Malgré une distribution quatre étoiles, le dramaturge et metteur en scène peine à donner souffle et consistance à son défilé mortuaire qui, à force de jouer la carte de la théâtralité, en vient à sonner faux.
Au théâtre comme ailleurs, les projets et autres collaborations reposent parfois sur des histoires d’amitié et de fidélité. Lorsque, à la suite d’Architecture, créé en juillet 2019 dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, Stanislas Nordey, alors directeur du TNS, demande à Pascal Rambert d’écrire pour les actrices et les acteurs associés au lieu strasbourgeois, c’est autant en raison de l’une que de l’autre. Alors en partance pour Lima, où il doit préparer la version péruvienne de Soeurs, l’auteur et metteur en scène réfléchit à cette commande et se souvient que l’une des actrices associées, à partir de 2014, au TNS manque désormais à l’appel : la mère de Stanislas Nordey, Véronique, décédée en novembre 2017. À partir de ce troublant constat, Pascal Rambert trouve le titre de sa nouvelle pièce, Mon absente, qui, au fil de l’écriture, prend peu à peu ses distances avec la figure de la comédienne pour endosser la forme, plus universelle, d’un défilé funéraire autour du cercueil fleuri d’une célèbre autrice récemment disparue. Histoire d’observer « les conséquences » de la mort sur ceux qui restent.
Dans le huis clos de la chambre mortuaire, ils sont onze à se succéder, et parfois à se croiser, pour rendre un dernier hommage à leur « absente ». Il y a d’abord Laurent, Stan, Houédo, Audrey, Claude et Vincent, les six enfants de la défunte, tous nés de pères différents, mais aussi ses trois petites-filles, Océane, Mélody et Claire, accompagnée de sa copine Ysanis, et la belle-mère de l’un des fils, Mata. Entre eux, l’ambiance n’est pas au beau fixe et les relations plus conflictuelles qu’empreintes de fraternité. Au long des confessions qu’ils délivrent au-dessus du cercueil, et des quelques accrochages verbaux qui ont lieu entre eux, on comprend bien vite que toutes et tous n’entretenaient pas le même rapport avec leur matriarche et n’ont pas profité de la même dose d’amour. Alors que Claude et Vincent, ses deux chouchous, la pleurent, qu’Audrey et ses trois petites-filles lui vouent une sorte de culte, Laurent et Stan, les deux aînés, soumis à des violences physiques et psychologiques durant leur enfance, l’ont en horreur et entendent bien régler leurs derniers comptes avec elle. Pensé comme un temps de recueillement, cet ultime adieu avant la crémation se transforme alors en exutoire et la chambre mortuaire en chambre d’écho, où le passé, heureux ou douloureux, refait surface et les dissensions présentes s’amplifient.
Armé de cette succession de monologues qu’il affectionne tant, même si elle paraît moins radicale qu’à l’accoutumée, Pascal Rambert offre un portrait diffracté de cette femme pleine d’ambivalences qui, tout en habitant un 250 m² boulevard Haussmann, n’avait pas assez d’argent pour nourrir correctement ses enfants. À travers les paroles parfois convergentes – sur son alcoolisme, son besoin inconditionnel de liberté, son penchant pour la fête… –, souvent contradictoires – sur son rôle de mère, son attitude à géométrie variable, ses combats plus ou moins encensés… –, le dramaturge parvient à bâtir un tombeau polyphonique d’où, comme souvent au moment de la mort, ne peut se dégager aucune vérité unique, aucun visage clair, tant il est reconstitué à partir des souvenirs et de la part de vérité de chaque personne de l’entourage. Malheureusement, la révélation de ce juste écart constitue l’un des seuls intérêts de ce texte qui, dans le détail, repose sur une série d’attendus, pour la plupart à peine effleurés, et trace des chemins dont l’immense majorité ont déjà maintes fois été empruntés. De la maltraitance dans l’enfance aux persécutions du vilain petit canard de la famille, de l’amour qui saute une génération à la fille dévouée qui n’a jamais su couper le cordon, en passant par les pulsions de vie qui interviennent au moment de la mort, rien, ou presque, ne parvient à donner une consistance originale à l’ensemble. Pas même l’Afrique, ni le rapport au numérique dans le processus de deuil qui, sous-traitée pour la première et vulgairement amené pour le second, n’apparaissent, au mieux, que comme des coquetteries.
Insuffisamment porté par une langue que l’on a connue plus travaillée, et qui, cette fois, manque de souffle et de vibrations, le texte de Pascal Rambert croule surtout sous une proposition scénique ampoulée. Esthétiquement séduisant, convaincant dans sa capacité à faire rôder les fantômes autour du cercueil et des vivants, l’espace scénographique apparaît, à la longue, trop figé et monolithique pour ne pas écraser de tout son poids un discours qui peine à tenir le choc. Malgré une distribution quatre étoiles qui réunit des fidèles de longue date – Audrey Bonnet, Stanislas Nordey –, des compagnons de l’aventure Mont Vérité – Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Claire Toubin – et des nouveaux venus au talent confirmé – Vincent Dissez, Claude Duparfait, Mata Gabin, Laurent Sauvage –, la direction d’acteurs imposée par le metteur en scène, à trop jouer la carte de la distance et de la théâtralité, pour se prémunir, sans doute, de tout pathos, se fait trop empruntée, et les comédiennes et comédiens réunis pour l’occasion ne produisent pas les étincelles dont ils sont habituellement capables. Si quelques rares beaux moments fleurissent çà et là, à l’image des barouds d’honneur sensibles de Vincent Dissez et Claude Duparfait, cette ode funéraire tumultueuse en vient alors à sonner faux et apparaît trop corsetée, calculée et verrouillée pour transmettre la moindre vague d’émotion sincère.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Mon absente
Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet, Océane Caïraty, Vincent Dissez, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Claude Duparfait, Mata Gabin, Stanislas Nordey, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Laurent Sauvage, Claire Toubin
Lumières Yves Godin
Costumes Anaïs Romand
Musique Alexandre Meyer
Collaboration artistique Pauline Roussille
Régie générale Félix Löhmann
Régie lumière Thierry Morin
Régie son Chloé Levoy
Régie plateau Antoine Giraud
Régie vidéo Jean-Christophe Aubert
Assistanat à la mise en scène et répétiteur Davide BrancatoProduction structure production, Châteauvallon-Liberté – Scène nationale
Coproduction TNS – Théâtre National de Strasbourg, ExtraPôle Provence-Alpes-Côte d’Azur, La Criée – Théâtre National de Marseille, Théâtre du Gymnase-Bernardines – Marseille, Théâtre National de Nice, ERT – Emilia Romagna Teatro (Italie)Mon absente est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.
Durée : 2h
MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 12 au 19 janvier 2024Théâtre National de Nice
les 23 et 24 janvierLa Criée, Théâtre National de Marseille
du 1er au 3 février
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !