Née en 1978, Marine Bachelot Nguyen a écrit à ce jour une bonne vingtaine de pièces, éditées dans des maisons d’édition telles que Lansman, Les Solitaires Intempestifs ou L’avant-scène théâtre, et, pour certaines, traduites en roumain, allemand ou vietnamien. Tissant volontiers la fiction et le documentaire, l’autrice et metteuse en scène met sur l’établi les enjeux féministes et postcoloniaux, en ne les déliant jamais de l’intime et du corps.
En mai dernier, on a pu découvrir White Spirit – repris en janvier 2026 à la Maison des Métallos, à Paris –, lecture-spectacle percutante réunissant six autrices originaires de pays et cultures différentes : Marine Bachelot Nguyen, Penda Diouf, Karima El Kharraze, Essia Jaïbi, Marina Keltchewsky et Émilie Monnet. Cet automne, elle a créé Boat People, fiction portée par sept acteur·rices et nourrie d’un travail précis de documentation et de collecte de témoignages. Cet automne également, le seul en scène créé lors de la saison 2022-2023, Nos corps empoisonnés, a continué sa tournée. Si l’on commence cet article en égrenant ces trois spectacles, c’est parce que dans leur diversité comme dans leurs points communs se déplient les axes qui caractérisent le travail de l’autrice et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen.
Et que de White Spirit, création collective volontairement modeste formellement mettant au jour, à travers la diversité de regards, les violences systémiques, symboliques ou non, de la blanchité, à Boat People, chronique fictive et au long cours de l’accueil d’une famille réfugiée du Sud-est asiatique dans une famille française à la suite de la fin de la guerre du Vietnam – qui amena la fuite de plusieurs centaines de milliers de personnes des régimes communistes –, jusqu’à Nos corps empoisonnés, récit documentaire à la première personne relatant le combat de Tran To Nga contre les multinationales états-uniennes agro-industrielles productrices de l’agent orange auquel elle fut exposée, il s’agit bien toujours de participer à donner de la voix à des récits, des histoires méconnues ou invisibilisées. Cela sans tomber dans un maniérisme, mais, au contraire, en s’attachant, comme elle-même le précise, à trouver « les formes qui soient au service du sens et des esthétiques, qui soient justes pour les histoires et les choses » qu’elle veut raconter.
Au commencement, l’écriture
Mais rembobinons. Car avant les spectacles et la mise en scène, avant même le théâtre, il y a l’écriture. Pour Marine Bachelot Nguyen, du plus loin qu’elle s’en souvienne, « il y a l’envie d’écrire. J’ai été une gamine très lectrice. Lycéenne, je suis partie dans une chose plus concrète, avec le souhait de devenir journaliste ou prof, mais il y avait toujours cette envie ». Après une prépa littéraire, dont elle sort avec « un grand besoin que la littérature rejoigne un peu la vie et s’incarne autrement que dans les concours », elle intègre la fac, où elle commence à faire du théâtre. « Là, je me suis rendue compte que la littérature – telle qu’on l’enseignait en tout cas – n’avait pas tant de lien avec la politique, la réalité, le social. Le théâtre était quelque chose qui prenait davantage corps, et je me suis intéressée au théâtre politique. Je n’aurais pas pu rêver de littérature plus vivante que la littérature théâtrale. » Elle commence à travailler, d’abord en master – avec un mémoire sur le théâtre des années 1970 de Dario Fo et de Franca Rame –, avant de se lancer dans une thèse (inachevée) sur les dramaturgies documentaires du théâtre politique et militant. Cela tout en continuant à écrire et pratiquer le théâtre à la fac.
L’autre déclic est lié à la rencontre avec le metteur en scène et auteur Roland Fichet, qui animait un atelier d’écriture à l’université. « Cet atelier a dédramatisé la notion d’écriture, moi qui commençais des textes sans jamais les finir. » Une rencontre décisive qui l’amène à travailler en tant que dramaturge pour le Théâtre de Folle Pensée – la compagnie de Roland Fichet –, à abandonner l’enseignement – « j’adorais la transmission, mais je n’avais pas la vocation » – et à inscrire l’écriture dans un champ collectif, dans le cadre d’un laboratoire d’auteurs imaginé par Fichet. C’est au sein de ce laboratoire qu’elle approche également la mise en scène – déjà expérimentée à la fac.
Politique du collectif
Ce partage lors d’ateliers en commun de langues, de paroles, de regards, Marine Bachelot Nguyen y trouve avec d’autres un terreau fertile : ainsi, en 2004, avec Alexis Fichet, Alexandre Koutchevsky, Juliette Pourquery de Boisserin, Laurent Quinton et Nicolas Richard, elle co-fonde Lumière d’août, compagnie théâtrale et collectif d’auteur·rices. À dire vrai, si la question du collectif est loin d’être si fréquente que cela du côté des écritures dramatiques – citons le groupe Pétrol ou la Coopérative d’Écriture –, elle est intrinsèque au travail de Marine Bachelot Nguyen. « Je pense que j’ai besoin de ces collectifs, et qu’il y en ait plusieurs, aussi. Les collectifs militants – j’ai fait partie de Décoloniser les Arts, je fais toujours partie de HF Bretagne, j’ai participé à des groupes féministes – ont été très nourrissants dans mes prises de conscience, dans mes empowerments. » Des expériences essentielles, en ce qu’elles l’ont, également, amenée à jeter des ponts entre « militantisme et écriture, théâtre, littérature. Trouver des façons de populariser, vulgariser des idées politiques à travers des pièces de théâtre, à travers des fictions, des formes documentaires, m’importe vraiment. Je pense que ça aide à vivre et, personnellement, cela m’a aidé à mieux me situer dans le monde. White Spirit, d’une certaine façon, est aussi une envie de créer un autre collectif d’autrices qui puissent dialoguer, se tenir ensemble sur scène. L’espace du collectif est un espace précieux ».
Pour autant, Marine Bachelot Nguyen ne nie pas la nécessité de la « solitude au moment de l’écriture, mais pour pouvoir ensuite en faire des aventures partagées. Le statut d’autrice peut être assez solitaire et frustrant quand on a écrit des textes qui ne sont jamais montés. Moi, c’est vrai que j’ai trouvé la formule qui me convenait : écrire et mettre en scène. Cela me permet aussi de muscler, affûter les textes, parce qu’ils bougent, évidemment, quand on les passe par le plateau et par les interprètes. J’aime beaucoup ce travail de coupe, de sculpté, de réécriture. Et c’est également très nourrissant, en parallèle de mes propres mises en scène, d’avoir des personnes qui désirent monter mes textes. »
Le théâtre en commun
Actuellement, si son activité intense côté diffusion de ses spectacles l’occupe pleinement, Marine Bachelot Nguyen évoque le souhait de « retrouver de l’espace pour d’autres projets, d’autres écritures » et pressent « revenir à quelque chose de plus autofictionnel ». « J’ai un peu l’envie – après mes derniers textes, plus nés du travail au plateau et relevant davantage de textes dialogués – de revenir à l’endroit du littéraire », un axe déjà en germe dans le texte écrit pour White Spirit. Sans pour autant que l’autrice n’affirme de façon catégorique quelle forme cela prendra … On en revient à la diversité évoquée en introduction : avec une bonne vingtaine de textes de théâtre à son actif, qu’il s’agisse de commandes ou non, de pièces collectives ou non, l’autrice déploie une plasticité d’écriture saisissante, avec des écrits traitant à bras le corps des matériaux documentaires, des collectes de paroles ou des archives, et d’autres aux échappées plus fictionnelles ou aux formes très dialoguées.
L’essentiel est bien, on y revient, la justesse des objets, qu’ils soient littéraires ou théâtraux, et leur force, leur efficacité, leur sens. « J’adore l’écriture théâtrale, justement parce qu’elle permet d’investir plein d’espaces de la littérature, parce que tu peux faire du dialogue, du récit, du poème, de l’essai. Et après, j’aime bien aller chercher l’endroit juste. » Cet « endroit juste » dessine chez elle une géographie subtile et sensible, un territoire arpenté par une multiplicité de fragments de vies et de voix, de figures et de lieux. Ou comment des histoires très familiales, intimes, minuscules, peuvent résonner beaucoup plus largement. Une démarche éminemment fertile, ancrée dans des convictions politiques et féministes, qui permet, comme elle-même le rappelle, à partir de « généalogies politiques, sociales, intimes, géopolitiques », de se saisir de la complexité de notre présent, sans oblitérer l’humour. « J’aime cette idée de traiter de sujets sérieux, dramatiques ou tragiques à travers le prisme de la comédie, de la légèreté, parce qu’il est plus puissant de relier les deux. Et puis, c’est aussi plus accessible. Il y a toujours pour moi ce souci de démocratisation, d’accueil du public le plus large possible. » Avec la certitude que par le théâtre peuvent advenir des « micro-métamorphoses, des micro-émancipations », permettant de « refaire acte de présence et de conscience collective ».
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
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