Un an et demi après le meurtre de Nahel, tué par un policier à bout portant, et les émeutes qui ont suivi à travers toute la France, le théâtre Nanterre-Amandiers a présenté ce week-end Nemetodorum, une création participative avec 14 jeunes Nanterrien·nes.
Le 27 juin 2023, soir de la mort de Nahel, « j’entends mon quartier crier de douleur », déclame l’un des 14 comédiens amateurs sur la scène du théâtre Nanterre-Amandiers, à la veille de la première représentation d’une pièce où la ville occupe le premier rôle. « Le sujet, c’est toujours Nanterre et les émeutes. ‘À Nanterre ils cassent tout’, Nanterre a une sale réputation… Mais il y a des personnes qui ont des rêves, des ambitions, qui font de grandes choses » ici, résume l’une des comédiennes, Ayana Mroizi, 19 ans.
Avec 13 autres Nanterrien·nes de toutes origines, âgé·es de 14 à 25 ans, elle a participé depuis septembre aux dizaines d’heures d’atelier d’écriture et de travail sur scène qui ont permis la création de Nemetodorum (« bourg sacré », premier nom celte de la commune), pièce d’une heure et demi dédiée à cette ville de près de 100 000 habitants, à un jet de pierre de la capitale. « Je suis arrivé en essayant de me dépouiller le plus possible de ce que je pensais moi, pour leur demander simplement : de quoi-vous envie de parler ? », résume Noham Selcer, artiste associé au théâtre qui a recueilli et construit le texte avec eux.
« Stigmatisation »
Réponse ? De leur quotidien : Nesrine déambule sur scène dans son survêtement violet à strass en parlant de ses balades « jusqu’à la Déf’ » (le quartier d’affaires et commercial de La Défense) avec sa meilleure copine. Alassane décrit sa routine sportive et son « corps entier qui s’accroche ». Leonor dit le salon de sa mère qui « accueille tout le monde les bras ouverts ». Mais ils parlent aussi de « la stigmatisation », du racisme, des violences policières, sans pour autant ne réduire leur ville qu’à ses plaies.
« Il fallait trouver le bon angle, artistiquement, prendre le temps [pour] donner une tribune à la jeunesse », résume Nicolas Sene, cinéaste et coordinateur de l’Espace jeunesse dans le quartier Pablo-Picasso, concepteur de la pièce qui forme l’un des deux volets d’un projet initié par le directeur du théâtre, Christophe Rauck. La pièce toute entière tient sur cette ligne de crête : parler du traumatisme sans essentialiser la ville et ses habitants, souvent caricaturés par les chaînes d’information en continu.
« Nanterre, c’est le personnage principal », résume le benjamin du casting Aymen Yagoubi, petite boule d’énergie de 14 ans. Les jeunes alternent entre instants de poésie aux pieds des tours Aillaud qui défilent derrière eux sur une musique planante, déjeuners rigolards entre potes, franche révolte et ironie cinglante. Comme lorsqu’ils parodient un plateau de CNews sur les émeutes pour moquer la tendance médiatique à accuser « les Arabes et les Noirs » de tous les maux. « Les médias ont volé l’image de ce qu’est Nanterre et la banlieue », estime Rode Safollahi, 24 ans, qui espère grâce à cette pièce « apporter une parole factuelle, normalisée ».
« Un peu de pudeur »
Si le meurtre de Nahel est abordé dès les premières secondes, une scène qui devait reconstituer la journée fatidique du 27 juin a finalement été retirée du texte d’un commun accord. « Une forme de silence s’imposait, qui n’est pas une censure, pas un oubli, mais un peu de pudeur, trop de choses se sont mal racontées », détaille Julie Bertin, qui a mis en scène la pièce avec Jade Herbulot.
Si Nahel est dans tous les esprits, « la vie continue parce qu’elle doit continuer » pour Nesrine, Ayana, Marija, Simon, Wassim, qui disent leurs espoirs et leurs rêves : apprendre un sport de combat, défendre les droit des femmes, rendre fière sa famille. « Sur les 1.000 personnes qui viendront nous voir, je pense que chaque personne pourra s’identifier à un moment dans la pièce », assure Ayana. Les deux représentations auront peut-être été l’occasion pour certains spectateurs d’« écouter l’autre, d’essayer de se mettre à sa place », espère Rode Safollahi, « d’être poreux à ce qu’il se passe ».
Marin Lefevre © Agence France-Presse
Nemetodorum
Concepteur de projet et vidéo Nicolas Sene
Texte et adaptation Noham Selcer
Mise en scène Julie Bertin et Jade Herbulot du Birgit Ensemble
Avec Alassane Keïta, Ayana Mroizi, Ayachi Fath Nita, Aymen Hammi, Aymen Yagoubi, Leonor Guerreiro, Marija Miljkovic, Nesrine Boushaba-Tahar, Noah Ferrier, Robert Moundi, Rode Safollahi, Ryan Daoudi, Simon Le Disez, Wassim Jraidi
Artiste graffeur nanterrien Delso
Création son Lucas LelièvreCoproduction Théâtre Nanterre Amandiers ; Le Birgit Ensemble ; Espace jeunesse Picasso de Nanterre
Avec les soutiens de l’ACA² Université Paris Nanterre, la Cité Éducative, la Fondation FORVIA, la Fondation EDF, la Fondation Engagement Médias pour les Jeunes et du Rotary Club de NanterreDurée : 1h30
Théâtre Nanterre-Amandiers
les 8 et 9 février 2025
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