Au Théâtre Montansier, Yves Beaunesne tente de transformer l’imposteur-dévot en chantre de l’authenticité des années 1960, mais vide, ce faisant, la pièce de Molière de sa cruelle substance.
Année Molière oblige, Le Tartuffe fait des émules, et des envies. Et c’est sans doute à la vue des lectures, parfois diamétralement opposées, qu’elle provoque que l’on peut observer, si d’aucuns en doutaient, toute la richesse de cette pièce. D’un côté, Ivo van Hove en donne, à la Comédie-Française, une version resserrée – l’originelle, à en croire l’historien Georges Forestier qui l’a reconstituée grâce à un travail de « génétique théâtrale » – et cruelle en diable, où Tartuffe se drape dans ses habituels atours d’hypocrite patenté, générateur de l’explosion d’une famille déjà passablement mal embarquée. De l’autre, Yves Beaunesne en propose, au Théâtre Montansier de Versailles, une vision non moins osée, mais beaucoup plus inhabituelle. Sous le regard du metteur en scène, le sempiternel imposteur-dévot se meut en homme honnête, en chantre de l’authenticité dans une cellule familiale, et, osons-le, dans un monde, qui en serait dépourvue. Vrai pieu, sans l’être de façon outrancière, le voilà aux prises avec une cohorte d’individus qui se jouent de lui, bien plus qu’il ne les manipule. Comme si la malice avait changé de camp.
Audacieux, ce parti-pris trouve malheureusement rapidement ses limites, en ce qu’il cogne avec le texte de Molière qui, par sa nature même, lui résiste. Sans sa traditionnelle dualité, le personnage de Tartuffe perd tout son sel, et la pièce, dans son sillage, par effet rebond, une large partie de son intérêt. L’admiration d’Orgon pour le dévot passe encore, mais la partition d’Elmire, pour ne citer qu’elle, s’en trouve plus nébuleuse, et donc affaiblie. Mue par une telle acception, Le Tartuffe se transforme en une banale histoire de vengeance, où il conviendrait d’abattre celui par qui la vérité arrive et/ou qui empêche – sans que l’on comprenne vraiment pourquoi – l’union de Mariane et de Valère ; et ce sont alors des pans entiers de l’œuvre de Molière qui s’effritent, voire s’effondrent. D’autant qu’Yves Beaunesne ne va pas tout à fait au bout de son intention. Si la pièce se jouait, réellement, à fronts renversés, les autres personnages – Orgon et Madame Pernelle exceptés – devraient redoubler de cruauté envers l’honnête homme ; or, il n’en est rien, ou si peu, et l’ensemble paraît alors bien fade, comme vidé de sa substance.
A l’avenant, le metteur en scène a choisi, et c’est l’un de ses arguments-phares, de transposer la pièce dans les années 1960. « J’ai désiré retrouver une situation où, à l’image d’avant 68, la France vit des années dites de « reconstruction », des années où une certaine liberté gagne la jeunesse, où le besoin de vivre est ardent, une période où, après les horreurs et les privations, souffle un vent de liberté et un besoin de dévorer la vie », explique-t-il. Si les costumes et le mobilier y sont, l’intention d’Yves Beaunesne ne dépasse jamais, à l’épreuve des planches, la simple transformation de l’environnement scénique, et ne cherche pas véritablement à faire entrer le texte en résonance avec lui. Au plateau, Orgon et consorts ne paraissent pas aussi libérés que ces années de transformation intense de la société ne pouvaient les y inviter. Pis, l’émancipation sexuelle qui leur correspond n’est pas au rendez-vous, tant ce Tartuffe apparaît bien sage et chaste, alors que l’œuvre ne manque pas d’occasions d’interroger cet aspect.
Dès lors, la pièce tourne largement à vide, dénuée, sans être totalement désagréable, de l’éclat et de l’acuité qu’on lui connaît. Pour lui donner du relief, les comédiens ne lésinent pas sur leur engagement, et tout particulièrement Johanna Bonnet qui donne une vraie couleur au personnage de Dorine. Les autres, à commencer par Tartuffe, Orgon et Elmire, paraissent plus à la peine. Incarné par Nicolas Avinée, le premier fait figure d’ectoplasme en regard du second, interprété par Jean-Michel Balthazar, qui jouit d’un caractère par trop affirmé. Quant à la pourtant talentueuse Noémie Gantier, elle semble se débattre avec la lecture au chausse-pied d’Yves Beaunesne qui la place dans l’oeil du cyclone théâtral. Au sortir, ce Tartuffe a alors toutes les caractéristiques d’un pari osé, mais aussi d’un pari perdu, et prouve, à son détriment et par l’absurde, que, quoi qu’on y fasse, Tartuffe n’est, définitivement, pas un honnête homme.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Tartuffe ou l’Imposteur
Texte Molière
Mise en scène Yves Beaunesne
Avec Nicolas Avinée, Noémie Gantier, Jean-Michel Balthazar, Vincent Minne, Johanna Bonnet, Léonard Berthet-Rivière, Victoria Lewuillon, Benjamin Gazzeri-Guillet, Maria-Leena Junker, Maximin Marchand, Hughes Maréchal
Dramaturgie Marion Bernède
Scénographie Damien Caille-Perret
Lumières César Godefroy
Création musicale Camille Rocailleux
Création costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Assistantes à la mise en scène Pauline Buffet et Louise d’Ostuni
Chef de chant Hughes Maréchal
Chorégraphie des combats Emilie Guillaume
Création maquillages / Coiffures Marie MessienProduction Compagnie Yves Beaunesne
Coproduction Théâtre de Liège ; Théâtres de la ville de Luxembourg ; Le Meta Centre dramatique national de Poitiers-Nouvelle Aquitaine ; Théâtre Montansier ; Scène nationale d’Albi ; Théâtre de Nîmes ; Théâtre Molière – Sète, Scène nationale Archipel de Thau ; L’Azimut – Antony/Châtenay-MalabryDurée : 2 heures
Théâtre Montansier, Versailles
du 26 janvier au 6 février 2022Centre des Bords de Marne Le Perreux
le 10 févrierL’Azimut, Châtenay-Malabry
les 16 et 17 févrierScène Nationale d’Albi
les 7 et 8 marsThéâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye
le 18 marsThéâtre la Colonne, Miramas
le 22 marsThéâtre l’Olympia, Arcachon
le 29 marsThéâtre de Suresnes Jean Vilar
le 1er avrilThéâtre Jean Arp, Clamart
le 2 avrilScène nationale du Grand Narbonne
le 5 avrilThéâtre Molière – Sète, Scène nationale Archipel de Thau
les 7 et 8 avrilThéâtre de Nîmes
du 12 au 14 avrilThéâtres de la ville de Luxembourg
du 20 au 22 avrilThéâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
du 3 au 7 maiÉquinoxe – Scène nationale de Châteauroux
le 10 maiL’Arsenal, Val de Reuil
le 13 mai
Impression majeure: profond ennui. Des acteurs braillards, geignards, souvent peu audibles. Un Tartuffe très à côté du personnage et globalement mal joué. A plein contresens des intentions de Moliere. Même les essais d’originalité sont vulgaires et décalés. Le Tartuffe est meilleur chanteur qu’acteur. Le metteur en scene bâcle un prétentieux ratage, et aurait été plus à l’aise avec Uylenspiegel.
Vraiment déçus ! 3 acteurs sont inaudibles. Le texte est débité plus que parlé. Difficile après une telle expérience de faire revenir au théâtre des ados pour qui c’était la première pièce classique. Le théâtre de Sète propose habituellement des spectacles plus achevés.