Ambitieuse interrogation sur les relations hommes-machines, « Le Monde dans un instant » souffre d’une écriture de plateau très inégale. Portée par une envie théâtrale audacieuse et dévorante, la compagnie Det Kaizen s’impose malgré tout comme le nouveau collectif à suivre.
A la manière de la série « Black Mirror », il est difficile d’identifier avec exactitude l’espace temporel du monde dépeint par la Compagnie Det Kaizen. S’agit-il d’une légère anticipation ou nous est-il, déjà, immédiatement contemporain ? La question est d’autant plus prégnante, et déstabilisante, que les situations décrites dans « Le Monde dans un instant » semblent à portée de main, telles des cartes postales d’un avenir immédiat, d’un lendemain à la fois prometteur et inquiétant.
Dans ce patchwork théâtral dénué de lien narratif, se croisent le champion d’échecs Gary Kasparov vantant les promesses d’une alliance homme-machine, un étudiant captant ses souvenirs à l’aide d’une intelligence artificielle, un vieux garçon se préparant à un rendez-vous galant avec une femme rencontrée sur Internet, un vieil homme dont la fille tente d’adoucir le récent veuvage avec un robot humanoïde, ou encore une factrice au chômage à qui un conseiller Pôle Emploi propose un poste de pleureuse lors des enterrements. A chaque fois, le même fil rouge grinçant scrute la condition de l’homme moderne face à l’émergence des robots, machines et autres intelligences artificielles. La Compagnie Det Kaizen ne cherche pas à prendre parti, à décrire un monde utopique ou dystopique, mais simplement à interroger, à donner à voir les conséquences potentielles de cet inéluctable progrès technologique sur les relations économiques, sociales et amoureuses des individus.
Ambitieuse, portée par la fougue de la jeunesse, cette création collective se révèle aussi foisonnante qu’imparfaite. Mue par l’envie de tout étreindre pour mieux appréhender le monde qui vient, elle manque d’un cadre et d’une ligne directrice claire. Dicté par de bonnes intuitions intellectuelles mais construit à partir d’improvisations, le texte, malgré quelques rares fulgurances, ne parvient pas à se hisser à la hauteur de ses ambitions premières. Inabouti, pétri d’une certaine naïveté, il se heurte à la dureté d’un sujet pour le moins coriace. Les comédiens s’en alors trouvent handicapés et alternent les moments de jeu pertinents et les passages trop en force.
Pour autant, au-delà de cette faiblesse textuelle, se niche chez la Compagnie Det Kaizen une envie de théâtre qui fait mouche. Dotée d’une énergie folle, savamment maîtrisée, la mise en scène de Gaëlle Hermant impose un rythme enlevé et fait naître un univers à la fois anxiogène et intriguant. Sublimée par la création musicale captivante de Viviane Hélary et les très belles lumières de Benoît Laurent, la scénographie de Margot Clavières, construite à partir de bric et de broc, devient le creuset de moments scéniques foutraques et réjouissants. Ce théâtre audacieux, prêt à tout dévorer, il faudra le suivre de très près dans les mois et les années à venir. Avec un texte plus charpenté, Gaëlle Hermant et sa compagnie pourraient bien faire quelques ravages.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Monde dans un instant
Création et écriture scénique collective de la compagnie Det Kaizen
Mise en scène Gaëlle Hermant
Avec Jules Garreau, Victor Garreau, Viviane Hélary, Frédéric Lapinsonnière, Aude Pons, Louise Rebillaud
Dramaturgie Olivia Barron
Scénographie Margot Clavières
Création lumière et régie générale Benoît Laurent
Musique Viviane Hélary
Costumes Noé Quinoxe
Décors Loïc Carpentier et Benoît Laurent
Régie Son Léo Rossi-Roth et François Mallebay
Production déléguée Cie Det Kaizen
Coproduction La Criée Théâtre national de Marseille
Avec le soutien d’ARCADI – Région Ile-de-France, du Conseil Général de Seine-Saint-Denis/In-Situ, du Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis, de la Spédidam, de l’Adami – La Culture avec la copie privée, du Centquatre-Paris Accueils en résidence, du Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France scène conventionnée et du Théâtre Eurydice ESAT – Plaisir
Co-réalisation Théâtre Studio d’Alfortville
Durée : 1h30Théâtre Studio d’Alfortville
Du 4 au 14 avril 2018
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