Avec Notre École (tragi-comédie), Stéphane Schoukroun et Jana Klein prolongent leurs actions culturelles en cursus primaire et secondaire par un spectacle sur le sujet, nourri de leur expérience en tant qu’artistes engagés et parents impliqués. En quatuor au plateau, à mi-chemin entre le théâtre documentaire et le théâtre musical, ils inventent une forme captivante en écho aux dédales de la vie scolaire.
« Rendez-nous la sieste ! » Au théâtre, parfois, une phrase sort du lot, nous éclabousse la figure et provoque, contre toute attente, un éclat de rire déflagrateur. D’autant plus si elle résume à elle seule bien des enjeux du spectacle, et porte en elle le potentiel de devenir culte. Prononcée par l’un des élèves que l’on entend au cours de la dernière création de la Compagnie (S)-Vrai consacrée à l’école, elle véhicule tout le bon sens propre à la jeunesse et, au-delà, l’épuisement généralisé des parents, des profs, des élèves. En plus d’évoquer l’une des deux tonalités du spectacle contenues dans le titre. En effet, Notre École (tragi-comédie) joue de l’équilibre entre ces deux registres, jamais sentencieux, toujours sur le qui-vive du doute, de la pensée qui bouge, de l’enquête en mouvement, d’une dramaturgie à la fois complexe et labyrinthique, pleine de degrés de réalité et de niveaux de fiction, qui avance au rythme de trois trimestres, et nous fait gravir les paliers successifs de l’école élémentaire, du collège, puis du lycée. En fait, Notre École ressemble à l’architecture d’un établissement scolaire : un entrelacs d’escaliers et de couloirs, de salles de classe et salles des profs, d’étages empilés, de cour de récré et recoins cachés. Un lieu vivant, bruyant, foisonnant, parcouru d’une énergie palpitante, de rêves intenses et de désarrois abyssaux.
Stéphane Schoukroun et Jana Klein, habitués à œuvrer en binôme au sein de la Compagnie (S)-Vrai, ont une pratique assidue d’interventions et d’actions culturelles en milieu scolaire. Forts de deux projets faramineux – eu égard à la quantité d’heures investies et de jeunes impliqués – déployés sur plusieurs années et plusieurs communes, Passage(s) et L.I.B.R.E (Laboratoire Intergénérationnel des Bâtisseurs et Rêveurs d’École), il leur a semblé évident de les prolonger dans la création d’un spectacle-somme, palimpseste des précédents et de leurs corollaires – podcasts, installations vidéo et audio, performances, films documentaires. Ainsi, Notre École (tragi-comédie) porte la trace d’une immersion longue au contact d’élèves de tous âges et de leurs professeurs. Il porte la trace du réel, inscrit dans sa matière première même. Il émane de lui et l’affirme à chaque instant. Voix off enregistrées, bruitages d’ambiances survoltées, images projetées sur un mur de tableaux blancs, qu’ils soient en hors-champ ou à l’écran, les jeunes rencontrés sont bel et bien la moelle du projet, sa source et son domaine d’investigation.
Mais s’ils ont pour habitude de construire leurs spectacles à partir d’enquêtes de terrain, ce couple à la ville n’hésite jamais à s’impliquer également dans la collecte d’expériences, incluant leur point de vue de citoyens adultes et de parents inquiets dans le brassage de données et le croisement de questionnements qu’ils opèrent. Ils se mettent donc ici aussi en scène et en jeu, mais, une fois n’est pas coutume, ouvrent leur binôme à deux jeunes comédiens (Baptiste Febvre et Ada Harb, formidables) et intègrent au plateau les présences satellites de Pierre Fruchard, créateur musical, et Wilfrid Roche, à la régie. Comme pour mieux révéler la fabrique du théâtre, déjouer l’illusion et proposer un spectacle en construction qui implique le public dans sa mécanique. Dans ce théâtre agora en miroir de l’école, les deux se répondent : l’école est une mission, le théâtre un engagement. Et les deux brûlent.
Stéphane Schoukroun et Jana Klein ne jouent pas les pompiers ni les sauveurs, ils alertent et interrogent dans un spectacle en demi-teinte qui oscille entre humour et émotion, constat au présent et souvenirs de leur propre scolarité. Entre une ex-première de la classe dans un cursus alternatif en Allemagne et un ex-cancre issu de l’immigration dans une banlieue parisienne, le théâtre fait office de bifurcation, de respiration et de ralliement, tandis que leur rencontre fait des étincelles et ouvre à d’autres sujets : le contexte familial, la reproduction et l’émancipation sociale, le rôle de l’école dans l’avenir de la société. De conseils de classe en interventions ratées, de situations réalistes en épiphanies chantées, de citations (littéraires, philosophiques, sociologiques) en confidences de profs et témoignages d’élèves, ce spectacle à l’aspect bricolé avance cahin-caha avec les moyens du bord, comme pour mieux refléter un service public en berne et la contrainte de s’adapter tant bien que mal pour continuer.
Mais Notre École (tragi-comédie) ne se contente pas d’une esthétique naturaliste d’aspect documentaire et ose s’aventurer du côté du rêve et de l’imaginaire dans des scènes aussi cocasses que touchantes et réconfortantes. À l’image du texte qui colle la plupart du temps à l’oralité brute du réel, mais se permet également des décollages dans des parenthèses chantées ou des monologues percutants qui donnent le frisson. On y reconnait d’ailleurs la plume de Jana Klein, qui s’affirme depuis L La Nuit et sait se faire poétique et réflexive en même temps. Et l’on retiendra, parmi les phrases qui ouvrent des champs de réflexion, cette citation de Paulo Freire : « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les humains s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde ». Beau programme pour une éducation ouverte et inclusive. Bel élan pour réinventer l’école en regardant vers demain et ne pas baisser les bras, malgré l’énergie et l’espoir qui vacillent.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Notre École (tragi-comédie)
Conception, dramaturgie, mise en scène Jana Klein, Stéphane Schoukroun
Texte Jana Klein (Esse que Éditions)
Avec Baptiste Febvre, Pierre Fruchard, Ada Harb, Jana Klein, Stéphane Schoukroun, Wilfrid Roche
Assistanat mise en scène Elie Vince
Regard dramaturgique Marion Boudier
Scénographie Margaux Folléa
Conception lumière et vidéo Loris Gemignani
Création musicale et sonore Pierre Fruchard
Création vidéo Frédérique Ribis
Création costumes Séverine Thiébault
Réalisation coiffes Séverine Thiébault, Solène Truong
Construction décor Yohan Chemmoul, Jeanne Roujon
Conception graphique Lucie Jean
Régie générale Maëlle Payonne, Wilfrid Roche
Régie son Paul Buche
Régie plateau, conception accessoires Wilfrid RocheProduction Compagnie (S)-Vrai
Coproduction Les Bords de Scènes – Grand-Orly Seine Bièvre ; Lieu unique – Scène Nationale de Nantes ; Théâtre André Malraux à Chevilly-Larue, ; Théâtre Romain Rolland – Scène Conventionnée à Villejuif, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne ; La Manekine, Scène intermédiaire des Hauts-de-France ; Centre culturel Houdremont – La Courneuve ; CCAM – Scène Nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
Avec la complicité de la Ville de Pantin, la Ville de Gonesse, L’atelier du Plateau, le théâtre Studio – Cie Christian Benedetti, le Théâtre Dunois, le Beffroi de Montrouge
Soutiens Ministère de la Culture – DRAC et Région Île-de-France, EPT Grand-Orly Seine Bièvre, Ville de Paris au titre de l’aide à la résidenceDurée : 1h35
À partir de 13 ansThéâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
du 8 au 13 février 2025Théâtre du Fil de l’Eau, Pantin
le 13 mars
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