Armée d’une bande de marionnettes aussi fascinantes que terrifiantes, la jeune metteuse en scène compose un livre d’images poétique qui rend grâce au symbolisme noir d’Herman Melville.
Tel un océan dont on se contenterait d’admirer la surface, Moby Dick peut passer pour un strict roman d’aventure. Comme l’histoire d’une simple quête vengeresse, celle d’Achab, bien décidé à faire la peau à ce cachalot qui, quelques années plus tôt, lui avait arraché une jambe, le laissant amputé et claudiquant sur le pont de son baleinier, Le Pequod. Sauf qu’à y regarder de plus près, l’oeuvre d’Herman Melville renferme de multiples strates de lecture qui conduisent vers les abîmes humaines. Il y a, bien sûr, la lutte entre l’homme et la nature, symbolisée par cette bataille, quasi antédiluvienne, entre le capitaine et la baleine ; mais aussi un affrontement plus métaphysique, entre le Bien et le Mal, entre Dieu et le Diable, que peuvent incarner, tout aussi puissamment, l’un ou l’autre des belligérants. Et c’est bien dans cette dernière direction que, pour son adaptation, Yngvild Aspeli a choisi d’embarquer sa compagnie Plexus Polaire.
A la barre de ce pavé de plus de 700 pages, la jeune metteuse en scène n’en a conservé que le squelette structurant. Exit, donc, les quelque trente personnages de l’équipage et leurs innombrables péripéties. Avec l’aide de sa dramaturge, Pauline Thimonnier, elle ajuste la focale pour se concentrer sur la vision d’Ismaël, incontournable narrateur et unique survivant de l’expédition, sur sa noirceur mélancolique, son appréhension duale des fonds marins et surtout sa perception d’Achab, devenu un ambivalent tyran, prêt à sacrifier ses hommes pour satisfaire cette force qui le gouverne. Emerge alors un livre d’images, où le texte n’occupe qu’une place congrue, une hallucination poétique, où l’humain conteur et solitaire – porté par un Pierre Déverines encore trop effacé – serait moins vivant que les marionnettes qui l’entourent.
Car ce sont elles, et bien elles, qui s’arrogent la part du lion, plastique et dramaturgique. En solo ou en bande, sous la forme d’un capitaine, d’un moussaillon, d’un cachalot, d’un requin ou de poissons brillants, elles sont, à la fois, bluffantes dans leur conception et manipulées avec une virtuosité et une fluidité remarquables. Surtout, elles guident, par la variabilité de leur taille, le regard du spectateur qui tantôt adopte le point de vue humain, tantôt celui de l’animal. A bord d’un bateau plus imposant que lui, commandé par un Achab plus ou moins écrasant en fonction de la qualité du marin qui le regarde, il le voit soudain en rafiot d’opérette, perdu au beau milieu les flots, sous la menace souterraine ou éruptive de l’omniprésent Moby Dick. Grâce à ce jeu avec les perspectives, Yngvild Aspeli remet chaque chose à sa place. Infiniment grand aux yeux de son équipage, soumis à son autorité presque sans faille, le capitaine ne devient qu’un détail insignifiant, presque imperceptible, dans l’œil de l’immense cachalot.
Traduites dans cette bande de marionnettes, terrifiantes et fascinantes à la fois, et dans la belle création vidéo de David Lejard-Ruffet qui, pour absorber le regard, dépasse le cadre de scène, les intentions profondes d’Herman Melville transparaissent aussi dans la composition musicale de Guro Skumsnes Moe, Ane Marthe Sørlien Holen et Havard Skaset. Englouti dans les ténèbres scénographiques, le trio norvégien offre à l’ensemble un thème et ses variations, qui permettent à Yngvild Aspeli de se passer d’un trop-plein de mots pour faire, malgré tout, jaillir une palette fournie d’émotions. Comme portée par les flux et les reflux de la mer, le long voyage qui peut conduire du jour à la nuit, la metteuse en scène surfe alors sur les flots tourmentées de l’âme humaine, à proximité des rivages les plus obscurs du symbolisme.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Moby Dick
d’après Herman Melville
Mise en scène Yngvild Aspeli
Avec Pierre Devérines, Sarah Lascar, Daniel Collados, Alice Chéné, Viktor Lukawski, Maja Kunsic, Andreu Martinez Costa
Dramaturgie Pauline Thimonnier
Musique Guro Skumsnes Moe, Ane Marthe Sørlien Holen, Havard Skaset
Marionnettes Polina Borisova, Yngvild Aspeli, Manon Dublanc, Sebastien Puech, Elise Nicod
Scénographie Elisabeth Holager Lund
Lumière Xavier Lescat, Vincent Loubière
Vidéo David Lejard-Ruffet
Costumes Benjamin Moreau
Son Raphael Barani
Assistant mise en scène Pierre Tual
Regard extérieur Paola RizzaProduction Plexus Polaire
Coproduction Nordland Teater (Mo I Rana, Norvège), Figurteatret i Nordland (Stamsun, Norvège), Le Groupe des 20 théâtres (Île-de-France), Puppet Theatre Ljubljana (Slovénie), Puppentheater Halle (Allemagne), La Comédie de Caen Centre dramatique national de Normandie, Bords II scènes (Vitry-le-François), TJP Centre dramatique national Strasbourg- Grand Est, Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, Le Manège Scène nationale de Reims, Le Théâtre Scène conventionnée d’Auxerre, Le Mouffetard (Paris), Les 2 Scènes Scène nationale de Besançon, MA Scène nationale de Montbéliard, Le Sablier (Ifs), Théâtre Jean Arp (Clamart), La Maison MCNA (Nevers), Théâtre Romain Rolland (Villejuif), Le Bateau Feu Scène nationale Dunkerque
Avec le soutien de Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi Scène conventionnée – Panthea, Teater Innlandet (Hamar, Norvège), Kulturrådet / Arts Council Norway, Ministère de la Culture Drac Bourgogne-Franche-Comté, Région Bourgogne-Franche-Comté, Fond for lyd og bilde (Norvège), Département du Val-de-Marne, Département de l’Yonne
Co-accueil Festival d’Avignon, La Chartreuse-CNES de Villeneuve lez AvignonDurée : 1h30
Le Monfort, Paris
du 19 au 29 maiThéâtre de Lorient
les 27 et 28 maiAOUT
12-25/08 – Résidence – Nordland Teater, Mo i Rana, NORVÈGE
25/08-13/09 – Tournée Nordland, NORVÈGE
SEPTEMBRE
25/08-13/09 Tournée Nordland, NORVÈGE
24-25/09- Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières, FRANCE
OCTOBRE
7-10/10 – Comédien de Caen, CDN, FRANCE
13-15/10 – Le Trident, scène nationale de Cherbourg, FRANCE
22/10 – La Faïencerie, Creil, FRANCE
NOVEMBRE
3-4/11 – Ljubljana Puppet Theatre, Ljubljana, SLOVENIE
9/11 – Espace Sarah Bernardt, Festival Théâtral du Val d’Oise, Goussainville, FRANCE
14/11 – Festival of Wonder, Silkeborg, DANEMARK
20/11 – Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine, FRANCE
23-24/11 – Théâtre en Dracénie, Draguignan, FRANCE
27/11 – Le Carré, Sainte-Maxime, FRANCE
30/11 – Le Théâtre de Rungis, FRANCE
DÉCEMBRE
04/12 – Espace Lino Ventura, Garges-les-Gonesse, FRANCE
07/12 – Théâtre de Chelles, FRANCE
10/12 – Les Passerelles, Pontault-Combault
13-14/12 – La Garance, scène nationale de Cavaillon, FRANCE
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