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« Nexus de l’adoration » : l’envoûtant rituel pour le temps présent de Joris Lacoste

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Joris Lacoste crée Nexus de l'adoration au Festival d'Avignon 2025
Joris Lacoste crée Nexus de l'adoration au Festival d'Avignon 2025

Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Au Festival d’Avignon, le dramaturge et metteur en scène Joris Lacoste réussit son pari fou de compilation des choses de notre monde, dont, au long d’une comédie musicale aux codes détournés, il montre la richesse et célèbre la diversité.

Magnétique, Nexus de l’adoration l’est avant même d’entrer dans le vif de son sujet. Alors que les spectatrices et spectateurs du Festival d’Avignon prennent encore place dans les gradins du Gymnase du Lycée Aubanel, une curieuse cérémonie semble déjà se jouer sur le plateau. Installé au synthétiseur, Léo Libanga fait résonner quelques notes d’orgue, selon un cycle précis de quatre accords répété en boucle. À ses côtés, dans un clair-obscur travaillé, huit silhouettes évoluent lentement, quasi mécaniquement, à la manière d’automates coincés dans une série de postures, et occupés à prononcer des mots à peine audibles pour le commun des mortels. Une fois tout le monde assis, il suffit d’un geste unique, d’un simple signe de la main adressé au public, pour que le Nexus de Joris Lacoste s’ouvre et endosse son rôle d’interface vers l’autre, de portail vers l’ailleurs, et que les spectatrices et spectateurs soient invités à y pénétrer. Comme un écho lointain à ses quatre Suites qui constituaient une partie de son Encyclopédie de la parole, où les interprètes étaient dépositaires de paroles qui n’étaient pas les leurs, mais qu’ils devaient reproduire le plus fidèlement possible, ses comédiennes et ses comédiens se mettent à égrener, tout en constituant un choeur de plus en plus fourni, une litanie de choses du monde sur le mode du parlé-chanté dopé au vocodeur. Il est alors question, pêle-mêle, d’un chargeur de téléphone, d’un coup de franc de Kolo Muani, d’une jalousie dévorante, de la langue d’une girafe, d’une allocation d’aide au retour à l’emploi, d’un CRS tatoué au visage, d’une clôture de fils barbelés, d’une story Instagram, d’une dick pic non sollicitée et, enfin, d’un piano désaccordé. Un objet dont la convocation soudaine, et répétée, apparaît ironique, tant elle concorde avec la réunion de ces fidèles, désormais pris dans un total unisson.

En se détachant du groupe, Daphné Biiga Nwanak s’impose bientôt comme maîtresse de cérémonie. « Mesdames et messieurs, cher public, bonsoir. Soyez tous et toutes les bienvenus ici, au Festival d’Avignon, dans ce Nexus de l’adoration des choses. C’est avec une joie profonde et une immense gratitude que nous nous réunissons aujourd’hui pour nous élever ensemble au niveau zéro et chanter la gloire du Tout-Venant », expose-t-elle avec une voix métallique qui n’a d’égale que le caractère robotique de ses mouvements. Cette annonce d’accueil, la comédienne à l’incroyable présence la décline sur tous les tons, sous toutes les formes et à travers toutes les attitudes, du politique – « Madame la ministre, madame le Maire, monsieur le président du conseil départemental » – au sectaire – « Mes amis, ce soir, nous allons être invités à contempler non seulement le mystère des numéros surtaxés et des huiles essentielles bio, mais aussi celui de notre participation à la vie de la communauté » –, du religieux – « Aujourd’hui, nous sommes réunis loin de la folle agitation du monde pour partager un moment de calme et de contemplation et chanter ensemble le ciel étoilé » – au parler jeune – « Mes boomeurs, mes boomeuses, mes grosses, mes gros, vous n’êtes pas là par hasard » –, en passant par le streameur – « Donc l’équipe, mettez-vous bien, installez-vous confortablement et restez avec nous parce que ce soir on va kiffer, on va s’éclater, on va tout whippin’ ! ». Émaillée de « prières et salutations » à Pina Bausch, Bad Bunny, Karl Lagerfeld et Yoko Ono, cette entrée en matière drolatique n’a rien d’anecdotique, mais pose le cadre, et le principe, de tout ce qui va suivre, de cette entreprise de compilation du monde dans laquelle Joris Lacoste et ses acolytes se sont lancés pour « caresser le grand Tout et casser le cul du Temps ».

Portés par une composition musicale hypnotique – co-signée par Joris Lacoste et Léo Libanga – et par le puissant travail sur les lumières de Florian Leduc qui, à lui seul, sculpte la totalité de l’espace, ces missionnaires des temps modernes, habillés dans des costumes qui reprennent tous les codes de la mode actuelle, vont alors s’adonner à une cérémonie en plusieurs étapes qui, à intervalles réguliers, dans sa façon de mêler chant et danse, reprend, tout en les détournant, les codes de la comédie musicale. Aux listes strictes de choses, événements, personnes, titres et autres hashtags, dont l’ampleur fait craindre, un temps, que le spectacle ne s’en contente, se mêlent rapidement des textes qui, s’ils restent fragmentaires, sont plus étoffés, comme si la pièce se dépliait et déployait, tout à la fois, un langage et une pensée, qui, en même temps que le plus général, désirait englober le particulier. Fondé sur des mentions et des associations d’idées aux atours tantôt humoristiques, tantôt politiques, mais aussi sur un art du décalage et de la surprise savamment dosé – à l’image de l’explication du fonctionnement de la carte fidélité de La Mie Câline de Saint-Nazaire –, ce cheminement furieusement iconoclaste ne tarde pas à réussir son pari un peu fou, à condenser la pluralité des existences et la diversité du monde en un seul et même mouvement. Dans ces morceaux de miroir assemblés, se reflètent les maux et les joies, les fragments d’histoire et les instants de vie, la culture pop et la culture savante, les stars et les quidams, les modes d’adresse et les domaines d’expertise, la nature et le cyberespace, et nombre d’autres éléments qui structurent, plus ou moins puissamment, notre quotidien, mais qu’il serait impossible de citer dans leur intégralité tant le travail quasi anthropologique de Joris Lacoste accouche d’une fresque étourdissante de richesse. Car, non content de collecter ces choses qui constituent nos sociétés, le dramaturge et metteur en scène amasse aussi, de façon plus subreptice, les styles musicaux et d’écriture – de l’alexandrin aux conversations WhatsApp –, qu’il utilise comme vecteurs multiples de restitution, et les postures corporelles que les comédiennes et les comédiens enchaînent dans la pénombre, d’une lecture sur la plage au tapotement sur un clavier d’ordinateur, en passant par le jeu de mains enfantin traditionnellement exécuté au rythme des chansons de cour de récré Trois petits chats ou Un éléphant qui se balançait.

Un temps volontairement déconcertante – « J’dirais c’est normal de ne pas comprendre, mais c’est aussi normal de ne pas pas-comprendre », est-il d’ailleurs assumé dans l’unique intermède du spectacle –, cette performance qui enchaîne toutes les prises de risques emporte définitivement la mise lorsqu’elle s’offre une percée vers le territoire de l’intime, lorsque les interprètes livrent un bout d’eux-mêmes – car, elles et eux aussi, finalement, font partie de notre monde –, lorsque Tamar Shelef, partant de la ville où vivait sa mère, décrit les derniers instants de sa vie, lorsque chacune et chacun développe, plus ou moins ironiquement, son attachement à une chose particulière, du rouleau compresseur de chantier à Chantal Ladesou, en passant par les thermes de Caracalla, réhabilitées dans un passage jouissivement digressif grâce à l’habileté de Thomas Gonzalez. Source d’émotion et de beauté, ce mouvement se double d’une évolution de la gestuelle des comédiennes et comédiens qui, à mesure que le temps passe, comme si la vie qu’ils s’échinent à décrire les emplissait, délaissent à pas de loup leur rectitude première pour tendre vers beaucoup plus d’humanité et de sensibilité. Preuve du travail d’orfèvre de Joris Lacoste, qui parvient, tel un poète, à ce que le fond et la forme s’épousent jusqu’à devenir organiques l’un de l’autre, il est aussi représentatif de l’incroyable talent et de l’engagement sans faille des interprètes qu’il a réunis au plateau. En plus de celles et ceux déjà cités, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Ghita Serraj et Lucas Van Poucke s’imposent comme des piliers aux mille facettes et compétences scéniques, capables de chanter et de danser, de se fondre dans un groupe ou de s’illustrer en solo, d’être, tout en même temps, acteurs et passeurs, interprètes et vecteurs. Alors, lorsqu’au terme de cette cérémonie d’un genre nouveau et unique, toutes et tous, avant de sublimement retourner à leur état initial, proposent aux spectatrices et spectateurs de saisir leur relais et de prendre en charge certaines choses qui constituent notre monde, personne ne se fait (trop) longtemps prier.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Nexus de l’adoration
Conception, texte, musique, mise en scène Joris Lacoste
Interprétation et participation à l’écriture Daphné Biiga Nwanak, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Thomas Gonzalez, Léo Libanga, Ghita Serraj, Tamar Shelef, Lucas Van Poucke
Scénographie et lumière Florian Leduc
Collaboration à la danse Solène Wachter
Collaboration musicale et sonore Léo Libanga
Costumes Carles Urraca
Son Florian Monchatre
Assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie Raphaël Hauser
Coaching vocal Jean-Baptiste Veyret-Logerias

Production déléguée Compagnie Échelle 1:1
Production associée La Muse en Circuit Centre national de création musicale
Coproduction Bonlieu Scène nationale d’Annecy, MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre Garonne Scène européenne (Toulouse), Les Célestins Théâtre de Lyon, Festival d’Automne à Paris, Festival d’Avignon, Centre Dramatique National Orléans / Centre-Val-de-Loire, Festival Musica Strasbourg
Avec le soutien de Fondation d’entreprise Hermès, Fonds de production Drac Île-de-France et pour la 79e édition du Festival d’Avignon : Spedidam.
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national et du dispositif d’insertion de l’Ecole du TNB
Résidences Abbaye de Noirlac, La Muse en Circuit CNCM, MAC de Créteil, CROMOT (Paris), La Ménagerie de Verre (Paris), Bonlieu Scène nationale d’Annecy, MC93 (Bobigny), Théâtre Garonne Scène européenne (Toulouse)

La compagnie Échelle 1:1 est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Île-de-France et soutenue par la Région Île-de-France.

Durée : 2h20

Festival d’Avignon, Gymnase du Lycée Aubanel
du 6 au 9 juillet, à 18h

Le Maillon, Théâtre de Strasbourg Scène européenne, dans le cadre du Festival Musica
les 25 et 26 septembre

MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 4 au 7 décembre

Le Lieu unique, Scène nationale de Nantes
les 19 et 20 décembre

Comédie de Clermont-Ferrand, dans le cadre du Festival TRANSFORME
les 7 et 8 janvier 2026

La Halle aux Grains, Scène nationale de Blois
le 27 mars

Les Célestins, Théâtre de Lyon, dans le cadre du Festival TRANSFORME
du 31 mars au 3 avril

8 juillet 2025/par Vincent Bouquet
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