Plongée au cœur d’une usine Citroën de la fin des années 1960, le récit sociologique de Robert Linhart jette un regard aiguisé sur la condition ouvrière de l’époque, mais l’adaptation inaboutie et la mise en scène boursouflée d’Olivier Mellor étouffent sa radicalité dans l’œuf.
« Il faut descendre de cheval pour cueillir des fleurs. » En Chine, ce précepte de Mao s’est traduit par l’exil forcé de près de 17 millions de « jeunes instruits », les zhiquing, vers les campagnes ; en France, il a pris la forme d’un mouvement singulier, mais depuis largement oublié, celui des « établis ». Dès 1967, quelques centaines de jeunes intellectuels, militants d’organisations maoïstes pour la plupart, ont mis entre parenthèses leurs études ou leurs carrières pour pousser la porte des usines et endosser le bleu de travail des ouvriers.
Normalien, docteur en sociologie, Robert Linhart a fait partie de cette cohorte qui voulait attiser, depuis la base, les braises d’une révolution prolétarienne prête à éclore. De son expérience de dix mois à l’usine Citroën de la porte de Choisy, le jeune homme d’alors a tiré un livre, L’Etabli. Il y décrit, avec une acuité rare et une plume mi-sociologique mi-littéraire, la condition ouvrière de l’époque. Cadences infernales, management brutal, racisme éhonté formaient le terrible triptyque quotidien de ces ouvriers venus de tous horizons.
Olivier Mellor et sa Compagnie du Berger ne pouvaient trouver meilleure occasion que les 50 ans de Mai-68 pour sortir cet ouvrage des limbes. Mais, aussi humain et touchant soit-il dans son allure très rétro, leur projet n’est que partiellement abouti. Co-signée avec Marie-Laure Boggio, l’adaptation d’Olivier Mellor s’enferme dans une forme plus romanesque que théâtrale où, guidés par un narrateur, les personnages passent la plupart de leur temps à raconter les situations plutôt qu’à les vivre réellement. La plongée au cœur d’une usine offerte, avec radicalité, par Linhart se transforme en un enchaînement de faits, vus de l’extérieur et rapidement évacués, qui n’offre ni profondeur suffisante aux acteurs, ni ligne directrice clairement identifiable.
Au lieu de le mettre en valeur, la mise en scène rythmée et foisonnante du patron de la Compagnie du Berger étouffe ce matériau textuel. A trop vouloir reproduire le vacarme propre à l’intérieur des usines, la Grosse Bertha scénique convoquée, avec les moyens du bord et, reconnaissons-le, une certaine créativité, noie le propos de Linhart jusqu’à parfois le rendre inaudible. A l’avenant, la création vidéo inaboutie de Ludo Leleu et Mickaël Titrant détourne à intervalles réguliers l’attention, quand la composition musicale peu inspirée et omniprésente de l’électro boy Vadim Vernay s’entrechoque avec un texte qu’elle échoue à sublimer. Lestés par un jeu encore un peu vert, les comédiens semblent alors un peu perdus, brinquebalés par cette mise en scène boursouflée sur laquelle ils ne parviennent jamais à prendre le dessus, qu’ils subissent au lieu d’en prendre le contrôle. Comme si, finalement, l’usine avait bel et bien réussi à avaler cette histoire d’hommes.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
L’ÉTABLI
d’après le roman de Robert Linhart
(les Éditions de Minuit)
Compagnie du Berger / création 2018adaptation
Marie Laure Boggio, Olivier Mellor
avec le concours de Robert Linhartmise en scène
Olivier Melloravec
Aurélien Ambach-Albertini, Mahrane Ben Haj Khalifa, François Decayeux, Hugues Delamarlière, Romain Dubuis, Éric Hémon, Séverin « Toskano » Jeanniard, Olivier Mellor, Stephen Szekely, Vadim Vernayet la voix de Robert Linhart
musiciens, musique originale
Romain Dubuis / piano, claviers
Séverin « Toskano » Jeanniard / direction musicale, basse
Olivier Mellor / kaossilator, guitare
Vadim Vernay / direction musicale, machinesrégie générale
Caroline Corme, Marie Laure Boggioscénographie, machineries
Olivier Mellor, François Decayeux, Séverin Jeanniard
avec le concours du Collectif La Courte Echellecréation son
Séverin Jeanniard, Benoit Moreau, Vadim Vernayrégie son
Benoit Moreaucréation et régie lumière
Olivier Mellorvidéo
Mickaël Titrent, Ludo Leleurégie vidéo
Mickaël Titrentphotos
Ludo Leleugraphisme
Bernard Chadebecrelations publiques
Marie Laure Boggio, Caroline Cormeattachée de presse
Francesca Magniproduction
Cie du Berger // Chapelle-Théâtre / Amiens
Centre culturel Jacques Tati / Amiens
Théâtre de l’Épée de Bois / Cartoucherie / Parisavec le soutien
de l’association L’Ilot, d’Amiens-Métropole, du Conseil départemental de la Somme, du Conseil régional des Hauts de France, de la DRAC Hauts de France, de la SPEDIDAM, de l’ADAMI et de PICTANOVO
Durée: 1h30A Paris du 7 juin au 1er juillet 2018
au Théâtre de l’Epée de Bois / Cartoucherie / Paris
SALLE EN PIERRE / DU JEUDI AU DIMANCHE
jeu, ven, sam à 20h30 / sam, dim à 16hOff Avignon
du 6 au 29 juillet 2018
Grande Salle / Présence Pasteur / 12H50
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