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Lyna Khoudri vide son sac

Coup de coeur, Les critiques, Paris, Rennes, Théâtre

photo Louise Quignon

Perdre son sac  ou la confession sous tension d’une laveuse de vitres qui ne se laisse pas assujettir. Pascal Rambert écrit pour Lyna Khoudri un monologue brûlant, gonflé à bloc de colère et d’amour. L’actrice l’honore dans un mélange de précision rythmique au cordeau et de flamme indomptable.

Elle entre avec fracas, d’un pas décidé. Traverse la moitié du plateau dans sa largeur pour se planter en son milieu face à nous. Manche télescopique de balai en main. Rien ne vacille. Et quand elle ouvre la bouche sur cette immense bâche en plastique bleue qui est sa toile de fond, une évocation symbolique de son décor au quotidien, c’est pour ne plus se taire une heure durant, faire manger la poussière à tout ce qui l’attaque, la juge, la choque, l’indigne. Car elle n’épargnera rien ni personne, même pas son père, même pas notre mère, la société, sa violence souterraine et ses règles de savoir-vivre qui la masquent à peine. Elle nous prévient d’emblée, « J’ai plein d’agressivité ». Ses yeux plantés dans les nôtres, harponnés au public qui retient son souffle tout du long dans une écoute active. Sur les bancs de la petite salle Parigot du Théâtre National de Bretagne, les dos sont droits et les corps tendus vers elle, Lyna Khoudri, pour qui Pascal Rambert écrit ce monologue incisif et implacable. Comme un écho aux mots qu’elle avait en bouche la première fois qu’il la vue sur scène, comme un écho au discours qu’elle a prononcé à la Mostra de Venise, Pascal Rambert tisse entre ses moments saillants de rencontre et de découverte, un chemin de langage comme il en a l’habitude et l’obsession. Tel est son lien aux acteurs et aux actrices pour qui il écrit à chaque fois en projetant leur corps, leur voix, leur singularité, dans la langue qui se fraie un passage hors de lui. Entre temps, il l’aura déjà dirigée parmi d’autres dans Actrice . Entre temps, Lyna Khoudri aura imposé son visage doux et juvénile et sa cinégénie éclatante sur les écrans.

Dans Perdre son sac, elle est seule en scène et c’est un torrent de colère qui jaillit de son débit rapide et ininterrompu, suspendu seulement deux fois, pour laisser le corps éclore lui aussi et prendre le relai, lors d’une danse effrénée sur Anarchy in the U.K des Sex Pistols, lors d’une chorégraphie de claquettes « a capella ». Respirations dans le texte qui reprendra de plus belle jusqu’à sa mise en garde finale. Ultime sentence sur laquelle trébuche en cascade tout ce qui vient d’être dit, expectoré, vomi dans une verticalité qui rime avec dignité. Salopette à grandes poches, chaussures montantes à lacets, veste de travail, bagues aux doigts, créoles aux oreilles, mèche bleue sur cheveux noirs, petit carré à frange, dans cette silhouette dessinée, c’est une femme d’aujourd’hui qui apparaît, une femme coupée en deux, celle qui fait le ménage dans une boutique de beauté, se remonte les manches et supporte en serrant les dents la crasse des tâches à accomplir, la hiérarchie qui avilie, le mépris de classe qui se niche dans certains regards ou dans l’indifférence, la laideur qui l’entoure, mais c’est aussi la jeune fille de son temps, raide amoureuse d’une autre fille, Sandrine, et ce prénom, elle le prononce avec respect et gourmandise, les yeux soudain ravivés par la chaleur des souvenirs.

Si elle aborde bien des sujets, en particulier la paupérisation de la jeunesse, le hiatus entre études et vie professionnelle, la difficulté de se faire une place, l’injustice qui campe à tous les coins de rue, la dépendance aux médicaments, le sentiment amoureux qui transcende nos vies, le désir qui nous propulse vers la peau de l’autre, la pièce de Pascal Rambert, une fois de plus, s’insurge contre le langage tiède, terne, traquenard, le langage en plastique, étriqué et stéréotypé, le langage copie conforme qui ne s’invente pas mais reproduit jusqu’à la nausée ses phrases asphyxiées, le langage sans perspective qui réduit la complexité des choses, amoindrit les nuances de nos existences, il s’insurge contre l’absence de langage, ce trou béant dans lequel s’engouffrent la violence et nos impuissances, contre le langage sournois du capital, le pire peut-être de tous. Le plus salissant. Et lui oppose son goût d’une langue libre et décomplexée, qui ne mâche pas ses mots, ne tourne pas autour du pot, une langue qui se déploie dans sa matérialité, sa musicalité, une langue franche et effrontée. Et lorsque la comédienne prononce cette phrase, « je ne vais pas arriver à vivre dans ce monde », c’est celle de Sarah Kane dans 4.48 Psychose qui nous revient en mémoire « Ce n’est pas là un monde où je souhaite vivre ». Et le voile se déchire. On comprend alors à quel point l’écriture-avalanche de Pascal Rambert emporte dans sa lancée tout son être en secret, ses lectures, son amour sacré du théâtre, sa porosité aux êtres, aux amitiés, aux pays qu’il fréquente, et entraîne dans son déroulé ce flux fascinant qui ne cède jamais ni à la rancœur ni au pathos. En dialogue étroit avec le monde, ses textes répercutent l’époque avec une acuité vertigineuse.

Dans ce face à face frontal avec nous, Lyna Khoudri est une catapulte, les mots ses projectiles. Elle les choisit, elle les assemble, elle les balance, en plein dans le mille. Elle déballe, elle vide son sac, elle dit sa rage, sa révolte, son ras le bol, sans jamais perdre le fil de ce qu’elle a à pointer du doigt, à dénoncer ou à caresser. Nul besoin de tempêter, parler fort ou pleurer pour faire passer le message. Son cri intérieur, elle le transforme en danse exutoire quand elle saute sur les Sex Pistols et leur punk anarchiste. Campée sur ses deux pieds, ancrée dans le sol, droite et tête haute, Lyna Khoudri ne lâche rien, elle n’en rajoute pas, fait confiance au texte qui la guide dans son rythme, ses leitmotivs, ses sauts et rebonds. Solide. Tranchante. Impériale.

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Perdre son sac
texte, mise en scène et installation Pascal Rambert
avec Lyna Khoudri
collaboration artistique Pauline Roussille
chorégraphie claquettes Romain Rachline Borgeaud
régie générale Alessandre Calabi
régie lumière Thierry Morin
costumes Clémence Delille
répétitrice Hélène Thil
direction de production Pauline Roussille
administration de production Juliette Malot
coordination de production Sabine Aznar
production structure production
coproduction : CICT – Théâtre des Bouffes du Nord, en partenariat avec l’Institut français du Maroc
Le texte « Perdre son sac » est édité aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Durée : 1h

Du 18 au 28 janvier 2023
Théâtre National de Bretagne

Du 7 au 18 février 2023
Théâtre des Bouffes du Nord

24 janvier 2023/par Marie Plantin
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