Myriam Muller tente de s’emparer du film Breaking the Waves (1996), quatrième long métrage de Lars von Trier. Sans réussir à porter sur scène tous les paradoxes, toute la force du sacrifice féminin que raconte ce film déjà considéré comme un classique.
Lorsqu’il sort en salles en 1996, le film Breaking the Waves détonne. Encore peu connu – il a jusque-là réalisé trois films très imprégnés de fantastique, ainsi qu’une série télévisée, L’Hôpital et ses fantômes –, le réalisateur danois Lars von Trier y fait preuve d’une audace remarquable. Située sur la côte nord-ouest de l’Écosse au début des année 70, au sein d’une communauté hermétique, pétrie de religion protestante, l’histoire de la jeune Bess échappe à tous les registres existants. Si elle emprunte au mélodrame, elle a aussi l’austérité, le mysticisme des films de Carl Theodor Dreyer auxquels est souvent comparé le cinéma de Lars von Trier. La cruauté y naît de l’amour. Du « bien », dont le réalisateur a voulu faire la « force dynamique » de son film, disait-il au moment de sa sortie. Ajoutant ensuite que l’« on confond souvent le bien avec autre chose – quand on ne le méconnaît pas totalement – et parce que c’est une chose tellement rares, des tensions naissent forcément ».
En abordant le film par une adaptation du scénario réalisée par Vivian Nielsen, ce sont ces tensions que Myriam Muller tente de porter sur scène. « L’expression de la foi (au sens le plus large) et jusqu’où un être humain est prêt à aller par amour. Le don de soi absolu. C’est un sujet délicat et qui parfois fâche et crée plus d’antagonisme que l’expression de la violence ou de la haine qu’on comprend finalement plus facilement », explique dans son dossier de presse la metteure en scène dont le travail est produit par les Théâtres de Luxembourg. Son Breaking the Waves peine pourtant à dire tous les déchirements de Bess, interprétée par Chloé Winkel. Il ne fait qu’effleurer ses zones d’ombre, ses ambiguïtés. Tout comme celles de Jan (Jules Werner, complice de longue date de Myriam Muller), un étranger qu’elle épouse au début du film malgré les réticences de sa communauté. Et qui, après un accident qui le paralyse, pousse son épouse à avoir des relations sexuelles avec d’autres.
Cette seconde partie est très édulcorée. Après une scène entièrement filmée, où l’on voit Bess masturber un inconnu dans un bus (Olivier Foubert, qui incarne de nombreuses figures tout au long de la pièce, telles qu’un Ancien, un Homme de la Congrégation, un chirurgien ou encore un Homme dans une boîte de nuit), Myriam Muller opte pour un traitement suggestif de l’errance érotique de l’héroïne aux accents claudéliens. Sa transformation, sujet central du film, manque alors non seulement de chair, mais aussi d’âme. Deux éléments indissociables dans le cinéma de Lars von Trier. De même que le tabou, la transgression dont sont chargés ses récits vont de pair avec des formes singulières. Avec un mélange de classicisme et de modernité qui, en l’occurrence, doit beaucoup au caractère tremblé de l’image. À son apparente simplicité, produite selon les préceptes du Dogme 95, manifeste lancé à l’époque par Lars von Trier, Thomas Vinterberg et quelques autres cinéastes danois.
Ce Breaking the Waves rappelle donc la récente adaptation par Cyril Teste de Festen de Thomas Vinterberg. Ce qui n’est pas à son avantage. Loin de la maîtrise technique du pionnier de la performance filmique, Myriam Muller en adopte les procédés sans en faire un ressort dramaturgique. Si les comédiens sont régulièrement filmés à vue, leurs images projetées sur un écran placé au-dessus du plateau ne complètent en effet en rien la réalité du plateau. Ne proposant aucun substitut à la beauté aride des paysages du film, ne questionnant en rien la représentation en cours, elles participent d’une forme devenue depuis quelques années une sorte de standard de la mise en scène. D’autant plus commode qu’en plus d’apporter au théâtre la séduction de l’image, elle peut être utilisée pour tout type de récit. De la toile à la scène, les vagues de Breaking the Waves ont perdu l’essentiel de leur force et de leur beauté.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Breaking the Waves
D’après le scénario de Lars von Trier, David Pirie et Perter Asmussen et le film de Lars von Trier
Dans une adaptation pour le théâtre de Vivian Nielsen
Traduite de l’anglais par Dominique Hollier
Mise en scène : Myriam Muller
Avec : Louis Bonnet, Mathieu Besnard, Olivier Foubert, Brice Montagne, Valéry Plancke, Clothilde Ramondou, Brigitte Uhrausen, Jules Werner, Chloé Winkel
Assistant à la mise en scène : Antoine Colla
Scénographie & costumes : Christian Klein
Création sonore : Bernard Valléry
Création lumières : Renaud Ceulemans
Vidéo : Emeric Adrian
Présenté en accord avec Nordiska APS, Copenhague
Production : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Coproduction : Théâtre de Liège, DC&J Création avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et de Inver Tax Shelter
Durée : 2h05
La Criée de Marseille
Mer. 13 janvier 2021 19h00
Jeu. 14 janvier 2021 20h00
Ven. 15 janvier 2021 20h00
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