Écrit et mis en scène par Jeanne Garraud, Nos prochaines vacances ensemble dessine par la trajectoire d’un quatuor les qualités et paradoxes des vacances. Chemine également, en sourdine, une réflexion sur le théâtre comme espace de liberté.
Parler de vacances, nous le faisons – quasiment, on l’imagine – toutes et tous. Les vacances, on les attend, les espère, s’y projette et, une fois celles-ci terminées, on les regrette et (se) les raconte dans l’attente d’y retourner. C’est cet horizon de vacance autant au singulier qu’au pluriel, soit cet « état de ce qui est vide, inoccupé », dont se saisit la Compagnie Neuve emmenée par Jeanne Garraud. Cette « période plus ou moins longue pendant laquelle une personne cesse toute activité professionnelle pour se reposer, se détendre », qui s’est sacrément développée à partir de 1936, et l’invention des congés payés par le Front populaire, les quatre interprètes réunis vont en survoler certaines des caractéristiques, comme des paradoxes. Et dans une forme modeste, traversée de jolies inventions et d’autres moments parfois un peu trop aimables, Nos prochaines vacances ensemble dessine en parallèle, ce faisant, une réflexion sur ce qui nous mène au théâtre.
L’ensemble s’ouvre par l’intervention de Jeanne Garraud : l’autrice et metteuse rejoint depuis la salle le plateau nu. Elle explique son incapacité à avoir pu écrire un texte, ayant tenté pour cela de se mettre dans la situation de vacance – et se retrouvant prise dans le paradoxe de cette situation. Lors de cette introduction ludique, l’artiste raconte avoir jeté l’éponge et laissé l’équipe travailler seule. Dont acte, et la jeune femme leur cède la place. Mais les quatre interprètes – Lucile (Marianne), Savannah (Rol), Thomas (Rortais) et Arthur (Vandepoel), qui ont au plateau leur vrai prénom – ne vont pas investir la scène immédiatement. L’espace nu demeure quelques minutes vide, éclairé, sans que rien ne se passe – cette façon de jouer avec le pied de la lettre ne cessant de parsemer avec humour la représentation. Puis, les quatre acolytes, disséminé·es parmi le public, commencent à discuter à bâtons rompus. Iels rejoignent bientôt la scène et vont se livrer à des tentatives d’évocation et de réactivation de situations de vacances. Le spectacle va de cette manière dans son écriture – signée Jeanne Garraud – signaler régulièrement les points d’achoppement à aborder la, ou les, vacance(s) en étant – de fait – tout de même en activités. Il déploie en mode mineur ce propos à travers les positions des quatre personnages. Car Lucile, Savannah, Thomas et Arthur campent chacun·e un caractère et une position face à l’idée même de vacances. De, par exemple, Lucile, qui passe ses vacances comme un temps majoritairement dédié en premier lieu au bien-être des autres, ne se reposant réellement que lorsque tout le monde dort, à Thomas, qui peut lézarder en Thaïlande – et peu importe que d’autres y viennent pour du tourisme sexuel –, en passant par Arthur, obsédé par la première neige, le dépaysement et la détente permise par celle-ci, les positions sont diverses. C’est par leurs désaccords et divergences, leurs débats et digressions, bien souvent alimentées par les réflexions pertinentes de Savannah – à la pensée politique toujours affûtée – que l’ensemble se déplie. En paroles, comme en images, et le plateau va modestement se transformer par une longue et douce averse de neige.
Pour un spectacle évoquant joliment, par petites touches, les paradoxes des vacances – qui, structurées historiquement, économiquement, socialement, politiquement autour du travail, sont autant que ce dernier soumises à l’injonction de performance propre à notre société capitaliste –, Nos prochaines vacances ensemble n’est pas dénué, lui-même, de paradoxes. Ainsi, le choix de partir des personnalités des interprètes pour composer les personnages, là où il aurait pu permettre une richesse dans les portraits brossés, amène plutôt un resserrement sur des stéréotypes. Le quatuor est dessiné à traits fort lisibles, quoique les antagonismes surlignés sont, en même temps, toujours adoucis par le tempérament général du spectacle, à l’amabilité volontariste. Pour autant, si Nos prochaines vacances ensemble pêche parfois par excès de joliesse, si le spectacle évacue un enjeu majeur des vacances, soit la distinction que celles-ci opèrent, socialement et évidemment économiquement – tout le monde n’y a pas accès, et ni aux mêmes conditions –, cette création dessine avec intelligence une réflexion. À pas feutrés par la trajectoire des personnages – qui vont toutes et tous évoluer dans leur position pour en venir à cheminer collectivement –, l’équipe rappelle à quel point nous vivons souvent ces temps de la même façon que le reste de nos vies, et, ainsi, la difficulté à vraiment y construire de la liberté. Et, surtout, elle aborde à plusieurs reprises, par la bande et avec sensibilité, une question aussi fertile poétiquement que politiquement : quel est donc ce lieu que le théâtre où le public paie pour donner de son temps, de l’attention et de la disponibilité ? N’est-ce pas l’un des endroits où la vacance existe aussi ? Cela même lorsque l’ennui surgit, ce sentiment étant bien une brèche ouverte vers un autre état d’attention ?
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Nos prochaines vacances ensemble
Texte et mise en scène Jeanne Garraud
Avec Lucile Marianne, Savannah Rol, Thomas Rortais, Arthur Vandepoel
Assistanat à la mise en scène, production et diffusion Audrey Vozel
Lumière et régie générale Laurine Chalon
Scénographie Rachel Testard
Création sonore Raphaël Fouilloux
Costumes Elise GarraudProduction Compagnie Neuve
Coproduction Les Célestins – Théâtre de Lyon, Scène nationale de Bourg-en-Bresse, La Mouche (Saint-Genis-Laval), Théâtre de Villefranche
Partenaires et soutiens Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes, Région Auvergne-Rhône-Alpes, Adami, dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT, Ville de Lyon, Ville de Bourg-en-Bresse, TNP – Centre dramatique national (Villeurbanne), Théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), Théâtre des Clochards Célestes (Lyon), L’Assemblée – fabrique artistique / Cie du Bonhomme (Lyon)La compagnie Neuve est implantée en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Durée : 1h20
Théâtre du Train Bleu, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 6 au 24 juillet 2025, les jours pairs, à 15h10
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