Pensé comme un double du narrateur-personnage de J. D. Salinger, le spectacle de Marylin Leray fait le portrait d’une jeunesse paumée, viscéralement incarnée par Mégane Ferrat, seule en scène.
Dans le roman de l’auteur américain J. D. Salinger, publié en 1951 et aussitôt en passe de devenir un véritable phénomène littéraire, Holden Caulfield est un adolescent issu de la bourgeoisie, qui, contraint de quitter l’internat, part vivre trois jours déterminants et mouvementés pendant lesquels il erre à travers la ville de New York. Dans la pièce de Guillaume Lavenant que met en scène Marilyn Leray, Holden est le prénom que se donne Lola, une jeune fille qui voudrait être quelqu’un d’autre et s’invente une réalité parallèle pour tenter de mieux supporter l’hostilité de la sienne. Silhouette androgyne et vagabonde un peu dégingandée, en anorak et le bonnet toujours vissé sur la tête, l’adolescente paraît d’abord dans sa bulle, rétive au monde et aux autres à qui elle décide de tourner le dos, assise sur une palette en bois d’entrepôt installée dans une sorte de no man’s land, puis de plus en plus exaltée, débitant à toute vitesse Comin’ Thro’ the Rye, le poème de Robert Burns. Volubile, elle paraît tout de même murée dans une solitude. Un manque de perspectives que souligne bien l’exiguïté de la chapelle du Théâtre des Halles au sein de laquelle se joue le spectacle dans le Off d’Avignon.
Le sol est recouvert de morceaux de carton et de menus détritus, type paquets de chips et berlingots de jus de fruits vides. L’espace évoque un lieu précaire, tenu à l’écart, un sas, un refuge que la jeune fille voudrait rassérénant, mais qui n’est finalement pas très rassurant. Elle a fugué et a soif d’ailleurs. Elle projette de suivre son plan de prendre un bateau pour le Portugal avant que la nuit tombe. Elle a donné rendez-vous à sa seule amie, une fille qu’elle a rencontrée au lycée, où elle est soit ignorée, soit harcelée, et qu’elle a l’habitude de retrouver sur des parkings d’hôtels ou de supermarchés. Elle l’attend, mais elle ne viendra pas.
De cette figure adolescente complexe et bouleversante, la comédienne Mégane Ferrat offre une juste incarnation, tout en nuances et en vibrations, pleine de vitalité et de vulnérabilité. Elle donne accès au tempérament bien trempé comme à la permanente instabilité du personnage qui se raconte à travers des souvenirs d’enfance, relate la dureté des membres de sa famille, dont elle fait de savoureux portraits dépréciatifs, comme de son environnement qu’elle conteste fermement. Elle fait déborder aussi bien physiquement que verbalement la violence contenue dans son corps et dans son cerveau en totale ébullition. Le propos est alors porté avec force, et mâtiné de multiples sentiments exacerbés. Jouant avec la lame d’un couteau aiguisé, rêvant à une belle nuit étoilée, elle porte un regard sensible, inquiet et assoiffé sur son existence marginalisée.
Le shoot d’énergie vitale que procure le jeu de la comédienne est au diapason du texte nerveux et incisif de Guillaume Lavenant, dont l’écriture adopte un style oral et familier qui suit un rythme pêchu et rend compte de l’urgence, de la nécessité, de dire et de vivre avec intensité. Le départ de Holden, qui sert de dénouement à la pièce, se présente à la fois comme un aboutissement et un commencement, point d’étape fondamental d’un itinéraire vraiment touchant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Holden
Texte Guillaume Lavenant
Conception et mise en scène Marilyn Leray
Avec Mégane Ferrat
Scénographie Valérie Jung
Création musicale Rachel Langlais
Création lumière Sara Lebreton
Création costumes Caroline Leray
Régie son Jérôme Teurtrie
Régie générale Pierre-Yves ChouinProduction Le Café Vainqueur
Coproduction Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le théâtre en collaboration avec le Lycée Saint-Sauveur de Redon, La Minoterie – Pôle de création jeune public et d’éducation artistique de Dijon , ONYX – Théâtre de Saint-Herblain, Ville de Saint-Herblain
Coréalisation Théâtre des Halles – Avignon
Soutiens Chapelle Dérézo – lieu d’expérimentation artistique à Brest, La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle de Villeneuve-lèz-Avignon, L’arc – scène nationale Le Creusot, L’Amin Théâtre – Le TAG
Résidences Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le théâtre, Chapelle Dérézo – Ouvroir du spectacle vivant, Brest, La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle de Villeneuve-lèz-Avignon, La Minoterie – Création jeune public et éducation artistique, L’arc – scène nationale Le Creusot, L’Amin Théâtre – Le TAGLa compagnie est conventionnée avec la Drac des Pays de Loire ainsi que le département de Loire-Atlantique, et subventionnée par la Région Pays de la Loire et la ville de Nantes
Durée : 1h15
Vu en juillet 2024 au Théâtre des Halles, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
Théâtre Dunois, Paris
du 3 au 11 mars 2025
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