Robin Ormond confie un texte inédit du dramaturge allemand Marius von Mayenburg à Marilyne Fontaine et Assane Timbo, mais, malgré la performance de l’un et de l’autre, ne réussit pas à dépasser ses quelques faiblesses dramaturgiques.
D’aucuns y auraient sans doute vu une gentille attention, de celles qui font plaisir à l’occasion du retour de l’être aimé. Oui, mais voilà, lorsque Simone sort de son sac de voyage un cadeau qui lui est destiné, Erik pose un peu trop de questions à son goût. Entre la femme et son compagnon, la discussion ne tarde pas à s’envenimer, à partir dans les tours, comme on dit, et Erik de lâcher : « Je ne veux pas que tu m’offres quelque chose simplement parce que tu as mauvaise conscience ». La bombe est amorcée, et trahit le ressentiment que l’homme éprouve envers sa compagne. Salariée chez Bremko, où elle oeuvre sous les ordres d’un certain Manuel, Simone est une femme d’affaires par excellence, souvent sur les routes et obnubilée par son travail, tandis qu’Erik, traducteur de son état, se vit comme un homme sacrifié sur l’autel des velléités professionnelles de sa compagne, obligé de s’occuper des enfants qu’il lui reproche de délaisser. Ceux qui se considèrent comme un couple « révolutionnaire » dans leur manière « de faire tous les deux autant l’un que l’autre », comme un « laboratoire d’essai de la façon dont notre société va évoluer à l’avenir » ne sont pas satisfaits de leur condition pour autant, à commencer par Simone, frustrée de ne pas parvenir à monter en grade, d’être encore et toujours sous la férule de Manuel, comme empêchée par cette vie de famille qu’elle semble rendre responsable de tous les maux. Quand soudain, le téléphone sonne, et permet à Marius von Mayenburg d’activer son subterfuge dramaturgique, et d’inverser une première fois – d’autres suivront – les rôles.
Dans cette vie parallèle, où les faits sont identiques et les réactions cousines, en dépit d’infimes variations, le schéma familial s’avère plus classique : Erik incarne l’homme d’affaires constamment en vadrouille, aux ordres d’une certaine Manuela qui le maintient sous un plafond de verre, et Simone la traductrice-mère de famille, déçue de ne pas être assez considérée, dans la sphère professionnelle comme personnelle. Et c’est là que Mayenburg dévoile son banc d’essai, sa façon de mettre sur le gril le couple d’aujourd’hui, de regarder à la loupe les différentes structures – moderne ou traditionnelle – pour voir si elles ont des défauts communs ou si tout n’est qu’affaire de rapports genrés. Sous la plume du dramaturge allemand, ces derniers apparaissent moins structurants, et vecteurs de désordre, que la société capitaliste dans son ensemble. Dans le manque de reconnaissance qu’ils s’infligent l’un l’autre, dans les réactions de la première qui ne sont jamais à la hauteur des attentes du second, et vice-versa, dans ce schéma sociétal qui, alors qu’il promettait réussite, bonheur et félicité si l’on s’y conformait, s’avère décevant dans les faits, le couple se retrouve mis à mal par les promesses non tenues du capitalisme et par l’individualisme forcené de ses deux composantes. Partis en équipage plus ou moins solide, la femme et l’homme transforment leur duo en duel, où l’accomplissement personnel passe avant la réussite commune, où le foyer n’est plus un terrain d’entente, mais une terre de combat, alimenté par des forces exogènes qui fragilisent l’attelage conjugal.
Inédit en France, et traduit par Robin Ormond à l’occasion de la mise en scène qu’il en livre à La Scala Provence, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, Peu importe reprend les recettes bien éprouvées de Marius von Mayenburg, qui n’aime rien tant que soumettre ses contemporains à l’épreuve du feu théâtral afin d’observer leurs moteurs et autres errements. Sous sa houlette, les répliques fusent, s’enchaînent, et les dialogues achoppent le plus souvent. Alors que Simone et Erik ne cessent de s’interrompre, comme si la parole de l’un marchait sur celle de l’autre, ils apparaissent bientôt comme des compétiteurs de la langue, capables de se dévorer mutuellement, après avoir été cannibalisés par les mécanismes socio-économiques. Solidement emmené par Marilyne Fontaine et Assane Timbo, tout à fait à leur aise au milieu de ce tas de cadeaux imaginé par Manon Vergotte, ce duo-duel n’a malgré tout pas la saveur des pièces précédentes de Marius von Mayenburg, et tend, à la longue, à épuiser le procédé dramaturgique qu’il déploie, aussi original et séduisant soit-il dans ses premiers instants. Insuffisamment activé par Robin Ormond, qui ne joue pas assez avec sa mécanique de haute précision, le texte, à force de tourner sur lui-même, donne l’impression de tourner en rond, voire de s’enliser, et n’atteint pas totalement ses objectifs. Comme si le thème en or que Mayenburg avait entre les mains était, en définitive, largement sous-exploité.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Peu importe
Texte Marius von Mayenburg
Mise en scène et traduction Robin Ormond
Avec Marilyne Fontaine, Assane Timbo
Scénographie et lumières Manon Vergotte
Costumes Louise Digard
Création sonore Arthur Frick
Dramaturgie Laurent MuhleisenProduction La Scala Productions & Tournées
Durée : 1h10
La Scala Provence, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 5 au 27 juillet 2025, à 15h35 (relâche les 7, 14 et 21)La Scala Paris
du 12 septembre au 4 janvier 2026
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