Dans Moi c’est Talia, Faustine Noguès aborde avec pertinence, humour et intelligence, le territoire de l’enfance. Et un lieu qui ne prend jamais de congés : notre tête. A moins de faire un break méditatif. Mais appuyer sur pause n’est pas si simple…
Que ceux qui n’ont pas de voix dans la tête lèvent le doigt ! Qui n’en a pas, de ce flux intérieur qui bavarde sans cesse en sourdine et nous poursuit inlassablement au fil des âges depuis notre première conscientisation d’être un individu unique et séparé des autres ? Talia, notre héroïne, collégienne attachante, en a une montée sur ressorts et c’est un vrai moulin à paroles. Alors quand elle doit suivre un atelier méditation au CDI de son établissement, pas facile de faire le vide et ne penser à rien. Impossible même ! Comment faire taire ce flot de pensées ininterrompu capable des réflexions les plus subtiles comme des remarques les plus triviales ? C’est une agitation sans nom, un brouhaha qui part dans tous les sens, un réseau d’associations d’idées qui joue à saute-mouton dans son dos. Ou plutôt dans son cerveau.
Excellente intuition que celle de Faustine Noguès d’aborder le sujet de la méditation en vogue pour mieux aller creuser nos profondeurs, cette fameuse vie intérieure que nous possédons tous, en se concentrant sur une période de transition et de bouillonnement, le passage de l’enfance à l’adolescence. Excellente intuition également de dédoubler au plateau la jeune fille et sa voix intérieure en deux interprètes distinctes et différentes, épatantes de précision et d’allant : Lia Khizioua Ibanez en Talia, jean, baskets orange, adresse directe au public, énergie solaire et bel aplomb et Délia Espinat-Dief, en Taliabis, la fameuse voix intérieure tout feu tout flamme, intense, pétillante et drolatique, dans sa combinaison bariolée en mode street art. Toutes les deux mènent le jeu dans une harmonie délicieuse.
Conçu par Alice Girardet qui signe aussi les costumes, le décor, ingénieux, représente l’espace mental de Talia, une structure de boîtes à la verticale, comme des casiers de rangement qui dévoileront leur contenu au fur et à mesure que la frontière entre Talia et sa voix se brouille. Entre jeux de transparences et de dévoilements successifs, l’évolution scénographique va de pair avec la dramaturgie du spectacle qui opère la prise de conscience de ce dédoublement entre personnalité sociale en interaction avec le monde extérieur et identité intime, ce lieu inaccessible aux autres que l’on garde pour soi, ce coffre intérieur où s’amoncelle ce qui nous traverse, nous travaille, nous tenaille. Et les pensées bombardées tout haut par cette voix incarnée s’agrègent à un environnement sonore qui les contextualise à bon escient, que ce soit dans la salle de classe ou à la maison. Les personnages qui gravitent autour de Talia au contraire de son double présent physiquement au plateau sont réduits à l’état de voix off tandis que la toile de fond sonore est fabriquée en direct par Taliabis en un procédé de bruitage ludique et judicieux. Les mots se mêlent alors aux bruits quotidiens qui nous habitent en une partition intérieure colorée.
Dans cette zone de turbulence qu’est l’entrée dans l’adolescence, le personnage devient un livre ouvert qui exprime son ennui, ses peurs, ses colères, ses doutes, ses jugements à l’emporte pièce, son imaginaire foisonnant, dans un va et vient entre dedans et dehors intelligemment mené. Le texte de Faustine Noguès est une pépite, juste, drôle, pertinent, il touche au plus près de nos états d’âme et peu importe notre âge, sa portée nous parvient car il nous concerne tous indéniablement. Le spectacle orchestre à merveille le lien entre les deux interprètes, la porosité graduelle des espaces de jeu, le conflit entre ce que l’on cache et ce que l’on montre. On rit énormément tant les situations font mouche et les répliques percutent. Oscillant entre gravité et légèreté, Moi c’est Talia est un formidable instrument de réflexion à l’égard du jeune public qui lui a fait un accueil chaleureux au Théâtre Paris Villette. Un tremplin idéal pour aborder un sujet capital encore jamais exploré sur scène.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Moi c’est Talia
Texte et mise en scène : Faustine Noguès
Jeu : Délia Espinat-Dief et Lia Khizioua
Création sonore : Colombine Jacquemont
Scénographie/ costumes : Alice Girardet
Création lumière : Zoé Dada
Coproductions : Théâtre Paris-Villette (Producteur délégué) et Compagnie Madie Bergson – Le Bureau des Filles
Soutiens : La Région Île-de-France, le Festival Rumeurs Urbaines – cie Le Temps de Vivre, la Chartreuse-CNES de Villeneuve lez Avignon, l’Espace Marcel CarnéA partir de 8 ans
Durée 50 min
Du 17 février au 5 mars 2023
Au Théâtre Paris-VilletteNovembre 2023 au Théâtre de Corbeille-Essonnes
Janvier 2024 : Espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge
Janvier 2024 au Théâtre Chevilly-Larue, André Malraux
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