Le grognement de la voie lactée balance entre désespoir et farce pop via un texte qui traverse le chaos du monde à la vitesse de la lumière. Mais Maia Sandoz et Paul Moulin livrent une mise en scène qui en fait trop dans le sillage de la nouvelle comète allemande, l’auteur trentenaire Bonn Park.
Mayenburg, Schimmelpfennig, Paravidino ou Dennis Kelly, les auteurs qu’affectionne et met en scène Maia Sandoz ont certainement ceci en commun d’être des dramaturges contemporains plutôt trash et mordants qui balancent un regard acerbe sur notre modernité. Bonn Park, le dernier d’entre eux, auteur allemand, trentenaire, a écrit ce Grognement de la voie lactée en 2016. Figure montante d’un théâtre dit « de l’impossible » tant il propose des textes qui posent des défis scéniques, il a composé là une partition complètement baroque propulsant tour à tour sur le devant de la scène, dans de longs monologues touffus, des personnages phares d’une certaine culture commune : Kim Jong Un, Donald Trump ou la mannequin Heidi Klum, mais aussi d’autres archétypes tels un extra terrestre furibard ou une socio-démocrate allumée.
Maia Sandoz et Paul Moulin ont choisi une bande de jeunes interprètes pour porter ce texte noir et multicolore qui prend à bras le corps la déliquescence de notre monde et sa course effrénée vers la catastrophe. Ce sont les premiers concernés, cet avenir est le leur, et l’énergie échevelée de l’écriture leur va comme un gant. Huit membres de la troupe éphémère de l’Atelier Cité – troupe du théâtre de la Cité à Toulouse – ont donc tour à tour leur monologue comme point d’orgue mais restent sur scène en continu. Entre chansons, chorégraphies, tournage ou autre drôle de session de relaxation, ils ont fort à faire dans une mise en scène au bordel maîtrisé.
C’est peut-être d’ailleurs sur ce point que le spectacle pêche. Quand l’écriture en fait autant, on se dit parfois qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter. L’écriture dense aux éclairages multiples, les tunnels de délires mélancoliques, il aurait été plus judicieux de faire confiance aux interprètes plutôt que d’entraîner le spectacle dans un déluge de gadgets scéniques (les accents, les interactions avec le public, les effets choraux…) qui ne dégagent pas vraiment de sens et surlignent inutilement le côté barré du texte. Surtout que les interprètes peuvent exceller. Quand Christelle Simonin, physique à la Sophia Loren en soc-dem à bermuda blanc lance son speach pour annuler les élections et nous laisser dans l’euphorie perpétuelle des campagnes électorales, la finesse de l’interprétation, les superpositions d’émotions, la rapidité des transitions et autres envolées maîtrisées font ressortir toute la complexité d’une écriture jamais complètement ironique, mais jamais sérieuse non plus, bien entendu. Là, on suit. La situation, les émotions et les mouvements contradictoires d’une pensée.
Le grognement, ou plutôt le grondement incessant d’une écriture en colère aurait donc gagné, nous semble-t-il, à plus de clarté scénique. Qu’y a-t-il en effet dans ce délire de l’auteur allemand qui voit Trump acheter tous les arbres, Heidi Klum dévorer ses congénères, Bonn Park, lui-même, coincé dans le corps d’une fillette de 11 ans, le tout sous les yeux d’un extra terrestre venu nous dire qu’on est bien chouchou, nous l’humanité, mais vraiment trop con dans notre manière de traiter la planète ? On a du mal à débrouiller le sens, à suivre le chemin entre provoc’ et renversements de la pensée, à goûter les plaisirs d’une écriture singulière, à l’apprivoiser et à jouir de la théâtralité de ce théâtre de l’impossible. La mise en scène ne nous guide pas autrement qu’en soulignant l’énergie folle d’un texte qui n’en manque pas.
Eric Demey
Le grognement de la voie lactée
Texte : Bonn Park
Mise en scène : Maïa Sandoz et Paul Moulin
Traduction : Laurent Muhleisen
Avec : Matthieu Carle, Jeanne Godard, Angie Mercier, Fabien Rasplus, Quentin Rivet, Christelle Simonin
et en alternance Marie Razafindrakoto / Mélissa Zehner
Assistante mise en scène : Clémence Barbier
Création lumière : Romane Metaireau
Création sonore et musicale : Angie Mercier
Mise en espace sonore : Grégoire Leymarie
Scénographie et costumes : Paul Moulin assisté de Stan Weiszer
Création costumes : Muriel Senaux
Collaboration artistique : Guillaume Moitessier
Administration et production : Agnès Carré
Production et diffusion : Olivier Talpaert
Régie Générale : David Ferré
Régie Plateau : Paolo Sandoz
Régie Son : Grégoire Leymarie
Photographies : © Erik Damiano
L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte
Production : Théâtre de L’Argument
et leThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie
Le théâtre de l’Argument est conventionné par la Drac Île-de-France – Ministère de la Culture
Projet accueilli aux Plateaux Sauvages dans le cadre du P.R.O. –
Partage Responsable de l’Outil
Création et Diffusion 2022-23 en cours d’élaboration
Spectacle à partir de 12 ansDurée : 1h40
Théâtre de la Tempête
du 3 au 23 juin 2023
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