Après un report au mois de mars 2020, Notre histoire de Stéphane Schoukroun et Jana Klein devait se créer au Monfort en novembre. Il faudra attendre le mois de mars 2021 pour découvrir, dans le même lieu, cette autofiction amoureuse qui dit avec force l’urgence d’une réparation du monde.
« Vous allez finir par nous la raconter, votre Histoire ! ». Au lendemain de l’annonce du second confinement, tels furent les mots des directeurs du Monfort, Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, à Stéphane Schoukroun et Jana Klein qui devaient créer dans leur lieu au mois de novembre. Après un premier report au mois de mars 2020 – Notre histoire devait alors voir le jour au Théâtre-Studio d’Alfortville –, cette réaction est d’un grand réconfort pour les deux artistes de la compagnie (S)-Vrai. Lesquels ont anticipé dans la mesure du possible la fermeture des théâtres en organisant à 11h du matin, le jour de l’allocution présidentielle, une générale ouverte à un nombre limité de personnes. Des professionnels, sans lesquels Notre histoire ne pourra exister. Nous étions de ces quelques heureux invités. En quittant le Monfort, nous voulions déjà écrire. Nous le voulions plus encore le lendemain, après un discours sans une phrase sur les arts et la culture, considérés de fait comme « non-essentiels ».
L’Histoire d’amour de Jana Klein et Stéphane Schoukroun n’a rien d’une romance tranquille. Dans leurs propres rôles de comédienne et dramaturge d’environ 40 ans et de comédien et metteur en scène d’environ 45 ans, les deux artistes abordent des questions dont aucun report ne pourra affaiblir l’urgence. À travers la reconstitution de quelques étapes de leurs dix ans de vie commune – leur rencontre, leur voyage à Berlin, la grossesse de Jana, la naissance de leur fille Livna, le choix de son prénom –, ce sont de grandes problématiques collectives qu’ils soulèvent. En tant que couple mixte – Stéphane Schoukroun est Juif, Jana Klein Allemande –, ils interrogent notamment les traces laissées par la Shoah dans la société actuelle. Ils partagent leurs questions concernant la transmission de ce passé encore vif à leur enfant âgée de 9 ans : « Alors on fait quoi ? Avec Livna Schoukroun Klein ? », demande Stéphane à plusieurs reprises en début de spectacle, avant de préciser sa question. « En septembre prochain elle rentre au collège. Alors qu’est-ce qu’on fait ? ».
Pour le couple à la vie et à la scène, la crainte de l’antisémitisme en milieu scolaire est donc le moteur d’une enquête où passion rime avec friction. Avec autofiction aussi, genre que Jana et Stéphane pratiquent ici pour la première fois seuls, après l’avoir expérimenté dans Construire (2018) avec des habitants de Clichy-Montfermeil à l’occasion de l’inauguration d’un lieu éphémère des Ateliers Médicis. Dans Notre histoire comme dans cette pièce collective et dans toutes les créations de la compagnie (S)-vrai depuis sa fondation il y a huit ans, le geste artistique se questionne à mesure qu’il se crée. Dans les reconstitutions successives auxquels ils se livrent avec un évident plaisir du jeu, en explorant divers registres, les deux co-auteurs et comédiens laissent toujours apparaître la distance qui les sépare du réel.
Sur une table posée au milieu d’une installation plastique d’où ils exhument régulièrement des souvenirs, la présence d’une enceinte lumineuse connectée à une intelligence artificielle ALEXA – accompagnée de sa petite sœur SIRI – matérialise cet écart avec lequel s’amuse très sérieusement le couple. Les scènes de la rencontre de Stéphane Schoukroun avec la grand-mère de son épouse, de leur entretien avec le défunt grand-père de celle-ci, ou encore de la transformation de Jana en Ingrid Caven – « En même temps, être né dans un pays qui s’effondre, ça contribue sûrement à donner le goût de la liberté. Enfant, j’ai joué dans les décombres de villes rasées », dit-elle par exemple à ce moment-là – portent cet espace à son comble. Le vrai, le faux, le passé et le présent s’y entremêlent avec une folie toujours douce. Dans Notre histoire, Stéphane Schoukroun et Jana Klein font de leur intimité un espace rassembleur. Un lieu à partir duquel penser bien des problèmes de l’époque, parmi lesquels la place de l’artiste dont il est aujourd’hui fait bien peu de cas en hauts lieux. C’est aussi un endroit où commencer la réparation du monde ou « Tikkoum olam », coutume qui consiste à casser un verre le jour du mariage juif. Pour ensuite « passer sa vie à le recomposer avec l’autre ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Notre histoire
Conception, écriture et jeu : Stéphane Schoukroun et Jana Klein
Le texte de la pièce est à paraître aux éditions Esse que
Assistanat : Baptiste Febvre
Regard dramaturgique : Laure Grisinger
Collaboration artistique : Christophe Lemaitre
Scénographe/plasticienne : Jane Joyet
Conception lumières : Léandre Garcia Lamolla
Créateur sonore : Pierre Fruchard
Création vidéo : Frédérique Ribis
Conseiller intelligence artificielle Nicolas Zlatoff
Administration/production : Clara Duverne
Diffusion : Olivier Talpaert et En Votre Compagnie
Presse/relations extérieures : Olivier Saksik et Manon Rouquet
Production : compagnie (S)-VRAI
Avec les soutiens de la DRAC et la Région Ile-de-France – aide à la création // DICRéAM // Ville de Paris – aide à la résidence.
Coproducteurs : Musée national de l’histoire de l’immigration // Le Vaisseau / Cie Vertical Détour.
Accueils en résidence : Théâtre-Studio d’Alfortville // Lilas en scène // Grand Parquet/ Théâtre Paris-Villette // Les Subsistances / Labo NRV // Le Vaisseau / Cie Vertical Détour.
Le Fonds d’Insertion pour jeunes comédiens de l’ESAD – PSBB.Durée : 1h15
Le Monfort
Du 31 mars au 11 avril 2021
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