En s’emparant avec fougue de la pièce de Marion Aubert, Nina Campan fait preuve d’un geste de mise en scène à la fois maîtrisé et débridé, d’une direction d’acteur.ices toute en relief et aborde des sujets éminemment dans l’air du temps – la condition féminine, la prédation masculine – avec l’humour et l’excès propres à l’écriture joyeusement déjantée de l’autrice.
« Ne faites pas semblant d’avoir tout compris ». Ainsi s’achève la pièce foisonnante de Marion Aubert, Orgueil, poursuite et décapitation. Et l’on remercie intérieurement l’autrice de prendre cette précaution tant sa pièce hirsute avance par à-coups, comme en tâtonnant dans le noir, sans ligne narrative clairement identifiable, sans structure de récit classique. En l’espèce, ne pas tout comprendre n’est pas un problème et n’empêche nullement l’adhésion à la langue croustillante qu’elle déploie, aux sujets évidents qu’elle brasse, comme la place des femmes dans la société et les affres du processus de création. Ne pas tout comprendre n’empêche pas d’embarquer à bord de son univers singulier et réjouissant. Ne pas tout comprendre est la clef dramaturgique de cette pièce ébouriffée qui suit les méandres de l’imagination, les doutes de l’inspiration, les siestes impromptues et les élans d’écriture de l’autrice elle-même dans une mise en abyme sacrément osée et drolatique qui donne le ton, la dynamique et la couleur de l’ensemble. Et des couleurs, il y en a dans ce spectacle aux costumes plein de peps et de fantaisie, autant que de l’énergie à revendre de la part de cette jeune équipée issue du Cours Florent qui plonge avec une joie communicative dans la langue contemporaine, libre et échevelée de Marion Aubert.
Car c’est dans le cadre des travaux de fin d’études de sa dernière année de formation que Nina Campan a posé les bases de ce travail remarquable. Depuis, il a grandi pour devenir ce spectacle abouti, chargé de vitalité et d’envie d’en découdre avec le plateau. Un premier geste aussi maîtrisé qu’exubérant, investi par une armée de comédiennes toutes plus exceptionnelles les unes que les autres, drôles à souhait, engagées, variant les tonalités, les humeurs et les rôles avec, déjà, une maturité scénique confondante. Juliette Bargain, Margaux Hajjar, Charlotte Moinat et Morgane Patton forment un quatuor qui fait des merveilles. Toutes envoient du lourd et rentrent dans le lard du patriarcat sans que l’humour n’entrave jamais la portée et la gravité du propos. Seul comédien d’une distribution essentiellement féminine, Rémi Giordan leur tient la dragée haute et ne démérite pas dans une partition de mâle dominant imbuvable et puant. Qu’il incarne le mari violent ou le patron désobligeant, le directeur de théâtre harcelant ou l’enfant jouant, il est plus que convaincant et couronne la belle homogénéité de l’ensemble.
Dans ce maelstrom de scènes qui s’enchaînent en ricochets sans que jamais aucune ne laisse présager de la suite, on démêle tout de même deux fils rouges : une héroïne invisible, mère au foyer en robe-tablier accrochée à ses gants en latex roses, écrasée par les tâches maternelles et ménagères, aux prises avec un mari dénigrant, une belle-mère sorcière et un enfant bruyant ; et une actrice aux abois confrontée à un directeur de théâtre despote, libidineux et hargneux. Deux facettes de l’oppression des femmes : violences conjugales et harcèlement au travail auxquelles Marion Aubert ajoute des figures inventées, les « chonchons », nés dans l’esprit névrosé de l’autrice qui rêve et invente en direct, vapoteuse au bout du bec. À moins que ces « chonchons », qui nous ressemblent étrangement, ne soient le fruit malade d’une société inégalitaire et patriarcale. Le mystère reste entier et ouvert.
La folie émulatrice et l’impertinence sont au rendez-vous. Le résultat est, heureusement, plus joyeux que glaçant. Il parie sur le grotesque des personnages et des situations, mais ne fait pas l’impasse sur la réalité effective des outrages subis par les femmes. Le plaisir de retrouver l’écriture caustique de Marion Aubert est entier. Et l’on découvre avec intérêt ce jeune collectif enthousiasmant, Un soir, un chien, qui a de la suite dans les idées et l’imagination fertile.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Orgueil, poursuite et décapitation
Texte Marion Aubert
Mise en scène et musique Nina Campan
Avec Juliette Bargain, Rémi Giordan, Margaux Hajjar, Charlotte Moinat, Morgane Patton
Costumes Morgane Patton, Margaux Hajjar, Juliette Bargain
Travail corporel Ema Bertaud
Scénographie Morgane Patton, Zoé MaryProduction Collectif Un soir, un chien
Durée : 1h15
Théâtre de Belleville, Paris
du 4 au 28 septembre 2024
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