces projets « de sortie d’école » sont bien des spectacles comme les autres, et qu’ils ont plus que leur place au Festival d’Avignon.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Pays lointain (Un arrangement)
Spectacle de fin d’étude des élèves de l’Ecole du Nord
Texte d’après Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Christophe Rauck
Avec Peio Berterretche, Claire Catherine, Morgane El Ayoubi, Caroline Fouilhoux, Alexandra Gentil, Alexandre Goldinchtein, Victoire Goupil, Haïla Hessou, Corentin Hot, Margot Madec, Mathilde Méry, Cyril Metzger, Adrien Rouyard, Lucas Samain, Etienne Toqué, Mathias Zakhar
Adaptation et dramaturgie Haïla Hessou et Lucas Samain (élèves-auteurs de l’Ecole du Nord), sous le regard de Christophe Pellet
Vidéo Carlos Franklin
Son Xavier Jacquot
Lumière Olivier Oudiou
Costumes Coralie SanvoisinProduction Théâtre du Nord Centre dramatique national de Lille Tourcoing Hauts-de-France, Ecole du Nord / Avec le soutien de la Région Hauts-de-France, du ministère de la Culture, de la métropole européenne de Lille et de la ville de Lille / En partenariat avec Le Fresnoy Studio national des arts contemporains
Durée : 2h15
Festival d’Avignon 2018
Benoît-XII
Du 20 au 23 juillet
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