À la MAC Créteil, Pierre Guillois peine à déployer sa fantaisie spatio-musicale et à faire émerger cette folie douce qui, habituellement, fait tout le sel de son travail.
Sur le papier, l’aventure Mars-2037 promettait d’être belle. En ambitieux commandant de bord, Pierre Guillois entendait, à travers ce projet, accomplir deux de ses rêves : monter une comédie musicale et aller dans l’espace. « Raconter l’un avec l’autre confine au fantasme », assurait-il. Orchestrée avec son complice Nicolas Ducloux – déjà à la manoeuvre dans Opéraporno –, cette odyssée spatio-musicale s’annonçait, eu égard au passif du tandem, haute-en-couleur et délirante, entêtante et envoûtante. Las, à l’épreuve des planches, ce voyage vers la planète rouge est, malheureusement, plus proche du faux départ artistique que de l’aller simple vers les étoiles.
Le metteur en scène y a pourtant mis du cœur, et des moyens. A la manière des comédies musicales dont elle se réclame, Mars-2037 est une grosse production, de celles qui ne reculent devant rien. Au plateau, se croisent cinq chanteurs-acteurs et autant de musiciens, mais aussi une kyrielle de techniciens nécessaires au bon fonctionnement de l’immense machinerie imaginée par Pierre Guillois et la scénographe Audrey Vuong. A l’image du milliardaire De Faïa, cet octogénaire brésilien, considéré comme l’homme le plus riche de tous les temps, qui a, en bon avatar d’Elon Musk, imaginé et financé cette mission hors-norme, le duo a concrétisé ses désirs les plus fous : du module martien au vaisseau spatial en plan de coupe, des créatures extra-terrestres au petit robot, Bertrand, à qui revient la lourde charge d’assister l’équipage. Triés sur le volet au terme d’un concours draconien, ils sont trois à avoir été retenus : Helen, Liza et Miguel. Si le dernier ne tarde pas à fausser compagnie à ses deux camarades, contre la coquette somme de 100 millions de dollars, il est bien vite remplacé par Pavel, un journaliste un peu raté, que De Faïa choisit d’embarquer à bord de son vaisseau. Ne reste sur Terre – au sens propre comme au figuré – que Vénus, la bien-nommée fille du milliardaire, qui fait tout son possible pour torpiller cette mission qui, investissement après investissement, engloutit son héritage.
Après moult échecs, l’aventure a la saveur des conquêtes pionnières et promet d’installer la première colonie humaine sur la planète rouge. Acariâtre et un brin dérangé, l’octogénaire brésilien n’en a pas moins savamment tout préparé, à l’instar de Pierre Guillois dont on ne peut que saluer le travail de documentation qui prend en compte tous les obstacles, scientifiquement exacts, d’une telle épopée : l’absence de retour possible – à cause d’un manque d’oxygène et de carburant –, les conditions extrêmes de la vie martienne – avec une température moyenne de -63°C et des rayonnements cosmiques qui obligent les colons à vivre sous terre –, l’impact de la microgravité sur les corps… Et si, sur scène, en dépit de ces embûches, cette improbable odyssée a bel et bien lieu, la pièce imaginée par le dramaturge ne décolle jamais vraiment. Tout se passe comme si, une fois le principe du voyage posé, Pierre Guillois ne savait plus quel cap fixé. Dépourvu de toute montée en tension, en émotion ou en suspense, l’ensemble reste désespérément plat et, à l’image des personnages qui peinent à se déployer, aucune ramification ne pousse sur la branche narrative principale. Alors, si le voyage avance, le spectacle, lui, paraît patiner, englué dans des événements attendus et dans l’intimité de la vie quotidienne d’un équipage dont la trivialité n’a que peu d’intérêt. Comme corseté, bridé, le metteur en scène ne parvient, malgré quelques modestes tentatives, que très rarement à faire mouche, et rire, et peine à faire émerger cette folie douce dont il se sert, habituellement, comme impeccable moteur.
La faute, sans doute, à ce qui reste, ironie de l’histoire, comme l’un des points forts de sa proposition, cette scénographie majestueuse, ambitieuse, creuset de belles trouvailles, génératrice de magnifiques images, aux effets parfois quasi magiques, à l’image de ces corps qui, sans que l’artifice puisse être clairement identifié, flottent régulièrement en apesanteur. On ne peut alors que regretter que le reste de la proposition scénique ne soit pas à l’avenant, que la composition musicale de Nicolas Ducloux se contente d’une partition aux airs un tantinet répétitifs, que les capacités du plateau vocal se révèlent très rapidement limitées, que la substance textuelle des chansons imaginées par Pierre Guillois soit plus proche des canons un peu bas de gamme des comédies musicales, et des opéras classiques, que de la plume acérée à laquelle il nous avait habitués. Comme si, à trop vouloir s’y référer, le metteur en scène s’était laissé enfermer dans le carcan de ce genre particulier plutôt que de chercher à l’exploser.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Mars-2037
Composition musicale Nicolas Ducloux
Écriture et mise en scène Pierre Guillois
Assistante à la mise en scène Lorraine Kerlo Aurégan
Assistante artistique en tournée Frédérique Reynaud
Chanteurs Jean-Michel Fournereau, Magali Léger, Charlotte Marquard, Quentin Moriot, Élodie Pont, Pierre Samuel
Musiciens Matthieu Benigno (percussions), Nicolas Ducloux (clavier), Chloé Ducray ou Claire Galo-Place (harpe), Gabrielle Godart (clavier), Jérôme Huille ou Grégoire Korniluk (violoncelle)
Scénographie Audrey Vuong
Costumes Axel Aust assisté de Camille Pénager
Maquillages Catherine Saint-Sever
Créatures extra-terrestres Carole Allemand Delassus assistée de Franck Rarog
Robot Sébastien Puech assisté de Delphine Cerf, Eduardo De Gregorio et Franck Demory
Lumières Marie-Hélène Pinon
Effets magiques Allan Sartori, Pedro Miguel
Identité visuelle Fabrizio La RoccaProduction Compagnie le Fils du Grand Réseau
Coproduction Stadttheater Klagenfurt, Autriche ; Le Volcan, Scène nationale du Havre ; Théâtre National de Bretagne – Centre Dramatique National, Rennes ; Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper – Centre de création musicale ; Célestins, Théâtre de Lyon ; Le Quai – Centre Dramatique National, Angers Pays de la Loire ; Le Quartz, Scène nationale de Brest ; MAC Maison des Arts de Créteil et du Val-de-Marne ; Maison de la Culture de Nevers Agglomération ; Scènes Vosges, Communauté d’agglomération Epinal ; Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
Soutiens MARS – 2037, comédie musicale spatiale a reçu le soutien du Fonds de Création Lyrique
Avec le soutien de la Région Bretagne
Remerciements Opéra national de Paris ; Maison des Arts de Créteil ; Mélanie Lemoine ; Fabrizio La Rocca ; Takénori Némoto et Olivier CarreauDurée : 1h45
Maison des Arts et de la Culture (MAC), Créteil
du 26 au 28 janvier 2022Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône
du 10 au 11 févrierLe Quai, CDN Angers Pays de la Loire
du 16 au 19 marsScènes Vosges, Epinal
le 29 marsLe Cratère, Scène nationale d’Alès
les 14 et 15 avrilThéâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper
du 8 au 10 juin 2022
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