Annulé en 2020, le Festival d’Avignon a renoué avec le public. 101 512 billets ont été délivrés, soit un taux de fréquentation de 84%, pour une 75e édition qualifiée d’« héroïque » par son directeur. Au cours de sa conférence de presse, Olivier Py a exprimé sa solidarité avec le Off qui se poursuit jusqu’au 31 juillet. Interview.
De toutes les éditions que vous avez dirigées, s’agit-t-il de la plus compliquée ?
Une des plus compliquées. Ma première édition en 2014 a été encore plus compliquée, mais celle-ci a été très difficile. On pourrait même dire héroïque, d’autant plus que l’on n’était pas certain de pouvoir la tenir jusqu’au dernier moment. Et puis, les choses sont redevenues difficiles à partir du 21 juillet avec l’extension du passe sanitaire pour tous les lieux. Franchement, on aurait pu attendre le 1er août. Ça a été une mission extrêmement difficile. Ajoutez à cela une météo incertaine et les mesures Vigipirate toujours en vigueur… Je dois dire un grand merci aux équipes du Festival et bravo au public parce que les règles sanitaires ont été respectées de façon extrêmement scrupuleuse. Je n’ai pas vu une seule personne sans masque dans les salles. Les spectateurs ont eu beaucoup de patience puisque l’entrée dans les salles a été parfois compliquée. Le public a été, comme chaque année, extraordinaire, mais cette année, il a été très militant.
Cela s’est entendu dès le premier soir dans la Cour d’honneur quand les trompettes de Maurice Jarre ont retenti… Il y avait une vraie ferveur du public.
Entendre le public applaudir non pas à la fin d’un spectacle, mais les trompettes qui sont paradigmatiques du Festival, sa signature, ça voulait dire qu’il applaudissait la renaissance du Festival et un retour à une vie presque normale avec l’espoir de sortir enfin de la pandémie. Tout le monde avait les larmes aux yeux en entendant les trompettes, et on avait tous ensemble un sentiment de victoire sur la fatalité.
Quel a été l’impact de l’élargissement du passe sanitaire à partir du 21 juillet ?
Il a été minime sur la fréquentation et c’est une grande victoire.
Il y a des spectacles qui ont malheureusement dû être annulés à cause de cas de Covid-19 dans les équipes. Cela a été quelque chose de douloureux pour vous ?
Bien sûr. Deux spectacles ont été annulés, ceux du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou et de la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo. J’espère que l’on pourra les réinviter dans ma dernière édition.
Avec la présence d’artistes femmes plus importantes et des distributions plus diversifiées, diriez-vous que le Festival est désormais plus en phase avec la société française ?
Oui, et je m’en réjouis. Et même une grande partie du public m’en a félicité. Mais je n’y suis pas pour grand chose. C’est moi qui programme, mais je ne fais pas les distributions dans les équipes. Toutes les palmes reviennent aux artistes. Et c’est vrai que la quasi totalité des spectacles et des artistes ont tenu à être sensibles à cette question de la diversité pour ne pas avoir que des plateaux tout blancs. Ça fait du bien parce qu’on a l’impression qu’on représente la société dans sa diversité. Par rapport à la présence des femmes porteuses de projet, nous avions une édition quasiment paritaire. Le monde a changé et, même si c’est le fruit d’une discrimination positive et d’un travail de recherche constant sur plusieurs années, la thématique du féminisme était très présente, y compris dans les spectacles mis en scène par des hommes.
Il a beaucoup été question de l’avenir de la société dans les spectacles, dont certains étaient très sombres. La thématique « Se souvenir de l’avenir » a-t-elle été respectée ?
Oui, avec un mélange savant de lucidité et d’espérance. Il est vrai qu’on peut voir un spectacle sombre, même cauchemardesque, et sortir dans un état de joie. C’est le paradoxe, celui de la catharsis. Au lieu de nous désespérer, ces dystopies permettent parfois de nous remettre dans les rails des combats à venir. J’ai aimé qu’Edgar Morin fête ses 100 ans dans la Cour, même en vidéo parce qu’il était trop fatigué. Son dialogue avec le public était d’une grande beauté. Il a conclu en disant que nous étions face à de grands combats.
Votre successeur Tiago Rodrigues a été nommé le premier jour du Festival. Comment allez-vous travailler avec lui pour la succession ?
C’est évidemment pour moi une joie parce que j’ai de l’amitié pour Tiago Rodrigues. Il a été découvert au Festival d’Avignon à partir de l’année 2015. Il a créé avec le public d’Avignon un lien indéfectible. Et puis, il se trouve que cette année il était programmé dans la Cour avec La Cerisaie, ce qui n’était franchement pas prémédité puisque je ne suis pas intervenu dans le processus de nomination. Je vais lui donner toutes les clés, enfin, les trois clés du Festival, et aussi les clés de la ville puisqu’il souhaite vivre ici.
Comment voyez-vous votre dernière édition en 2022 ?
Oh, pas trop dans la nostalgie et la tristesse ! Comme une grande, une très grande fête. Évidemment, ce sera un déchirement pour moi de quitter le Festival, et de quitter la ville, même s’il était temps que quelqu’un d’autre vienne avec des idées nouvelles et fasse entrer l’utopie de Jean Vilar dans le temps qui vient.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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