Avec My body is a cage, sa première création en tant qu’autrice et metteure en scène, la comédienne et chanteuse Ludmilla Dabo cherche à créer son propre espace hybride, à la croisée de ses disciplines. La tentative prend la forme d’un cabaret dédié à la fatigue, au surmenage, où elle partage le plateau avec des interprètes d’horizons divers. Entre paillettes et désespoir, elle peine à leur créer un langage fort.
Dans sa quête de formes nouvelles, capables de nous aider à penser l’époque, Ludmilla Dabo s’est forgé une forte et singulière personnalité d’interprète. Auprès d’Eva Doumbia, de Lazare, de David Lescot, de Jean-Philippe Vidal ou encore d’Elise Vigier, elle déploie un jeu riche des deux disciplines qu’elle pratique de longue date : la musique – elle a été formée au chant lyrique – et le théâtre qu’elle a apprivoisé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Avec la comédienne, chanteuse et metteure en scène Malgorzata Kaspzrycka, qui partage ses envies de mélange, de décloisonnement, elle créée aussi le collectif Volcano Song et participe au projet musical Gosia and the Flying Waves de cette amie qui aime à entrelacer les langues et les sonorités d’hier et d’aujourd’hui. Lorsqu’elle décide d’aller plus avant dans l’affirmation de son langage hybride en posant un geste d’écriture et de mise en scène, elle fait forcément appel à cette compagne de longue date.
On aurait pu s’attendre à ce que My body is a cage témoigne de ce riche et long dialogue. C’est peu le cas. Si on en trouve la trace dans la pièce, c’est de manière résiduelle. Comme si elle avait été écrasée par le sujet de la pièce : la fatigue, la vulnérabilité. On observe le même phénomène avec les trois autres interprètes – Anne Agbadou Masson, Alvie Bitiemo et Aleksandra Plavsic –, que Ludmilla a rencontrées sur son parcours auprès de l’un ou l’autre des metteurs en scène cités plus tôt. La fiction aurait pu recréer du lien entre les cinq artistes, mais de fiction il n’y a guère ou très peu dans cette pièce. Pour aborder son sujet d’habitude cantonné aux coulisses, ou condamné au silence, Ludmilla Dabo opte pour un genre très codifié, où la part de narration est souvent ténue : le cabaret. Paillettes et épuisement, un mariage idéal ? Le pari était audacieux, le résultat l’est moins.
En meneuse de cabaret dont l’énergie au départ débordante ne cesse de décliner, engendrant un détraquage des corps bien moulés dans des robes scintillantes, Ludmilla Dabo donne le ton de My body is a cage : survolté, excessif. Cela même dans le dernier quart du spectacle, où après s’être soudainement débarrassées de leurs artifices pailletés, les artistes délaissent le chant pour une parole plus quotidienne et intime. Elles disent leur fatigue personnelle – c’est du moins l’impression qu’elles donnent – après avoir chanté et performé celles de l’ouvrier, de la femme au foyer, de la travailleuse acharnée… Ce passage d’une forme à l’autre révèle la difficulté rencontrée par Ludmilla Dabo dans sa tentative de faire cohabiter à la fois des disciplines mais aussi des personnalités, et même des sujets très divers. Car il est au moins autant de types de fatigue que d’interprètes dans la pièce. Leur expression est pourtant assez homogène : plutôt que de donner un cadre à la singularité de chacune, le cabaret a tendance à les étouffer.
Avec leurs corps, leurs pratiques et leurs cultures différentes, Ludmilla Dabo et ses quatre compagnes de plateau avaient pourtant de quoi exprimer bien des nuances de lassitude, d’éreintement. On le mesure par exemple lorsque l’autrice-compositrice-interprète congolaise Alvie Bitiemo, arrivée en France en 2006, chante dans sa langue. On ne comprend rien et l’on comprend tout. Pendant les quelques minutes de ce chant, tout le reste s’arrête et c’est magnifique. On entend là ce qu’a perçu chez elle Ludmilla Dabo, et qu’elle formule dans le dossier du spectacle : une voix « comme une pierre qui roule dans la gorge, ou comme le cri d’un enfant ou d’une femme qui essaie de se libérer de quelque chose, ou d’une femme qui pleure, d’une femme qui rit, ou d’une autre qui joue ». Au détour d’une phrase, on sent aussi la « puissance à la fois comique et dramatique » qui séduit la metteure en scène chez Anne Agbdadou Masson.
Faute de laisser suffisamment apparaître les singularités qui la composent, My body is a cage ne dépasse guère les généralités en matière de harassement. Si l’on sent poindre la critique d’une société qui pousse les individus à la course perpétuelle, à la production et à la consommation permanentes, cette voie n’est pas plus affirmée que la dénonciation des inégalités hommes-femmes ou que l’affirmation de la beauté qui réside dans la fragilité. Victime de sa belle genèse et de ses très nombreux possibles, My body is a cage emprunte bien des chemins sans en creuser aucun. Et sans vraiment réunir celles qui y jouent et y chantent.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
My body is a cage
Texte et mise en scène : Ludmilla Dabo
Avec : Anne Agbadou Masson, Alvie Bitemo, Ludmilla Dabo, Malgorzata (Gosia) Kasprzycka, Aleksandra Plavsic
Collaboration artistique : Catherine Hirsch
Assistanat à la mise en scène : Jézabel d’Alexis
Chorégraphie : Mai Ishiwata
Lumières : Kévin Briard assisté de Zoë Dada son Aleksandra Plavsic
Production Compagnie Volcano Song en coproduction avec la Comédie de Caen – CDN de Normandie, le Théâtre Théâtre Molière – Sète, scène nationale archipel de Thau, le Théâtre de Villefranche avec le soutien du Théâtre de la Croix-Rousse, de la DRAC Ile-de-France en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Durée: 1h30
Théâtre de la Tempête
Du 10 septembre au 3 octobre 2021
Théâtre la Croix Rousse – Lyon
Du 13 au 16 octobre 2021
Comédie de Caen
Du 9 au 12 novembre 2021
Théâtre de Villefranche
Les 4 et 5 février 2022
Théâtre Molière – Sète
Le 8 mars 2022
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