Mis en scène par Alix Riemer, Le Papier peint jaune déplie un spectacle aux accents féministes et fantastiques. Une création aussi maîtrisée formellement que riche dans son propos.
Comme l’indique la fiche Wikipédia du Papier peint jaune, la nouvelle de l’écrivaine, poétesse et conférencière américaine Charlotte Perkins Gilman fut, lors de l’une de ses traductions en français (celle de 2002), publiée sous l’intitulé La Séquestrée. Un choix de titre ouvertement féministe qui, en pointant avec pertinence la situation de la narratrice, laisse un peu plus de côté le contexte, notion contenue dans l’intitulé originel de The Yellow Wallpaper. Cette nécessité de ne pas oblitérer le paysage qui va accentuer la détresse de la protagoniste, l’adaptation qu’en livre Alix Riemer au plateau la porte chevillée au corps, en incluant à son tour un contexte encore plus large. Ainsi, la comédienne Marie Kauffmann commence, telle une conférencière ou une enseignante – citations de Wikipédia à l’appui –, par nous donner des éléments biographiques. Rejoignant l’avant-scène, elle se tient d’abord éloignée de l’espace scénographique situé derrière elle – un carré de terre sableuse jaune comportant une chaise et des bougies, pour quelques-unes allumées, et, derrière, deux rideaux bleu-gris, l’un rejoignant en partie le carré de sable. Encore à distance du décor et, donc, du cœur de l’histoire, vêtue d’un jean, d’une chemise entre le bleu et le gris clair et d’une singulière cravate bouffante de même couleur – dont le coloris comme le velouté renvoient aux rideaux –, elle présente l’autrice. Elle détaille son importance pour d’autres écrivaines féministes, l’influence qu’eut la parution de cette nouvelle sur les thérapies du repos imposées aux femmes – d’autres exemples étant cités, tel celui de Rosemary Kennedy, qui subit même une lobotomie à la violence inouïe –, ainsi que… les positions racistes et antisémites de Charlotte Perkins Gilman – ce signalement valant ici mise à distance de l’autrice et sauvetage de la nouvelle.
Au fil de cette introduction, la comédienne rejoint le centre du plateau pour s’asseoir sur un fauteuil. Ce faisant, elle entre mine de rien dans le récit à la première personne, tout comme le personnage de Mary va s’absorber dans la contemplation, le déchiffrage et la mise à sac du papier peint. Car, dans cette nouvelle publiée en 1892, Charlotte Perkins Gilman déplie l’histoire d’une femme relatant dans son journal intime sa « prise en charge » à la suite de sa dépression post-partum. S’installant pour quelque temps avec son époux médecin, la sœur de ce dernier et leur petite fille dans une grande maison victorienne dans la campagne de la Nouvelle-Angleterre, la jeune femme est contrainte à l’inactivité. Cette méthode de la thérapie du repos est alors fréquemment employée pour guérir les femmes victimes de dépression aux États-Unis – rappelons que Freud n’employa pour la première fois le terme psychanalyse qu’en 1896… Critique sévère de cette méthode de soin, en ce qu’elle est aussi inefficace qu’ancrée dans une misogynie structurelle, la nouvelle fut à sa publication davantage perçue à l’aune du fantastique et de l’étrange que du féminisme. Or, l‘une des richesses de l’adaptation au plateau est de n’évacuer ni le versant fantastique ni la subtile charge critique contre l’idéologie patriarcale. La mise en scène signée par la comédienne Alix Riemer permet avec une finesse et une qualité formelle indubitables à toute la puissance du texte de se déployer. L’on suit au plus près les étapes de Mary : de sa fragilité à son ambivalence à l’égard de son époux médecin au paternalisme plus qu’étouffant, de sa répulsion initiale pour ce papier peint dont les motifs vont s’animer à l’attraction obsessive vers laquelle elle glisse progressivement pour libérer la femme qui y est enfermée.
Avec modestie, mais par une séduisante proposition scénique – où tous les artifices (décors, costumes, création lumières comme sonore) sont aussi maîtrisés que précisément articulés les uns aux autres –, Le Papier peint jaune nous embarque dans la richesse d’une histoire. Celle d’une femme qui va devoir passer par un état-limite pour être entendue et opposer son refus d’être infantilisée ou psychiatrisée. Une histoire où les présences inquiétantes et fantomatiques passent par les sons, où toute la scénographie au diapason déploie l’univers mental et les états de Mary jusqu’à, enfin, voir advenir les couleurs complémentaires (magenta et cyan), signalant le sauvetage de la jeune femme. Extrêmement rigoureux et ciselé, on le redit, visuellement, le spectacle interprété avec une juste intensité par Marie Kauffmann porte en lui son étrangeté, tout en résonnant à sa façon avec aujourd’hui – à tel point que la voix off finale ancrant le propos dans le contemporain s’avère un brin superflue. En permettant d’entendre un texte méconnu, à la parentèle réelle avec les écrits d’Henry James (et notamment avec sa nouvelle Le Motif dans le tapis parue en 1896), il renvoie à la persistance de schémas de manipulation ou de gaslighting, cette technique qui disqualifie une personne en mettant en doute son équilibre mental.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Le Papier peint jaune
Texte Charlotte Perkins Gilman
Mise en scène Alix Riemer
Traduction et adaptation Dorothée Zumstein
Avec Marie Kauffmann
Création lumière Mathilde Chamoux
Création costumes Anaïs Heureaux
Scénographie Hélène Jourdan
Collaboration artistique Vanessa Larré et Biño Sauitzvy
Création sonore, régie générale et son Tom Ménigault
Régie lumière Zoë Robert en alternance avec Mathilde ChamouxProduction Compagnie Paper Doll
Production déléguée Théâtre Silvia Monfort
Avec le soutien de la Ville de Lille – Lieux Culturels Pluridisciplinaires, du Studio-Théâtre de Vitry, du festival FRAGMENTS – Théâtre de l’Étoile du Nord (Paris) & Théâtre Sorano, Scène conventionnée (Toulouse)
Une maquette a été présentée dans le cadre du festival FRAGMENTS #11 – (La Loge)
Avec le soutien financier de la Direction régionale des affaires culturelles OccitanieDurée : 1h15
Théâtre Silvia Monfort, Paris
du 5 au 16 novembre 2025Théâtre Dijon-Bourgogne, CDN
du 9 au 17 mars 2026La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc
les 28 et 29 avrilThéâtre de Lorient, CDN
les 6 et 7 mai



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