Marc Lainé orchestre d’une main de maître, tant dramaturgique que scénique, une épopée où les registres et les styles, les époques et les combats, la petite histoire et la grande s’entremêlent et se nourrissent. Après les reports en raison de la pandémie, le spectacle a pu reprendre sa tournée qui a débuté par La Comédie de Béthune.
En cette toute fin des années 1980, Victor Zellinger a raccroché les gants. Détective privé pendant près de trois décennies, l’homme reste malgré tout profondément marqué par une enquête particulière, la plus mystérieuse qu’il ait eu à mener, « l’affaire Simone Valentin » qu’il s’en vient nous conter. Le 4 novembre 1956 au matin, Simone et son fils Daniel, âgé de dix ans, embarquent dans un train en direction de Strasbourg. Alors que le trajet se déroule sans encombres, un mystérieux voyageur s’invite dans leur compartiment. On-ne-peut-plus confus, son discours est matraqué par ces « r » qu’il prend, comme pour mieux souligner ses origines russes, un malin plaisir à rouler. D’abord d’un calme olympien face à ce visiteur à l’allure étrange, Simone Valentin tourne casaque lorsqu’elle découvre la Une du journal laissé sur la banquette par cet inconnu, reparti aussi vite qu’il était venu. Elle prend alors prétexte d’un arrêt en gare de Reims pour demander à son fils de descendre. Persuadé que sa mère le suivra, Daniel s’exécute, mais Simone reste assise dans le train, qui repart, et laisse l’enfant sur le quai, désemparé.
En 1967 – année où Zellinger a été mis sur le coup –, le petit Daniel a bien grandi et se fait désormais appeler « Danny ». Chanteur yéyé, un temps à succès, il traverse un passage à vide, sous le regard désabusé de son impresario haut en couleur, Hervé Marconi, et de sa choriste – et groupie –, Daphné Monrose. Marqué par cet abandon dont il ne s’est jamais remis, il est mu par une profonde mélancolie qui, si elle peut être source de création, se révèle, en l’espèce, un piège dépressif. Pour éviter que le chanteur, bourré à l’alcool et aux pilules, ne mette fin prématurément à sa carrière, son équipe tente le tout pour le tout et engage Victor Zellinger afin de retrouver la trace de sa mère. Armé de méthodes peu conventionnelles, le détective utilise l’hypnose pour faire revivre à Daniel la scène du train, et tenter d’obtenir quelques indices. Grâce à une carte postale et à la Une d’un journal sur l’insurrection de Budapest, ce Sherlock Holmes du pauvre échafaude une théorie : Simone serait partie en Hongrie pour rejoindre l’amour de sa vie, et peut-être le père de son fils. Après de plus amples investigations, qui semblent vérifier cette thèse, la fine équipe décide de partir en terres hongroises avec le fol espoir d’y croiser Simone.
Au long de ce récit en matriochkas, c’est bien la petite histoire et la grande que Marc Lainé cherche à entremêler et à faire résonner, comme si la seconde avait toujours, et quoi qu’on y fasse, une influence capitale sur la première – et même, parfois, inversement. Narrativement ambitieuse, sans jamais être complexe, cette épopée de près de trois heures est menée d’une main de maître par le dramaturge qui la transforme en polar historico-politique prenant, où les registres et les styles, du roman d’espionnage à la comédie musicale, du drame à la comédie, se succèdent et se nourrissent avec une impressionnante fluidité. C’est aussi, sans verser, et c’est heureux, dans un cours magistral, mais en donnant malgré tout les repères historiques nécessaires, dans une époque que le metteur en scène saute à pieds joints, celle des idéologies dominatrices, mais déjà passablement amochées, celle d’une soumission et d’une révolte, comme corollaire, à un pouvoir autoritaire tout droit venu de Moscou. Y compris dans l’esthétique scénique, Marc Lainé l’embrasse totalement. En fin scénographe qu’il est, il ne recule devant aucun moyen pour faire naître, des costumes aux perruques en passant les décors, une ambiance vintage au charme fou et à la minutie qui s’apprécie jusque dans les moindres détails.
Le pari semblait d’autant plus audacieux que le metteur en scène a choisi de (presque) totalement abandonner en chemin cette grammaire qui a fait le succès de ses précédents spectacles, ce dialogue fécond que, toujours, il parvient à orchestrer entre théâtre et cinéma. Malgré cela, il réussit à garder le cap, à imposer un rythme d’enfer, sans jamais paraître s’essouffler. Cette dynamique, au-delà des péripéties savamment distillées, il la doit à ses personnages qu’il a, on le devine, patiemment sculptés, et à qui il a offert une âme et un caractère chargé, lui aussi, des soubresauts d’une époque, à commencer par Daphné Monrose, féministe à la dure, et Hervé Marconi qui, sous ses airs grandiloquents, doit se cacher pour vivre son homosexualité. Dans ces habits sur-mesure, les comédiens n’ont plus, alors, qu’à se glisser, avec une aisance et une énergie qui jamais ne faiblissent. Tous, et tout particulièrement Thomas Gonzalez et François Praud, suivent sans mal la plume sous acide, et constamment à la relance, de Marc Lainé. Tant et si bien qu’on en vient à se prendre au jeu de cette histoire loufoque née dans la tête d’un détective aux intentions floues, à se faire avoir par la puissance de la fiction, et à se laisser transporter par son pouvoir curatif, capable de pallier les manquements du réel.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Nosztalgia Express
Texte, mise en scène et scénographie Marc Lainé
Avec Alain Eloy, Émilie Franco, Thomas Gonzalez, Léopoldine Hummel, François Praud, François Sauveur, Olivier Werner, et la participation de Farid Laroussi et Didier Raymond
Musique Emile Sornin (Forever Pavot)
Collaboration artistique Tünde Deak
Collaboration à la scénographie Stephan Zimmerli
Assistanat à la mise en scène Jean Massé
Assistanat à la scénographie Anouk Maugein
Costumes Benjamin Moreau
Lumière Kevin Briard
Son Morgan Conan-Guez
Maquillage et perruques Maléna PlagiauProduction La Boutique Obscure, La Comédie de Valence – Centre dramatique national Drôme-Ardèche
Coproduction Théâtre de Liège – Centre scénique de la Fédération Wallonie- Bruxelles ; Théâtre de la Ville – Paris ; Centre Dramatique National de Normandie- Rouen ; Comédie de Béthune – Centre dramatique National Hauts-de-France ; Théâtre National de Bretagne ; Les Célestins– Théâtre de Lyon ; La Passerelle – scène nationale des Alpes du Sud ; La Filature Scène nationale Mulhouse ; Comédie – Centre dramatique national de Reims
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Avec le soutien du Carreau du Temple – Accueil studio
Avec le soutien de la DRAC Normandie, ministère de la Culture, de la Région Normandie et du Conseil départemental de l’OrneDurée : 2h50
La Comédie de Béthune
du 20 au 22 octobre 2021La Comédie de Valence, CDN Drôme Ardèche
du 15 au 18 mars 2022Théâtre de Liège, Centre scénique Fédération Wallonie-Bruxelles
du 22 au 26 marsLa Comédie, CDN de Reims
les 7 et 8 avrilThéâtre Molière, Sète
les 20 et 21 avrilLa Filature, scène nationale de Mulhouse
les 7 et 8 juinThéâtre de la Ville, Paris
du 14 au 23 juin
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