Avec May He Rise and Smell the Fragance, le chorégraphe libanais Ali Chahrour clôt une puissante trilogie consacrée aux rituels funéraires chiites. Accompagné de la comédienne Hala Omran et par les musiciens Ali Hout et Abed Kobeissy, il danse le mort pour célébrer la vie.
À partir des gradins, une fumée remplit la salle. Une musique gronde et puis il y a un cri. Un hurlement de femme qui place d’emblée May He Rise and Smell the Fragance sous le signe de de la perte. Dans la droite continuité de Leïla se meurt et de Fatmeh, les deux premiers volets de la trilogie d’Ali Chahrour présentés en 2016 au Festival d’Avignon et consacrés au deuil. Au pouvoir du geste dans les rituels de deuil du Liban chiite. Car dans la danse, ce qui intéresse le chorégraphe libanais qui vit et travaille à Beyrouth, c’est la manière dont un mouvement peut résumer un contexte politique, religieux et social. La façon dont un bras levé ou un torse agité de tremblements peut convoquer l’Histoire et questionner le présent.
Dans le tonnerre initial, trois hommes émergent au pied des spectateurs. Soient Ali Chahrour lui-même et les musiciens Ali Hout et Abeb Kobeissy, dont l’exploration de la violence du monde arabe et de la reconstruction d’après-guerre de la capitale du Liban contribuaient déjà à la force de Leïla se meurt. Ils se dressent et Hala Omran entre en scène. Digne, magnifique, la comédienne syrienne installée en France confirme par le chant la mort suggérée par le cri. « Si tu pars, je resterais seule », répète-t-elle avec sa voix profonde. Et cette phrase de mère en deuil détermine tout le reste. La succession de gestes simples d’Ali Chahrour, sa présence, les chants interprétés par Hala Omran et les musiques électro-acoustiques du duo Two or The Dragon, avec leur subtil mélange de buzuq – luth levantin à manche long –, de percussions et de sons électros.
D’un tableau à l’autre, les rythmes varient. La lenteur alterne avec la frénésie, alors que les deux premiers volets de la trilogie étaient construits selon un schéma plus classique, crescendo. Après avoir travaillé essentiellement sur la transposition de rituels traditionnels sur une scène contemporaine, Ali Chahrour se permet de décomposer les cérémonies existantes. D’en offrir une lecture plus subjective. Avec un matériau chorégraphique plus hétérogène. La distribution y est pour beaucoup. En dansant avec Hala Omran après avoir mis en scène une pleureuse dans Leïla se meurt et deux danseuses non-professionnelles dans Fatmeh, l’artiste achève son inventaire personnel des gestes de la mort sur un geste de libération.
Base de May He Rise and Smell the Fragance, la cérémonie chiite de l’Achoura – « pendant laquelle sont glorifiées et pleurées les grandes figures, les martyrs anciens et actuels de l’histoire arabo-musulmane », explique Ali Chahrour sur la feuille de salle – devient ainsi outil de compréhension de l’époque. De la violence qui touche aujourd’hui non seulement le Liban, mais une grande partie du Moyen-Orient. Des guerres, mais aussi de la place du corps de l’homme et de la femme dans les sociétés arabo-musulmanes. En utilisant des références très ancrées dans la culture libanaise, et ne fournissant au public français que des textes extérieurs à la performance, Ali Chahrour persiste très justement dans son refus des formats occidentaux ou mondialisés. Il dit aussi son amour pour son pays. Son désir de résistance à l’ère du temps.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
May he rise and smell the fragance
Avec Ali Chahrour, Ali Hout, Abed Kobeissy, Hala OmranChorégraphie Ali Chahrour
Dramaturgie Junaid Sarieddeen
Musique Two or The Dragon
(Ali Hout, Abed Kobeissy)
Lumière Guillaume Tesson
Son Khyam AllamProduction Ali Chahrour en collaboration avec Zoukak theatre company
Coproduction Fabrik Potsdam
Avec le soutien de Goethe Institute, Arab fund for arts and culture ”Afac” de Houna Center, Zoukak theatre company, Institut français de Beyrouth
En partenariat avec France Médias Monde
Spectacle en arabe surtitré en français
Durée : 1hFestival d’Avignon 2018
Théâtre Benoît-XII
Du 14 au 17 juillet à 15h
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