C’est un spectacle hybride et mutant qu’ont conçu Nicolas Liautard et Magali Nadaud. Une pièce qui résonne étrangement avec l’époque et aborde des sujets d’une actualité saisissante. Pangolarium superpose les pistes narratives, les écrans virtuels à la réalité du plateau pour mieux nous immerger dans son univers et nous inviter à la réflexion.
Un an qu’on l’attendait ce spectacle intrigant, rescapé de multiples annulations et d’une année covidée dont on essuie encore les plâtres. Un an qu’il attendait de dévoiler enfin au public sa fable troublante aux allures prophétiques. Une adolescente vit cloîtrée chez elle, seule avec son père, au 36ème étage d’un immeuble. Elle ne connaît du monde extérieur que le ciel de sa fenêtre et ce qu’elle en apprend via les livres qu’elle compulse et internet, source infinie de connaissances. Curieuse, éveillée et particulièrement intelligente pour son âge, elle ne cesse de surprendre son père par ses questionnements et la maturité de sa pensée. Dotée d’un bras recouvert d’écailles, on suppose que son confinement est lié à sa difformité physique, à cette hybridation avec l’animal surprenante. Mais nous n’en dirons pas plus ici, il serait dommage de spoiler un spectacle tout de mystère charpenté qui avance ses pions au compte-goutte, sème ses indices autant que ses énigmes et de ce fait, captive de bout en bout. D’autant plus qu’il s’agit là d’un premier épisode qui nous tient suffisamment en haleine pour qu’on ai envie de découvrir la suite au plus vite. Mais il faudra patienter tout de même.
Imaginé à quatre mains par Nicolas Liautard et Magalie Nadaud, Pangolarium s’ancre dans le monde d’aujourd’hui tout en ayant l’air d’évoquer le futur. Avec ses airs de science-fiction, ses références à la pop culture, son dispositif numérique superposant les écrans, il impose une esthétique extrêmement léchée et technologisée peu fréquente dans la création jeune public. Visuellement, c’est remarquable. Le film projeté dont les génériques ouvrent et clôturent le spectacle happe d’emblée.
La scénographie judicieuse (très belle réalisation de Damien Caille-Perret) nous mène de la cuisine de l’appartement à l’obscurité de la forêt en passant par la salle de réunion de l’agence où travaille le père généticien. Elle accompagne le parcours d’éclosion de la jeune fille qui passe du dedans au dehors comme une sortie de chrysalide inattendue. Tous les éléments de la mise en scène concourent à mettre en espace les mutations à l’œuvre dans le récit et démultiplier l’un des sujets forts de la pièce abordé lors des conversations en tête-à-tête de la fille avec son père : le vrai et le faux ne sont pas si aisément discernables et les mécanismes de la croyance nous font parfois naviguer en eaux troubles. En cela, le spectacle déroule son intrigue et ses différentes strates comme un polar, aucun dialogue n’est anodin, le spectateur est tenu en haleine.
Pris dans une posture contradictoire entre la fascination pour cette histoire énigmatique et une activité cérébrale intense pour reconstituer le puzzle narratif, le public est à la fois hypnotisé et actif. L’histoire, fantastique, ludique et philosophique, déploie ses arcanes avec intelligence et poésie tandis que la multitude des références qui la composent, du Cosplay à L’Iliade et L’Odyssée, en passant par un poème d’Edgar Poe, les écrits de Buffon, Charles Fourier ou La Vie des abeilles de Maeterlinck, tisse une toile fascinante où puiser matière à rêverie autant qu’à réflexion. Ce spectacle, remarquablement mené, est d’une beauté troublante.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Pangolarium
Texte et mise en scène, Nicolas Liautard, Magalie Nadaud
Avec Sarah Brannens, Jean-Charles Delaume, Jade Fortineau, Fabrice Pierre, Célia Rosich
Scénographie, création numérique et réalisation du lucanus cerf-volant, Damien Caille-Perret
Création lumière, César Godefroy
Univers sonore, Thomas Watteau
Vidéaste, Christophe Battarel
Prothèse, Anne Leray
Costumes, Sara Bartesaghi Gallo, Simona Grassano
Régie générale et lumière, Muriel Sachs
Régie plateau, Emeric Teste
Production Robert de profil
La colonie (série)
Réalisation et montage, Christophe Battarel
Image et étalonnage, Cyril Battarel
Assistante chef-opérateur, Fanny Bégoin
Musique et mixage, Thomas Watteau
Avec la participation à l’image d’Ivan Casian, Jürg Häring,
Emel Hollocou, Swann Kébaïli, Amanda Wang, Noé Battarel, Aline Mauranges, Hélène Lapillonne, Alexandre Lapillonne, Catherine Loheac, Françoise Lestienne, Guy Chapus, Monique Duizabo, Olivier Duizabo
Production Robert de profil
Coproduction Théâtre Paris-Villette ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de la Fondation des Artistes / MABA – Maison d’Art Bernard Anthonioz, le Théâtre de la Tempête à Paris et La Colonie de Condé-sur-Vesgre
Action financée par la Région Île-de-FranceDurée 1h15
A partir de 9 ansThéâtre Paris Villette
du 21 avril au 8 mai 2022
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