Avec son seule en scène Pamina de Coulon déploie une parole où la pensée est en marche. Un travail inclassable, généreux et stimulant tant dans son propos, sa forme que son adresse.
Si vous avez déjà assisté à un spectacle de Pamina de Coulon, il y a des chances qu’il vous en reste – même des années plus tard – un diffus sentiment de trouble et de fascination mêlés. Car, depuis 2014, l’autrice et performeuse suisse formée à la Haute école d’art et de design de Genève déploie une recherche transdisciplinaire singulière où chacune de ses créations résonne avec les précédentes. Qu’il s’agisse de performances, de publications ou d’autres propositions, ces productions sont réunies sous l’intitulé FIRE OF EMOTIONS. Comme elle l’explique elle-même, il s’agit de passer « la théorie et les expériences au grand feu des émotions qui horizontalise tout et qui ouvre des portes d’accès là où on n’en voyait pas encore. C’est suivre la philosophe Isabelle Stengers et s’autoriser ‘à donner à ce qui nous touche le pouvoir de nous faire penser’. » Un geste que l’on retrouve dans NIAGARA 3000, quatrième opus des FIRE OF EMOTIONS.
Comme les précédents, ce dernier-né est scénographiquement teinté de DIY (Do it yourself) : deux gros poufs, une drôle de sculpture biscornue (une pierre ?), quelques tissus aux couleurs douces constituant le décor du fond de scène – et représentant de façon extrêmement stylisée et naïve les chutes du Niagara. Cette position de modestie se retrouve également dans l’adresse et le propos. Pamina de Coulon n’incarne pas de personnage, pas plus qu’elle ne se positionne comme une conférencière détentrice d’un savoir et venue le dispenser à ses ouailles. Dans une adresse à hauteur de chacun.e, vêtue d’un short et d’un t-shirt, quelques paillettes sur le visage, elle partage avec nous ses réflexions, ses cheminements, ses émotions.
Soit pour NIAGARA 3000 des questions liées à l’écologie qu’elle embrasse sans aucune prétention à l’exhaustivité. Dans un cheminement suivant l’association libre – et autorisant potentiellement en face une écoute parfois flottante –, elle évoque le tourisme de masse aux chutes du Niagara – et les effarantes conséquences de celui-ci sur ce site –, le nucléaire envisagé comme énergie verte et la gestion de ses déchets, les aberrants paradoxes des « parcs nationaux », ou encore les « bunkers de la honte » à Genève – renvoyant au projet cynique de loger des personnes en demande d’asile dans d’anciens bunkers et à son annulation, afin de conserver ces lieux libres en cas de catastrophe nucléaire.
En somme, c’est un sacré paquet de paradoxes, contradictions et autres dissonances cognitives que le spectacle déplie. Et ce que l’on retrouve, outre la position d’énonciation, la modestie et l’humilité formelle, et l’entremêlement des références, c’est une parole très singulière. Pamina de Coulon dit pratiquer un « essai parlé », soit une forme fondamentalement orale, s’ancrant dans des expériences intimes, qu’elles soient politiques, militantes, artistiques ou amicales, comme dans des réflexions. Le résultat est une logorrhée folle, fascinante par ses mouvements, son art de relier concepts, émotions, références, citations ou évocations d’artistes et d’intellectuel.les. C’est à la fois un art du conte renouvelé – qui articule des expériences intimes et celles d’autrui – et déplacé – en tant que non-fictionnel – et un stand up déceptif en ce qu’il ne va jamais chercher la punchline efficace.
Face à sa présence et sa capacité à tenir l’auditoire sans aucun surplomb, naît un attrait fort, renforcé par cette écriture stimulante, précise, rhizomatique et extrêmement bien articulée – nombre d’éléments entrant progressivement en résonance. Si certaines réflexions peuvent de loin en loin décontenancer par leur banalité ou leur trivialité abyssales – style « Quand on parle de la mort, on parle de la vie » –, peut-être faut-il y voir la volonté de l’artiste d’assumer sans fard ses fragilités théoriques, ses doutes, ses lacunes. Et quoique l’on puisse être quand même un brin réservé sur cette volonté de tout « horizontaliser », en ce que l’écueil est parfois d’aboutir à des mises en équivalence évidant la complexité de sujets, NIAGARA 3000 n’en est pas moins passionnant par sa générosité, sa mise en partage de savoir et d’expériences, comme par la relation que l’artiste élabore avec la parole et avec le public.
La façon dont cette parole prend corps pour mettre en mouvement Pamina de Coulon est saisissante, tout comme la densité de ce discours qui semble investir tout l’espace. À l’image du document distribué à la sortie du spectacle – et listant les références convoquées –, l’on a progressivement le sentiment de voir se déployer au fil de la représentation la carte d’un paysage. Ce territoire aux courbes, reliefs, routes et autres chemins de traverse sensibles, intimes, conceptuels et théoriques, NIAGARA 3000 nous invite à l’arpenter en toute liberté.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
FIRE OF EMOTIONS – NIAGARA 3000
Recherche, écriture, conception et jeu Pamina de Coulon
Décor Pamina de Coulon, Alice Dussart
Lumières Alice DussartProduction BONNE AMBIANCE
Coproduction Le Magasin des Horizons, Grenoble et Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, LausanneDurée : 1h
Festival Off d’Avignon 2024, dans le cadre de la Sélection Suisse en Avignon
La Manufacture
du 6 au 14 juillet (relâche les 10 et 11), à 13h45Le Pommier, Neuchâtel
les 15 et 16 janvier 2025Le Centquatre-Paris, dans le cadre du Festival Les Singulier·es
du 11 au 13 févrierThéâtre d’Orléans
du 25 au 27 févrierACB, Scène nationale de Bar-le-Duc
le 28 mars
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