Avec Les Tigres sont plus beaux à voir, Magali Montoya nous offre une passionnante traversée de la vie et de l’œuvre de l’autrice britannique (1890-1979). Culte pour certains, inconnue pour beaucoup, son écriture reflète une vie difficile, mouvementée, mais aussi pleine d’une rare énergie.
Après une Princesse de Clèves de huit heures, où cinq comédiennes portaient l’intégralité du texte de Madame de La Fayette, c’est loin de toute cour que s’aventure la comédienne et metteure en scène Magali Montoya dans sa nouvelle création, Les Tigres sont plus beaux à voir. Montage de textes de l’autrice britannique Jean Rhys et d’un entretien entre celle-ci et David Plante, lui aussi auteur, cette pièce est en effet peuplée de personnages éloignés des sphères du pouvoir. Des femmes, surtout, qui subissent les hommes et l’existence, et se consolent au whisky et au vermouth. Des femmes qui ressemblent à l’autrice, qui sont bien souvent ses doubles littéraires. Avec ses allers-retours entre passé et présent, entre fiction et entretiens, entre Dominique, Londres, Paris ou encore Vienne, la pièce de Magali Montoya nous invite à une traversée de l’œuvre et de la vie de Jean Rhys à l’image de celle-ci : par monts et par vaux, ponctuée d’épreuves difficiles, de défaites, mais aussi pleine d’un courage et d’un humour qui jamais ne fléchissent.
Le parti-pris de Magali Montoya pour aborder Jean Rhys est à la hauteur de la grande singularité de celle-ci dans le paysage littéraire. Portés par Magali Montoya elle-même, avec Nathalie Kousnetzoff et Bénédicte Le Lamer – déjà présente dans La Princesse de Clèves –, les mots de l’autrice anglaise sont un trésor qu’elles se répartissent amicalement et qu’elles partagent de la même façon avec le spectateur. Jules Churin – il était stagiaire à la mise en scène de La Princesse de Clèves –, les y aide avec bonheur. La plupart du temps, il incarne l’écrivain David Plante, auteur d’un entretien avec Jean Rhys publié dans la deuxième partie du livre Jean Rhys, qui êtes-vous ?, qui fut la porte d’entrée de Magali Montoya dans l’univers de Jean Rhys.
C’est donc par son chemin de lectrice, de femme face à l’écriture d’une autre, que la metteure en scène nous invite à faire connaissance ou à redécouvrir l’autrice née à Dominique en 1890 et décédée en 1979 en Angleterre. Ses deux compagnes ne sont pas en reste : dans le cadre construit par la metteure en scène, elles aussi disent quelque chose de leur Jean Rhys. Une partition supplémentaire, aux accents électros, est portée par le musicien et interprète Roberto Basarte, présent sur scène comme il l’était dans La Princesse de Clèves. La pièce est donc composée de strates multiples qui nous emportent, nous perdent parfois pour mieux nous faire approcher une pensée et un imaginaire.
Fragmentaire, hybride, Les Tigres sont plus beaux à voir l’est aussi pour imiter les mouvements d’une mémoire qui se refuse à la chronologie. Si Magali Montoya commence son voyage par un épisode enfantin situé à Dominique – la nouvelle Le jour où elles brûlèrent les livres –, la suite ne respecte aucun ordre rationnel. Entrecoupées par des séances d’entretiens confiés à Bénédicte Le Lamer, excellente en Jean Rhys dont l’âge et la maladie cohabitent avec une drôlerie intacte, nouvelles, romans, autobiographie inachevée nous révèlent les obsessions de l’autrice et ses fragilités. L’écriture, déjà, revient comme un leitmotiv. « Prenons un verre. De toute façon, écrire c’est terriblement éprouvant. À tout prendre, il vaut mieux casser des pierres que d’écrire », dit par exemple Magali Montoya. Jean Rhys aurait préféré une vie amoureuse épanouie plutôt que de construire une œuvre. Ses mariages successifs, et leurs échecs, sont un autre des motifs abordés dans la pièce. De même que la solitude, l’exil, l’alcool, les voyages, la vie de bohème lorsque, pour éviter de retourner à Dominique, intègre quelques troupes de théâtre itinérant.
On le sent, travailler sur Jean Rhys ne fut pas de tout repos pour Magali Montoya. En ne cherchant pas à dissimuler ses doutes, ses fragilités face à son sujet qu’elle aborde avant tout par le mot, l’artiste affirme un geste de mise en scène singulier. Une approche qui ne prétend pas être la meilleure, qui ne veut faire autorité ni sur Jean Rhys ni sur les interprètes. Ce geste est d’autant plus fort qu’il n’a guère jusqu’à maintenant été soutenu par la plupart des lieux qui se sont précipités sur sa Princesse de Clèves, dont le succès fut à chaque fois au rendez-vous. Il semblerait que Jean Rhys a moins la côte que Madame de La Fayette. C’est bien dommage.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Tigres sont plus beaux à voir
d’après la vie et l’oeuvre de Jean Rhys
Adaptation et mise en scène Magali Montoya
Avec Nathalie Kousnetzoff, Bénédicte Le Lamer, Jules Churin, Magali Montoya
Composition musicale et interprétation Roberto Basarte
Scénographie Marguerite Bordat, Caroline Ginet
Lumières Jean-Yves Courcoux
Costumes Virginie Gervaise
Régie générale Johan Olivier
Traduction Jacques Tournier, Pierre Leyris, Renée Daillie, Claire FargeotProduction Le Solstice d’Hiver
Coproduction et accueil en résidence Théâtre Molière, Scène nationale Archipel de Thau, Sète
Soutiens et accueil résidence Le Moulin du Roc, Scène nationale de Niort
Résidences de création Théâtre Le Colombier, Bagnolet
Avec le soutien de l’ADAMI et la SPEDIDAM.La compagnie Le Solstice d’Hiver bénéficie du conventionnement de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile-de-France
Durée : 2h
Vu en octobre 2021 au Théâtre Le Colombier, Bagnolet
Théâtre de l’Épée de Bois, Paris
du 7 au 24 novembre 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !