Mis en scène par Maud Galet Lalande, le spectacle enchaîne les dialogues creux et les clichés sur les conversations téléphoniques.
Comment définir Ne quittez pas [s’il vous plaît] de Maud Galet Lalande ? Réponse A : spectacle sur « les solitudes ordinaires, la perte du lien social et l’incommunicabilité » comme l’indique le programme. Réponse B : spectacle fondé sur trois situations d’échange téléphonique. Réponse C : spectacle se proposant de nous réapprendre à écouter. Alors ? Tout ceci et rien à la fois. La metteuse en scène présente une pièce sans consistance au texte pauvre et à l’intrigue fragile. Le jugement est sévère, certes, mais Maud Galet Lalande disposait pourtant d’un matériau fertile pour faire éclore un spectacle formidable. Hélas, durant 1h20 le naufrage est inévitable, malgré les décors utilisés avec adresse et le jeu maîtrisé des deux comédiens, Gaëlle Héraut (Qui va garder les enfants ?) et Philippe Lardaud (The Lulu Projekt).
Dès l’arrivée, des voix enregistrées sur une messagerie vocale résonnent. Maud Galet Lalande les utilise comme des virgules, diffusées au début du spectacle et entre les scènes, créant ainsi une brève atmosphère de confession. Ces témoignages, réflexions, attentes ou protestations contre l’administration et ses méandres ont été recueillis lors des différentes résidences et rencontres effectuées par la compagnie. De quoi logiquement nourrir un texte suffisamment dense pour créer du théâtre.
Il n’en est rien. Maud Galet n’évite pas l’égarement. Avec Hervé Urbani, associé à l’écriture, la metteuse en scène a fait germer trois séquences remplies de clichés. En premier, une femme désespérée de voir sa demande d’allocation sociale ne toujours pas aboutir, pendue à son téléphone dans l’attente qu’un agent administratif daigne prendre son appel. A l’autre bout du fil, un employé désabusé décroche et semble d’emblée inerte face à la détresse de son interlocutrice, n’hésitant pas à la mener en bateau pour ne pas l’aider. Puis, le deuxième tableau met en scène une animatrice radio à la tête d’une émission diffusée le soir à destination des cœurs à prendre et des âmes en quête d’amour. La journaliste prend l’appel d’un agriculteur, mais ce dernier peine à s’exprimer en direct avant de faire évoluer la conversation vers un tout autre sujet, déjouant les manœuvres de la présentatrice. Enfin, une standardiste téléphonique travaillant pour un institut de sondage, démarche un homme pour récolter les réponses d’un questionnaire autour du sport. Pris de pitié, celui-ci coopère malgré le manque d’égard de son interlocutrice.
Dans ces trois situations, la communication faillit, l’un refusant d’écouter l’autre et inversement. Le dispositif scénique appuie cet effet, projetant sur le plateau une matrice aux allures de grille sur laquelle évoluent les personnages. Cette dernière disparaît dans la suite du spectacle, au profit de morceaux de scotch blanc posés ou reposés lors des transitions, cloisonnant les êtres en quête de communication.
Dans ce décor bien vu, les deux comédiens enfilent les habits de leurs personnages et performent la binarité des situations : la femme précaire luttant avec un agent antipathique pour obtenir une allocation afin de pouvoir faire ses courses à l’hypermarché le 6 de chaque mois comme ses voisines, le paysan rustre méprisé par l’animatrice radio parisienne, snob et insensible, ou encore la sondeuse au débit robotique, incapable de s’écarter du protocole. Chacun des personnages est ainsi victime ou bourreau des échanges téléphoniques. Dès lors, la caricature exclut toute réflexion, condamnant les spectateurs à subir des dialogues d’une vacuité sidérante. Faut-il un spectacle pour évoquer l’incommunicabilité ? La question se pose sérieusement s’agissant de Ne quittez pas [s’il vous plaît].
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Ne quittez pas [s’il vous plaît]
Texte et mise en scène Maud Galet Lalande
Collaboration à l’écriture Hervé Urbani
Assistanat et coordination Sébastien Rocheron
Avec Gaëlle Héraut, Philippe Lardaud
Création sonore et musicale, chant live Mélanie Gerber
Scénographie et création vidéo Nicolas Helle
Création lumière Vincent Urbani
Regard chorégraphique Amélie Patard
Confection / retouches costumes Élodie Viennot
Administration Isabelle Sornette
Diffusion / presse Judith Wattez
Et les voix de Alésia, Alex, Ali, Alice, Améli, Anne, Aude, Benoît, Bernard, Charline, Christian, Claire, Clarie, Cléa, Céline, Didier, Fathi, Francesca, Francis, Geoliane, Greg, Isabelle, Kyliane, Liloo, Lily, Lucas, Maguy, Marie-Lou, Mélinda, Michel, Miche-Love, Micias, Nancy, Nawhele, Nora, Rebecca, Sadak, Sofia, Sylvain…Production Compagnie Les Heures Paniques
Co-production Tropiques Atrium — scène nationale de Martinique ; Espace Bernard-Marie Koltès – scène conventionnée d’interêt général — Metz ; NEST THÉÂTRE Centre Dramatique National transfron- talier de Thionville-Grand Est ; La Passerelle — Rixheim, Le Nouveau Relax — Chaumont. Soutiens ARIA — Olmi Cappella, La Maison Rouge — Fort de France, Théâtre de Macouria — scène conventionnée de Guyane, 11 • Avignon et Théâtre de Belleville, Collectif Le Gueuloir, France Culture, SACD, Théâtre de la Ville de Paris, Librairie Le nom de l’Homme — Lagrasse, DRAC Grand Est, Région Grand Est, Département de la Moselle, Ville de Metz. Cie conventionnée avec la Ville de Metz.Durée 1h20
Théâtre de Belleville
jusqu’au 25 avril 2023Off 2023
Au 11Tropiques Atrium – scène nationale de Martinique
21 et 22 septembre 2023
Théâtre de Macouria – scène conventionnée de Guyane
15 et 16 octobre 2023
Cette critique est incompréhensible. Oui, les situations sont ubuesques ou kafkaïennes et nous évoquent bien des souvenirs. A la fois, nous sommes dans le passé, dans le présent et dans le futur, et rien ne nous sort de cette incommunicabilité. Qu’allez vous chercher au théâtre qui vous frustre à ce point si vous ne le trouvez pas monsieur le critique ? Vous êtes très injuste dans ce que vous écrivez. Perso, je m’ennuie souvent au théâtre et bien la, pas du tout. C’est vivant, pas pompeux, bien rythmé, drôle parfois et affligeant aussi, on traverse des professions et l’on assiste à un étrange manège de souris de laboratoire. L’inhumanité est en marche.
Pour ma part, j’ai adoré ce spectacle, que j’ai trouvé juste, drôle et mordant !! La mise en scène est très ingénieuse, les comédiens super, et les situations et les dialogues, malheureusement très vraisemblables !! Pour avoir eu affaire parfois à certains organismes sociaux, j’ai reconnu l’absurdité et la déshumanisation de certains échanges et situations. Mais ce n’est pas creux, c’est très réel malheureusement et je trouve que ce spectacle montre très habilement et très justement la perte de sens, la perte de liens, la perte d’échanges. A voir, je recommande !!!
J’ai passé une soirée à l’exact opposé de cette critique.
Cette solitude et cette incommunicabilité omniprésente m’a semblé très juste et finement développé.
Le travail sur le corps de chaque personnage est d’une grande précision et rien dans la mise en scène n’est laissé au hasard.
C’était un très beau moment de spectacle vivant.
Comment définir la critique de Kilian Orain sur le magnifique spectacle « Ne quittez pas [s’il vous plaît] » de la talentueuse Maud Galet Lalande ?
Réponse A : critique d’un journaliste ordinaire en perte de lien et qui, à trop vouloir critiquer tue la critique et tombe dans l’incompréhensible (et l’incompréhension)…
Réponse B : diatribe caricaturale qui exclut toute analyse condamnant les lecteurs à subir une critique d’une vacuité sidérante. Réponse C : critique se proposant de nous faire détester le théâtre. Alors ? « L’analyste » présente une critique sans consistance au texte pauvre.
Le jugement est sévère, certes, mais Maud Galet Lalande à fait éclore un spectacle formidable et Kilian Orain avait toute la matière pour écrire une critique intelligente et sensée fondée sur des arguments objectifs. Il n’en est rien. Le journaliste n’évite pas l’égarement.
Bref pendant qu’un journaliste s’égare, un magnifique spectacle (je l’ai déjà dit non ?) se joue. Avec de beaux artistes talentueux tant sur le plateau qu’autour du plateau !
La mise en scène est ingénieuse et délicieuse . Les comédiens sont épatants. Les lumières subtiles et jolies. La scénographie efficace.
Et tant qu’il y aura des spectacles comme « Ne quittez pas », un critique qui se plaît à dévaster les jeunes compagnies ne pourra pas anéantir le spectacle vivant.
Votre article me laisse pantoise.
Ce spectacle m’a fait tout l’inverse de ce que vous décrivez. La caricature révèle au contraire la vérité de situations absurdes empreintes de vécu. C’est justement ce qui crée l’objet théâtral. La mise en scène est d’une précision impeccable et la pièce m’a atteinte en plein ventre. J’ai ri, beaucoup, été émue jusqu’aux larmes. Je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu recevoir ce spectacle aussi froidement mais nous sommes au moins d’accord sur point : les deux acteur.trice sont excellents.
Je suis perplexe devant la « critique » de cette pièce que j’ai vue. Personnellement, dans le fond comme dans la forme, j’ai eu plutôt l’impression de lire un réquisitoire à charge. Ce qui m’interroge à deux niveaux :
– sur la forme d’abord. Que l’auteur de cette « critique » n’ait pas aimé la pièce est une chose. Qu’il la descende avec aussi peu de nuances est déontologiquement discutable
– parce que sur le fond, que l’auteur de cette « critique » n’ait pas fait la différence entre la lecture d’un livre et assister à une pièce de théâtre est un vrai problème. Que toute sa frustration se cristallise sur le reproche de « dialogues creux » et de « clichés » c’est qu’il n’a manifestement pas ouvert les yeux durant la pièce, trop occupé probablement à griffonner rageusement sa « critique ». Car Maud Galet Lalande s’est appliquée à retranscrire toute l’absurdité des échanges téléphoniques comme autant de situations qui révèlent nos ultra modernes solitudes. Alors oui, les dialogues sont creux si on les prend au premier degré et si on fait abstraction de ce qui se passe sur le plateau avec des comédiens en chair et en os. Ça s’appelle le spectacle vivant et c’est ce qui le différencie de l’expérience du lecteur. Reprocher aussi durement la « vacuité » du texte c’est aussi absurde que reprocher à Beckett d’écrire une pièce aux dialogues creux entre deux personnages qui en attendent un troisième. D’autant que la pièce « Ne quittez pas [s’il vous plaît] » est émaillée d’interviews réelles dont on retrouve des phrases entières dans les dialogues fictionnels, comme des échos.
En conclusion : quel critique peut se permettre de regarder une pièce au premier degré et faire paraître un papier sans l’humilité nécessaire, au risque de mettre en difficulté une compagnie tout cela parce qu’il ne l’a pas comprise ?