Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan inventent et orchestrent une aventure aussi délirante que rocambolesque, où les cartons deviennent les rois de la scène.
En mars dernier, on avait laissé Pierre Guillois dans une situation pour le moins délicate. A la tête d’un atelier qu’il dirigeait au Théâtre des Célestins, le metteur en scène avait demandé à un groupe de jeunes femmes de se projeter vers 2037, façon de tirer le fil de l’une de ses dernières créations, mais aussi de leur permettre d’échapper, pour un temps, à un présent qui manquait, alors, cruellement de perspectives. Si l’exercice d’écriture avait porté ses fruits et donné lieu à une matérialisation troublante des peurs politiques, climatiques et sanitaires de la nouvelle génération, la concrétisation formelle de ces récits, au plateau, s’était révélée beaucoup plus chaotique. Et pour cause : l’artiste avait cherché à transmettre à ces néo-comédiennes son goût pour les cartons, transformés en écriteaux, « qui permettent de raconter tous les lieux dans lesquels on veut évoluer, mais aussi de représenter toutes sortes d’objets dont la narration a besoin comme les vêtements, les animaux ou les éléments ». Sur le papier, l’idée paraissait simple, mais la réalisation s’était avérée beaucoup plus complexe pour ces amatrices qui n’avaient pas immédiatement vu l’incroyable liberté offerte par le procédé. Car, en tant que comédiens professionnels, et avec l’audace qui les caractérise, Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois prouvent aujourd’hui, au Théâtre du Rond-Point, que cette idée de folie est on-ne-peut-plus féconde et qu’elle peut accoucher d’un spectacle sacrément réjouissant.
Aux yeux du duo, la question du récit est, d’ailleurs, reléguée au second plan, voire carrément tournée en ridicule dans la genèse qu’il en livre : « Un imposant acteur shakespearien raconte, dans un anglais que nul ne peut comprendre – même un habitant de Stratford-upon-Avon en 1564 –, ce grand comédien raconte donc l’incroyable épopée à travers l’Europe et les siècles d’un homme – son ancêtre peut-être – d’un homme donc, qui, au bord d’un fjord au fin fond des îles Féroé, en une année inconnue et sans doute oubliée depuis longtemps, au bord d’un fjord donc reçut la malédiction d’une sirène qu’il avait pêchée par mégarde dans les eaux gelées quoique salées sous les pourtant magnificences auspices d’une aurore boréale joliment grêlée, à ce moment précis, par un convoi tardif de grues en route vers l’Afrique. » Né d’une histoire que le pire des contes n’aurait sans doute jamais osé imaginer, « l’homme » en question se trouve embarqué, à son corps défendant, dans une aventure qui le transforme en serial-killer des grands chemins. Particulièrement abracadabrantesque, elle le conduit des îles Féroé à un champ d’éoliennes espagnol, en passant par l’Ecosse, l’Angleterre et Perros-Guirec, à dos de baudet, en trottinette, en moto électrique, en ferry, en avion ou, comme le veut son titre, en patins à glace. Le tout en restant, et c’est toute l’ironie de la chose, parfaitement immobile, ou presque.
Autour de lui, quand il n’en fait pas directement les frais, virevoltent plusieurs dizaines de cartons qui, manipulés par un Pierre Guillois en maillot de bain – et en grande forme –, façonnent son improbable voyage. Il y en a des gros et des petits, des simplissimes et des sculptés, figurant, tout à la fois, le soleil ou l’orage, une éclaircie ou le crachin, un requin ou une bouée, un avion ou un parachute, une baleine ou une otarie, une marmotte ou une vague, des WC ou une prison, une canne à pêche ou un marteau, un lac gelé ou un palmier. Furieusement artisanal, le principe utilise en réalité une magie vieille comme le théâtre, capable, depuis ses prémices, de faire advenir une réalité alternative grâce aux seuls mots. Sous son air de jeu d’enfant grandeur nature, le procédé est sous-tendu par une inventivité et une mécanique scénique dotée d’une précision d’horloger. Alors que Pierre Guillois se transforme en maître d’ingénierie, courant aux quatre coins du plateau pour enchaîner la présentation de cartons à un rythme d’enfer, à la manière d’un assistant qu’on croyait réservé aux émissions télévisées des années 1990, Olivier Martin-Salvan trône en son centre et n’a que la puissance de son jeu – et quelle puissance – pour donner corps, chair et vie à cette performance hors norme. Au-delà de cette remarquable technicité, le tandem, qui ne reste pas sans se chamailler, fait preuve, comme il a su le démontrer par le passé, d’un humour décapant, parfois direct, souvent subtil, avec une symbolique à double ou triple détente. Submergés par les cartons, ils embarquent alors tout un chacun dans leur délire et provoquent un déferlement de rires, qui font du bien en cette fin d’année un rien morose.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les gros patinent bien, cabaret de carton
Un spectacle de et avec Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois
Pour l’exploitation au Tristan Bernard, les rôles sont repris par
Didier Boulle (en alternance avec Jonathan Pinto-Rocha ) et Philippe Le Gall (en alternance avec Pierre Guillois ou Grégoire Lagrange)/strong>
Ingénierie carton Charlotte Rodière
Régie générale Max Potiron en alternance avec Colin Plancher
Régie plateau Emilie Poitaux en alternance avec Elvire TapieProduction Compagnie Le Fils du Grand Réseau
Coproduction Théâtre du Rond-Point, Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire, Le Quartz – Scène nationale de Brest, CDN de Normandie – Rouen, Le Moulin du Roc, Scène nationale à Niort, Comédie de Picardie, Ki M’Aime Me Suive, Théâtre Tristan-Bernard, Tsen Productions
Soutiens SACD Fonds Humour, Région Bretagne, Centquatre-ParisLa Compagnie Le Fils du Grand Réseau est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC de Bretagne.
Durée : 1h20
Théâtre Tristan Bernard, Paris
à partir du 29 août 2022
Mardi 20h30, Mercredi, vendredi et samedi 19h
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