Avec On m’a trouvée grandie…, créé dans le cadre de la 15ème édition du festival SPRING, la compagnie 14 : 20 met la magie nouvelle au service d’un voyage dans l’histoire du traitement de l’« hystérie » au début du XXème siècle. Très illusionniste, cette création échoue à susciter le trouble, la pensée et l’imaginaire promis par son sujet.
Assise devant une table de café qui se détache nettement d’un écran bleu, une femme que ses habits placent dans un passé plutôt vague échappe malgré elle à la gravité terrestre. Tout en exécutant avec le haut de son corps une étrange et minimaliste chorégraphie, elle glisse sur le sol sans que rien au plateau ne vienne expliquer cette prouesse. Et sans davantage de soutien, sans non plus de trucage visible, la voilà qui quitte le sol de quelques centimètres, avant de se rasseoir et recommencer. Cette scène d’ouverture de On m’a trouvée grandie…, la nouvelle création de la compagnie 14 : 20, pionnière de la magie nouvelle, est la seule qui se déroule dans un lieu public. C’est même l’unique tableau où Madeleine – c’est le prénom de cette protagoniste qui parfois lévite et toujours se déplace telle une ballerine sur la pointe des pieds –, incarnée par la danseuse et chorégraphe Leïla Ka, évolue hors de la Pitié-Salpêtrière où on la retrouve bien vite enfermée avec d’autres personnes aux comportements hors-normes. Des femmes surtout, soumises aux regards et aux traitements décidés par des hommes. C’est tantôt dans les chambres collectives des dites « hystériques », tantôt dans le cabinet des médecins que se déroule tout On m’a trouvée grandie…, qui peine à faire sens de ses belles images où la lévitation est reine.
De la part de la compagnie 14 : 20, fondée en 2000 par la conceptrice de On m’a trouvée grandie Valentine Losseau, son co-metteur en scène Raphaël Navarro et Clément Debailleul, on pouvait espérer du traitement de la « folie » à l’âge moderne une réflexion sur le réel, sur l’évolution de cette notion dans l’Histoire. Le personnage de Madeleine en effet, que Valentine Losseau dit inspiré d’un individu réel dont elle a croisé le parcours dans le livre De l’angoisse à l’extase du médecin Pierre Jeanne, médecin à la Pitié-Salpêtrière et proche Charcot, avait tout pour provoquer le « déséquilibre des sens et le détournement du réel » au cœur de la recherche de 14 : 20. Mais le singulier rapport au monde de cette femme qui se décrivait comme « extatique religieuse, soulevée par Dieu » – le terme n’est pas dans la pièce, qui fait très peu parler Madeleine – est présenté au public d’une manière si simpliste, si illusionniste aussi, que la surprise suscitée par la première image laisse aussitôt place à un autre régime de réel. Lequel est fait de corps qui se détachent du sol ou encore disparaissent comme bon leur semble pour aussitôt après se rematérialiser. Le doute, l’entre-deux où la magie nouvelle est sensée opérer sont donc d’emblée presqu’entièrement évacués de On m’a trouvée grandie… L’esthétique séduisante de Valentine Losseau étouffe l’étrange et empêche la question, laissant la part belle à une technique qui affirme sa toute-puissante.
Si la magie nouvelle ne s’enferme pas à la Pitié-Salpêtrière parmi lesdites « hystériques » pour questionner leur rapport au réel, que va-t-elle chercher dans ce voyage au début du XXème siècle ? On m’a trouvée grandie… ne donne pas de réponse claire à la question. Car si le spectacle ne fait qu’effleurer avec des scènes qui impressionnent avant de lasser par leur répétition la personnalité et la douleur des enfermés – aux côtés de la Madeleine de Leïla Ka, apparaissent régulièrement la femme qui se sent irréelle (Delphine Lanson), celle qui ne veut pas parler (Florence Peyrard) ou encore l’homme débordé par les mots (David Murgia) –, il n’interroge pas davantage l’entreprise des médecins. La partition de Pierre Jeanne, interprétée par Yvain Juillard que l’on a pu voir notamment dans Ça ira de Joël Pommerat, est faite d’un nombre de motifs aussi limité que celle des « patients ». On le voit recevoir Madeleine et les autres à son bureau et leur pose des questions qui témoignent davantage d’une volonté d’appliquer les grilles de la psychanalyse naissante que de vraiment comprendre celle ou celui qui lui fait face. On l’observe aussi recourir à l’hypnose quand la logorrhée ou la lévitation récalcitrante de ses visiteurs l’empêchent d’exercer sa science encore approximative mais déjà sûre d’elle. La démonstration par 14 : 20 du dressage physique et mental des personnes internées à la Pitié ne s’élève ainsi guère beaucoup au-dessus des évidences.
L’« hystérie » apparaît alors avant tout pour 14 : 20 comme un prétexte à la magie, dont les effets n’ont sans doute jamais été aussi cinématographiques sur un plateau de théâtre. Cela grâce au développement d’un procédé magique inédit, le Zeuxis, combinant selon le descriptif qu’en donne la compagnie « catoptrique (la science de la réflexion de la lumière), innovation en matériaux, innovation en machinerie théâtrale et traitement de l’image optique, qui permet de créer des zones d’invisibilité sur le plateau de théâtre ». La succession d’évaporations et d’épiphanies que permet ce dispositif en épuise toutefois rapidement l’intérêt, qui n’est ravivé que les rares fois où la compagnie laisse entrevoir le complexe réseau d’écrans et de lumières caché le reste du temps à la vue du spectateur. Une oscillation plus marquée entre illusionnisme et dévoilement de ses techniques aurait pu être pour les interprètes la base d’une exploration profonde et singulière des manipulations à l’œuvre dans la célèbre salle Claude Bernard de la Pitié-Salpêtrière, aussi bien du côté des médecins que des malades ou désignés comme tels. La dimension théâtrale que donne Valentine Losseau à sa pièce échoue à rendre compte de cela. En simplifiant la relation entre Madeleine et Pierre Jeanne jusqu’à en faire l’archétype d’un lien entre médecin et « hystérique » à l’orée du XXème siècle, On m’a trouvée grandie… passe à côté du fait historique qui aurait permis aux artistes de déployer l’hybride, l’indécidable sans lequel aucune magie ne peut prétendre être vraiment « nouvelle ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
On m’a trouvée grandie…
Conception, dramaturgie et direction artistique : Valentine Losseau
Mise en scène : Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Magie : Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Avec : Yvain Juillard, Leïla Ka, Delphine Lanson, David Murgia, Florence Peyrard
et la présence de : Marco Bataille-Testu, Thierry Debroas, Théo Jourdainne, Mickaël Marchadier et (en alternance) Ayelén Cantini, Jessica Williams
Texte : Valentine Losseau et Yvain Juillard, Leïla Ka, Delphine Lanson, David Murgia, Florence Peyrard Chorégraphie : Leïla Ka
Lumière : Valentine Losseau, accompagnée de Maureen Sizun Vom Dorp
Scénotechnique : Benjamin Gabrié
Scénographie magique : Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Costumes : Siegrid Petit-Imbert
Régie générale et Régie plateau : Mickaël Marchadier et Marine Bragard
Conseil direction technique : François Revol
Régie lumière : Maureen Sizun Vom Dorp et Martín Barrientos (en alternance)
Régie spéciale et Topeur : Camille Gateau
Régie son : Clément Netzer
Régie shadow et Régie plateau : Marco Bataille-Testu
Régie plateau : Thierry Debroas, Théo Jourdainne, et (en alternance) Ayelén Cantini, Jessica Williams Construction accessoires : William Defresne
Ingénierie technique : Benjamin Gabrié
Soutien en Ingénierie technique : Mickaël Marchadier
Conseil lumière : Pascal Laajili
Conseil son : Dominique Bataille
Couturières : Haruka Nagai, Clémentine Tonnelier, Diana Lemarchand
Production : Compagnie 14:20
Direction administrative et de production : Luz Mando
Chargée d’administration : Liana Déchel
Relation presse : Pierre Laporte Communication
Assistant : Jules Trouillard
La Compagnie 14:20 est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Normandie et la Région Normandie. Elle bénéficie du soutien de la Fondation BNP Paribas pour le développement de ses projets.
On m’a trouvée grandie est soutenu par le département de la Seine Maritime.Production : Compagnie 14:20 / COPRODUCTION : La Villette, Paris / Les Célestins, Théâtre de Lyon / Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole Lyon/ Théâtre de Caen/ Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque Théâtre d’Elbeuf / SPRING festival international des nouvelles formes de cirque / Grand Ciel et Théâtre de la Madeleine/ Points communs – Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise, Val d’Oise / Théâtre de Suresnes Jean Vilar/ Théâtre Le Rive Gauche, Saint-Etienne-du-Rouvray/ Le Préau – Centre Dramatique National de Normandie-Vire / Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne.
Durée 2h
27 et 28 mars 2024
Théâtre de Caen – dans le cadre du festival SPRING04 mai
Points Communs, Nouvelle scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise (95)23, 24 mai
Théâtre de Suresnes Jean Vilar (92)Du 06 au 14 juin
Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole Lyon – Les Célestins, Théâtre de Lyon
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