Mathieu Coblentz adapte l’œuvre phare de Sir James Matthew Barrie en privilégiant le récit plus que l’action, et déploie des tableaux scéniques d’une grande beauté où musique et chant lyrique se mêlent en une dimension opératique.
Théâtre d’ombre et de lumière, lyrique et rock, que cette version de Peter Pan adaptée de l’œuvre de Sir James Matthew Barrie par le metteur en scène Mathieu Coblentz. Rien à voir avec le film édulcoré de Disney qui éponge la violence du personnage à grand renfort d’humour et de couleurs vives ; rien à voir avec une lecture manichéenne du roman original qui fait du Capitaine Crochet le grand méchant de l’histoire et de Peter Pan un enfant éternellement insouciant. Cette adaptation-là fait la part belle à la noirceur des personnages, au côté obscur du conte. Elle ne se dépare pas de la dimension magique et merveilleuse propre à l’intrigue et à sa féérie, mais elle la condense dans une esthétique épurée qui favorise la part imaginaire. Peu d’éléments de décors, peu de scènes montrées, c’est le récit qui prédomine ici, au risque de perdre un peu le public dans des tunnels de textes réclamant une attention de tous les instants. Le choix est audacieux, il prend à rebours les attendus, ne s’oblige à rien, et surtout pas à illustrer les passages les plus emblématiques de la fable.
Au plateau, ils sont trois, grimés de blanc, et se partagent avec allant les rôles principaux : Wendy, le Capitaine Crochet, Mouche le mousse, Peter Pan et Sir James Matthew Barrie, l’auteur de ce personnage devenu légendaire. En robe de chambre aux motifs japonisants, Florian Westerhoff interprète l’écrivain avant de se glisser dans la silhouette de Peter Pan, puis dans le costume du Capitaine Crochet. Judicieuse répartition de rôles qui permet au comédien d’expérimenter différentes tonalités et de ne pas opposer de façon simpliste les deux ennemis jurés. À ses côtés, Jo Zeugma incarne son acolyte et souffre-douleur drolatique, tandis que Judith Périllat fait de Wendy une jeune fille pleine de tempérament qui prend en main le départ vers le pays imaginaire autant que le retour au foyer. Les parents, les frères et sœurs ainsi que la ribambelle d’enfants perdus ne sont pas représentés. Quant à Clochette, clou minuscule du spectacle, elle virevolte au-dessus de nos têtes, annoncée par le tintement de grelot qui accompagne son vol et nous prévient de sa présence étonnante.
La force du spectacle de Mathieu Coblentz tient dans les images magnifiques qu’il crée. Scènes d’ombres chinoises particulièrement réussies, choix chromatiques des costumes où le rouge prédomine, lumières changeantes, pénombre prégnante, paillettes volatiles et bulles de savon, rideau de fil ménageant des effets d’apparition-disparition ou tissu de soie écarlate transformé en cape, l’aspect visuel est soigné et ce sont des tableaux d’une grande beauté qui habillent le texte pris en charge au plateau ou en voix off. La musique tient également une place prépondérante et caractérise les personnages : Crochet aime la rime, et s’exprime en vers et en rock énervé ; Wendy en envolées lyriques intenses, reprenant Monteverdi, Purcell ou… les Beatles. Car ce Peter Pan est nourri d’emprunts et références, savantes et populaires, comme pour mieux le partager aujourd’hui et témoigner de son appartenance collective. Les clins d’œil s’accumulent – à E.T, Star Wars, une chanson datée de Billy Ze Kick… –, le duo Mouche/Crochet provoque l’hilarité de la salle, faisant contrepoint à la cruauté à l’œuvre dans l’histoire.
En concentrant l’incarnation sur trois figures essentielles du conte, Mathieu Coblentz redistribue les cartes de leurs rôles, et rétablit la place de chacun et la noirceur qui s’y joue. Peter Pan n’est plus le centre, mais l’un des trois héros, un petit tyran sans vergogne qui n’hésite pas à tuer ceux qui voudraient grandir et n’écoute pas ce qu’on lui dit. Faire le choix de l’enfance à l’infini, c’est refuser le passage du temps et ce qu’il apporte de maturité, de prise en compte de l’autre, de conscience de soi dans le monde ; c’est refuser de vieillir, aller dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et du cycle de la vie. Car Peter Pan est une œuvre plus philosophique qu’elle n’en a l’air et le tic-tac du crocodile sonne comme une métaphore. Tout ce petit monde n’a peur au fond que d’une chose : la mort. Mais Wendy décide de rentrer, de croire aux vertus de la maturité. Beau message qui donne envie de grandir plutôt que de fuir l’avenir.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Peter Pan
d’après l’œuvre de Sir James Matthew Barrie
Traduction Yvette Métral (Flammarion, 1981)
Mise en scène, adaptation, scénographie Mathieu Coblentz
Avec Judith Périllat, Florian Westerhoff, Jo Zeugma
Collaboration artistique, lumière, scénographie Vincent Lefèvre
Dramaturgie Marion Canelas
Création sonore Nicolas Roy
Régie son Clément Combacal, Simon Denis
Création musicale Jo Zeugma
Costumes Sophie Bouilleaux-Rynne
Décor, accessoires Jérôme Nicol
Construction Philippe GauliardProduction Théâtre Amer
Coproduction Théâtre National Populaire – Villeurbanne ; L’Archipel – Pôle d’action culturelle de la ville de Fouesnant/Scène de territoire pour le Théâtre de Fouesnant-les Glénan ; Centre culturel Athéna – Auray ; Maison du Théâtre – Brest ; Centre culturel de Fougères agglomération ; Théâtre du Champ au Roy – Guingamp ; Théâtre du Pays de Morlaix – Scène de territoire pour le théâtre ; Les Bords de Scènes – Grand-Orly Seine Bièvre ; Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper ; Très tôt Théâtre, scène conventionnée jeunes publics – Quimper ; Le Canal, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le théâtre – Redon ; La Paillette – Rennes
Soutiens DRAC Bretagne, Région Bretagne, Conseil départemental du Finistère, Théâtre Paris-Villette, SPEDIDAMLa compagnie est conventionnée par la DRAC Bretagne – Ministère de la Culture et bénéficie du soutien du Conseil Régional de Bretagne. Cette série de représentations bénéficie du soutien financier de Spectacle vivant en Bretagne.
Durée : 1h
À partir de 8 ansThéâtre Paris-Villette
du 13 au 28 avril 2025
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